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Citation de martineden74


Il était si habitué à la domination que le viol n’était pour lui qu’une façon de faire l’amour comme une autre. Sa propre femme était sûrement prise de cette sorte et la chambre nuptiale un cachot intime où la violence était légale. Détruire pour capter l’énergie n’était pas un problème, il fallait absolument qu’il s’abreuve à cette source de beauté et de jeunesse. Selon lui, les femmes étaient quasi consentantes, de toute façon elles prenaient sur elles, ce n’était pas si grave, elles pouvaient en tirer des avantages, des compensations, et parfois un plaisir atroce : la jouissance de l’humiliée. Du coup la résistance farouche de ma mère le surprit sincèrement. Si elle avait accepté de venir avec lui, c’est bien qu’elle en avait envie elle aussi ! Elle n’est pas si idiote que ça cette garce ! Elle savait quand même à quoi s’attendre cette sale gamine vicieuse !
L’homme était petit, massif, musclé, en pleine force de l’âge et sa poigne était plus que puissante. Mais ma mère était un serpent vif qui piquait, griffait et mordait avec une énergie surnaturelle. Son regard de jeune déesse en furie le faisait presque douter : au cœur de la bataille, elle le toisait avec arrogance. Si tu crois que tu vas m’avoir espèce de gros salaud immonde, un scorpion ne peut pas piquer une étoile. Il ne pouvait pas la frapper trop fort et l’assommer : il n’allait quand même pas baiser un cadavre. Les gestes étaient brusques et désordonnés, le souffle chaotique, elle sentait son haleine sur son visage : un parfum acide qui la brûlait. Les yeux de l’homme étaient vides, il s’était absenté de lui-même pour laisser toute la place au démon qui le possédait. Une main rugueuse tordait le frêle poignet de ma mère tandis que l’autre essayait d’arracher les tissus sans arriver à rien saisir. Elle avait quasiment réussi à lui mettre un ongle dans l’œil, lequel, devenu rouge vif, semblait pleurer du sang. La face de l’homme était paradoxalement impassible et traversée d’étranges rictus, des grimaces de souffrance qui le défiguraient. La jeune femme était tout entière absorbée dans la lutte mais une petite partie d’elle observait la scène de loin : c’était tellement surprenant de saisir cette figure comme au microscope, ces poils de nez qui sortaient des narines, cette bave aux commissures, cette peau grasse et rouge, cette belle tête de mafieux sicilien métamorphosée en figure de pantin lugubre. La parole, autrefois sobre – c’était un taiseux –, était retournée à ses origines ténébreuses : des grognements de bébé diabolique. Il bandait mais il était dans l’impossibilité de baisser son pantalon, pour cela il aurait fallu maîtriser la déesse furieuse.
Il espérait qu’à un moment elle cède enfin et s’incline devant la puissance de son désir, qu’elle reconnaisse la supériorité évidente de l’incendie qui l’habitait. Mais c’était très loin d’être le cas. Pour ma mère, c’était lui le faible, pas elle. Il avait la force physique mais ce n’était pas grand-chose comparé à la force de l’esprit. Elle se battait sans concession, pour lui prouver son mépris, même si au fond d’elle elle tremblait : elle savait que, par dépit, il pouvait la tuer, cacher son corps dans une ravine inaccessible et inventer un accident que tout le monde ferait semblant de croire. Si elle en ressortait vivante, il ne lui viendrait pas à l’esprit de porter plainte. Ce serait elle la délinquante, la fauteuse de trouble : les femmes avaient intégré qu’elles étaient coupables par nature. Les violées étaient réprimandées, elles devenaient un poids pour la famille, on avait honte d’elles. L’homme était pardonné et compris, il rentrait à la maison la queue basse et rien ne se passait. Les autres mâles l’admiraient en secret pour ce qu’ils n’avaient pas osé faire, les épouses absorbaient le choc en accusant la victime et tout rentrait dans l’ordre rapidement. S’il y avait eu un procès, ce qui était impossible, il aurait été vain, car perdu d’avance.
Le combat continuait durement. L’homme était coriace, il ne voulait pas perdre. Quand elle le pouvait, elle tentait de lui cracher dessus. Lui, essayait de la gifler mais il n’y arrivait pas : elle ne lui laissait aucun espace, aucune brèche. Tous deux commençaient à s’épuiser mais la lutte était inégale : il voulait juste tirer un coup et elle, elle était prête à mourir pour s’opposer à lui et à tout le système qu’il représentait. Le sang, la salive et la poussière se mélangeaient. Depuis une quinzaine de minutes, une éternité, ils se battaient. Il essayait encore mais il commençait à moins y croire : cette garce stupide et arrogante n’a rien dans le crâne, il n’y a peut-être rien à tirer de cette traînée. Il voulait encore trouver une faille, une fêlure, mais il ne rencontrait qu’un mur. Ma mère savait qu’elle n’abandonnerait jamais, qu’elle préférait mourir, que c’était lui le vaincu d’office. Soudain, après une dernière griffure, une dernière morsure, il se releva puis, titubant, ramassa ses affaires et monta sur son cheval. Il jeta une phrase qu’il voulait définitive : Sale petite pute, tu n’es plus rien maintenant, tu n’existes plus, ne t’avise jamais de me croiser ou tu le regretteras, va crever en enfer ! Il s’éloigna et disparut en éructant d’antiques blasphèmes corses. Ce soir, il lâcherait sur sa femme la meute de son désir et elle subirait sa vengeance ; les représailles, terribles, s’inscriraient dans une chair vulnérable, sans résistance ni révolte.Il laissa Nicole à terre, les os et les muscles brisés, le dos lacéré par les cailloux. Hors de toute piste et de tout sentier, loin de tout amour et de toute protection. (…)
Elle savait que même si l’homme avait réussi à l’envahir, à la pénétrer, il aurait été malgré tout le vaincu. Il était incapable d’abîmer son âme, de souiller sa chair, de corrompre son esprit : il n’aurait possédé qu’une enveloppe vide et cela n’avait pas d’importance. Dans un retournement insensé, elle le considérait, lui, comme la victime. Habité par une immense misère sexuelle, sa violence n’était que de la faiblesse. Ma mère éprouvait de la pitié pour tous ces mâles pathétiques qui en étaient réduits à quémander, à arracher des morceaux déchirés d’amour et qui ne pourraient jamais connaître l’offrande de soi, l’extase authentique, l’abandon amoureux d’une femme.
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