Je viens de finir ce polar au prix de deux nuits écourtées dans mon lit, vu l'adresse de l'auteur à entretenir le suspens à chaque fin de chapitre ! J'ai fort goûté la façon malicieuse dont il a repris non seulement cette recette éprouvée de feuilletoniste, mais aussi les motifs emblématiques d'un genre qu'il a bien fait d'investir. Ce qui est très plaisant, c'est l'amusement sensible qu'il prend à incorporer une réjouissante collection de clichés(parfois même explicites : ah ! la vieille 403 de Colombo !) dans l'alerte narration dont il est coutumier. Mais de ces ingrédients communs il fait un plat personnel où l'on reconnaît l'auteur quand on l'a déjà lu (le Larzac, le lycée) et plus encore quand on l'a connu comme proviseur militant de l'art contemporain dans le quartier des Pyramides ! Caractéristique des intentions profondes, la confrontation finale ne met pas en scène un enquêteur confondant les coupables, mais un jeune romancier issu d'une cité (au double sens qu'il en vient et qu'il en est sorti) pulvérisant une sommité pontifiante complètement à côté de la plaque. Ce divertissement est donc aussi un roman à
thèse : celle de l'émancipation par l'appropriation d'une culture de qualité, dont la base est la maîtrise de la langue ! Ce propos lui permet de se livrer, une fois de plus, à un savoureux rendu de sociolecte (qui m'a rappelé "le Lexic des Cités" auquel j'avais modestement participé). A côté de ce morceau de bravoure, le final aux Bahamas, aussi délibérément conventionnel que tranquillement immoral, n'a à l'évidence aucune importance ! Pour finir, bravo une fois de plus pour la documentation, et aussi pour le talent de faussaire : le poème byronien clôt l'opus en beauté.
Critique littéraire Philippe
J'ai passé mon enfance à Evry, dans le quartier des Pyramides, à quelques pas de la clinique où j'ai vu le jour. Une zone urbaine sensible. Avec La Grande Borne de Grigny et les Tarterêts de Corbeil. Un des secteurs de l'Essonne où les flics évitent de mettre les pieds, de peur de recevoir sur la tête des objets divers tels un poste de télé relégué sur un balcon à cause de la TNT ou des boules de pétanque. La BAC effectue de temps à autre des descentes pour arrêter un boss de la drogue ou des islamistes prêchant le djihad par l'épée. Au petit matin de préférence, pour ne pas provoquer d'incidents. Quand ça ne va plus du tout, que les voitures flambent, qu'il y a du baston, du règlement de compte dans l'air, les CRS rappliquent et les habitants vivent pendant quinze jours dans un véritable camp retranché. Plus de bus. Des contrôles d'identité partout, des barrières antiémeutes, des fourgons de police, sirènes hurlantes. Puis la vie reprend son cours. Lorsque je raconte ça à un ami de Paris, il a un regard effaré comme si je sortais de Jurassic Park....