Vidéo du poème "Nothing changed"
C'est alors qu'on se rend compte que le passé peut être à la fois définitivement révolu et absolument présent. Si une grande partie s'efface de la mémoire récente comme une inscription dans l'eau ou sur le sable, ce qui demeure est aussi terrible ou agréable que si hier et aujourd'hui ne faisaient désormais, à jamais, plus qu'un. P. 161
"Un silence se fait où, sur nos langues, se bousculent des mots non encore prononcés, tels des passagers en surnombre qui s'efforcent de s'engouffrer dans un train déjà bondé ." P. 91
« Accroche-toi bien ! » me lance Danny en se redressant de toute sa hauteur, mais je le supplie de me reposer par terre, hoquetant avec hystérie que c’est inutile à présent. « La ferme, sale con ! rétorque-t-il. T’es tout ce qui me reste ! Tiens bon ou je te flanque un nouveau gnon entre les yeux ! ». Je tiens bon.
Les trilles s'élèvent, à une note de l'intelligible, et, sans qu'il ait besoin de s'époumoner comme un chanteur ni de pincer des cordes comme un musicien, se déversent aussi profusément que la lumière lunaire, naturellement, sur les collines, les églises, les chapelles ou le ramassis de pauvres types que nous sommes.
Il dispose dans l'allée ses peintures et son chevalet pliant fabriqué par lui-même, bloquant ainsi la circulation, ce qui semble ne gêner personne, puis "fait" mon œil gauche, sa main normalement si tremblante à présent compétente et assurée. Je demande si je peux voir la peinture et il me regarde comme si j'étais toqué, avant de hausser les épaules. Ce que je vois m'épouvante.
- Pourquoi est-ce que je louche d'un œil et où est la peau de mon visage ?
Patiemment, comme s'il parlait à un enfant, il explique :
- L'œil qui bigle est ton mauvais œil. Nous sommes tous ange et démon, comme tu sais. Et ton visage n'a pas de peau parce que je ne peins pas ta peau. Je peins ce qui se trouve sous ta peau, ta vraie personnalité que tu ne veux pas que je vois.
Les organes génitaux ne sont pas ceux d'un enfant, cependant. Adultes, agressifs, brutaux, ils s'étalent là, comme jetés par une main négligente. Je les examine avec attention pour la première fois. Loin de renforcer notre intimité, ils nous éloignent car, même dans ce triste paradis, ils représentent le tabou par excellence, la zone absolument interdite devant laquelle notre virilité brandit une lame tout aussi absolue.
Sans Danny je me sens comme un homme auquel on a coupé un organe essentiel. Puis au fil des jours et des semaines' il devient clair qu'une nostalgie quasi rituelle engourdit l'insupportable douleur initiale (P. 271)
Parfois je tente de faire face à la bête amorphe de mes sentiments, de lui donner une forme, un contenu, afin de l'interroger en espérant obtenir une réponse. Déjà mon esprit, rebelle récalcitrant, a élaboré un certain nombre d'informulables questions telles que : Suis-je l'un deux? Suis-je amoureux d'un homme? Mais je repousse violemment ces interrogations avec le désespoir d'un assiégé, puis avec une vulgarité délibérée je me concentre sur la mécanique de la sexualité entre hommes.
Des coassements de grenouilles dans un étang ou dans un cours d'eau lointain, le crissement, plus près, d'un grillon, pareil à celui d'un gond rouillé, et la senteur verte et pure des prairies, relevée par une légère odeur poivrée de bouse de vache, m'assaillent comme des souvenirs d'une innocence, laquelle - commec'est également le cas pour Danny? - est morte à la première pénétration qui, très bizzarement ne me fait plus crier dans mes cauchemars. Comme une fois auparavant, je me demande comme il se fait que je n'en aie pas revé depuis le jour où, au soleil, Danny m'a dit que j'avais crié en dormant. Médusé, je fais halte. Quelle est la cause de la stupéfaction? L'acceptation? L'accélération d'un processus d'apaisement, qui, parce qu'il intègre tout le reste, finira par mener à la guérison?
Je connais la douceur du pouvoir et l’amertume de son déclin programmé, mais le décor qui suggère des tourelles et des pierres médiévales ne m’enferme plus – seule l’intemporalité de l’obscurité m’enveloppe – et ce n’est pas une femme en particulier qui se tient là, ni un homme en particulier… Il n’y a qu’un être androgyne culpabilisé, mais qui ne se repent pas encore et qui ne souhaite pas que soient anéantis l’acte ni les conséquences de l’acte. « Vas-y chienne ! j’ordonne à part moi. Montre-moi ce que tu sais faire ! ».