Maïa Brami. Le temps des cerises.
Cette lettre est du pur délire. Rodrigue attend une réponse « claire». Eh bien, mon cher, je ne sais pas quoi vous répondre. Je vous aime…pardon, je t’aime…Enfin, j’aime le garçon qui m’écrit, sa voix aussi…et ses yeux, oui, ses yeux…son odeur…Te revoir ?
IM-PO-SSIBLE
Malgré tout, je rêve à celui qui saura lire en moi, qui saura m'aimer, telle que je suis... On peut toujours rêver!
Toute à vous et pour toujours,
Nora
- [...] (Elle tourne l'assiette.) Je vois.. je vois... un oiseau ! T'en as de la chance ! Un oiseau !
Maman se lève.
- Montre voir !
Je croque dans un biscuit et manque de me casser une dent : spécialiste en philtre d'amour peut-être, mais pas en pâtisserie ! Elle a dû empoisonner tous ses prétendants !
- Elle a raison, il est là ! Regarde, Nora... en diagonale !
Je tire l'assiette à moi, incapable de lire quoi que ce soit.
- Oui, c'est très clair...
- Ah ! tu le vois ?
- ... Non, il s'est envolé !
- Ta fille est d'un terre à terre ! s'emporte Edith, blessée.
- Et l'oiseau alors, ça présage quoi ? demande maman, intéressée.
- Un grand changement ou une rencontre.
- Tu entends ça, Nora ?
J'ai trouvé cette lettre qui semble vous appartenir. Je me permets de vous la retourner. Pas trace de votre corps écrasé dans la cour ! Vous avez été bien avisé de jeter seulement la lettre. Après tout, l'amour pourrait frapper de nouveau à votre porte. Rien de pire qu'un chagrin d'amour, peut-être si... ne jamais en avoir vécu aucun ?!
Combien de jeunes femmes encore privées de lumière, passant de l'appartement familial à celui de leur mari, emprisonnées entre les quatre murs du patio ? Le ciel, elles le voient uniquement quand elles montent aux terrasses pour étendre le linge, et encore, elles sont baissées, le dos cassé, à tordre et à essorer leurs draps. Le monde est là, tout autour d'elles, mais il n'est que précipices, et une fois leur tâche terminée et quelques commérages échangés, elles retournent à leurs fourneaux pour faire mijoter le dîner, tenant leur ventre douloureux annonçant une énième grossesse.
"Celle qui a la chance de lire, d'écrire et qui n'aide pas les autres, trahit*." Voilà ce que je pense.
Entre temps, j'ai trouvé Les liaisons dangereuses dans la bibliothèque de mes parents, je vous le prêterai quand je l'aurai fini. C'est un sacré pavé comme j'aime.
L'aventure promet d'être longue. Pour l'instant, je n'ai lu que les deux premières lettres? Pensez-vous qu'on pourrait faire un roman avec les nôtres ? Pas si vous mettez autant de temps à me répondre chaque fois... paresseux !
Comment trouver l'équilibre entre le physique et l'intelligence, l'extérieur et l'intérieur, pour réussir à avoir confiance en soi?
Terrassée de chagrin, je m'entends gémir, prononcer des mots incompréhensibles, gorge et ventre noués. Que m'arrive-t-il ? Est-cela grandir ? Ce Yo-yo d'émotions qui vous fait passer d'une joie immense à la pire des souffrances ? Alors, je veux retourner dans le ventre de ma mère, ne jamais avoir existé. La vie, c'est trop difficile.
Le mien sera immense : debout à son sommet, les étoiles m'éblouiront comme le soleil en plein jour. Et si le vent se met à souffler pour m'emporter, je n'aurai pas peur, car mon arbre m'embrassera dans ses branches et ses feuilles me protégeront du froid.
Visage
À première vue
L’ensemble rappelle un paysage nordique
Ou un Rothko
Une bande bleue sur une bande blanche
Mais à la lisière
L’éblouissement d’une aurore boréale
Un bleu surnaturel
Abrasif perçant brûlant
Lubrique ascète, dont l’iris dément magnétise
Monolithique dirait-on et qui pourtant s’abat
Vous piégeant dans son axe
L’eau dessous lèche
Tel le dromadaire use de sa langue le sel
Rayer la surface de huit en huit
Mais toujours faire durer l’hiver
1 FÉVRIER 2019/PAR POÉSIE EN LIBERTÉ