Christophe Paviot - Traversée dans la région du coeur
Son Français préféré de tous les temps reste quand même Paul Bracq, le designer de sa Mercedes. Il a eu la chance de le rencontrer deux ou trois fois au prestigieux Pebble Beach Concours d'Elegance, qui réunit chaque année les plus belles voitures de collection au bord de l'océan Pacifique, Paul Bracq y tient le rôle de juge, et Marty a eu un jour, l'immense honneur de dîner à ses côtés, c'est une des choses qui l'étonne le plus dans cette existence, avoir pu côtoyer d'aussi près le grand Paul Bracq, avoir pu converser avec lui, il n'en parle jamais, mais Marty ne s'en est jamais tout à fait remis. Il est conscient que son immense respect pour ce designer automobile laisse son entourage indifférent, mais l'indifférence des autres est son refuge. Il aime cette incompréhension-là. L'incompréhension, sous toutes ses formes, lui a toujours paru délicate et suave. La solitude est l'origine de sa motricité. (P.241)
Je cherche ailleurs moi aussi, incapable de savoir si ma solitude existe vraiment. Je ne suis peut-être pas si seule, on est un paquet à marcher comme ça dans la rue sans savoir ce qu'on y fait. Des types totalement désamorcés, des types vraiment nombreux. La rue va trop vite, on est seul et les images n'accompagnent plus nos pas.
Je réalise qu'on a tous un livre à finir pour cela il suffit d'en avoir écrit la première page.
De son siège, William apercevait les cadrans du tableau de bord. C'était la première fois qu'il volait sur un avion aussi minuscule. Il reconnaissait l'anémomètre, l'instrument chargé de mesurer la vitesse, et il lui semblait que, malgré les sautillements de l'aiguille, la vitesse restait stable. Le variomètre était lui aussi très sage. Dans la mémoire de William, ce cadran indiquait la vitesse verticale, si l'avion montait ou descendait. Il lui restait quelques notions de pilotage, et il était satisfait de constater que sa mémoire n'était pas tout à fait effacée.
Les dernières années de sa vie, il pense qu’il les passera là-bas, à tenter de trouver la quiétude qui lui a échappé toute son existence, assis au bord du silence.
Les mouvements des rideaux dessinent un fragment de vent, ils se soulèvent puis s’épuisent, voilages capricieux dévoilant un morceau des cieux étoilés. Edwin et Jessie sont étalés sur le lit. Elle allonge ici ses vingt-trois ans impeccables et son petit air innocent, tandis qu’il se débat avec ses vingt-quatre ans, sa jeunesse entaillée par la guerre et sa gueule d’ange tombé brutalement du ciel à force de voler trop bas.
Il connait trop la blessure laissée par la séparation avec un être aimé. Il se veut cet être distant, non attachant, qui ne veut plus être attaché.
Tout au long de son existence, il a désiré vivre caché, ce serait l’unique condition, selon lui, pour accéder au bonheur.
Il se penche doucement sur Shirley, et il l'embrasse lentement, avec la même lenteur que la relecture d'un testament.
Partir seul à l’aube lui permet de faire des bilans, de soupeser sa vie, d’évaluer les bonheurs possibles pour le temps restant. Ça lui permet aussi de savoir ce qui s’est passé, de comprendre ce qu’a été cette tranche d’existence, de mesurer la quantité de bonheur injectée dans la rainure de sa vie.