[...] ... En sortant de ma chambre [le 29 juin 1670], je trouvai le comte d'Ayen qui me dit : "Madame [= Henriette d'Angleterre, épouse de Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV] se meurt ! Je cherche M. Valot que le roi m'a commandé d'y mener." Je courais pour aller trouver la reine qui m'attendait [...]. En montant en carrosse, elle me dit : "Madame se meurt, et savez-vous ce qu'elle a dit ? Qu'elle croyait être empoisonnée." Je me récriai : "Ah ! Quelle horreur !" Cela me mit au désespoir ; nous, nous sommes de bonnes gens de notre race. Elle me dit : "Elle était dans le salon à Saint-Cloud en bonne santé ; elle a bu un verre d'eau de chicorée, que son apothicaire lui a apporté ; un quart-d'heure après, elle s'est mise à crier qu'elle sentait le feu dans ses entrailles ; qu'elle n'en pouvait plus. On lui a donné un remède. Ce mal a continué ; enfin elle crie sans cesse, et l'on est venu [...] quérir M. Valot [...]." On se mit à la plaindre ; car, depuis quelque temps, la reine l'aimait mieux qu'à l'ordinaire. Elle contait à la reine tous ses chagrins et la reine en avait pitié [...].
Le gentilhomme, que la reine y avait envoyé, revint et rapporta qu'elle était à l'extrémité ; que les médecins disaient qu'elle avait la colique et que, pour elle, elle disait qu'elle se mourait et qu'elle lui avait dit : "Dites à la reine que, si elle me veut voir, qu'elle vienne bientôt ; car, si elle tarde, je serai morte." [...]
Le roi vint, qui [...] dit à la reine : "Venez si vous voulez." L'on se mit dans le carrosse du roi, les vitres bien fermées, le roi, la reine, la comtesse de Soissons et moi. En chemin, nous trouvâmes M. Valot, qui nous dit que ce n'était qu'une colique, [...] que ce mal ne durerait pas et qu'il n'était point dangereux. Cela nous parut au visage de tous ceux que nous trouvâmes en arrivant : car il n'y en avait guère de mélancoliques. Monsieur était étonné ; Madame était sur un petit lit que l'on avait fait dans sa ruelle, quasi échevelée (on n'avait pas eu le temps de la coiffer de nuit) ; sa chemise dénouée au cou et aux bras, de sorte que, maigre comme elle était, le visage pâle et le nez retiré, cela avait un air quasi d'une personne morte, si elle n'eût pas crié. Elle nous dit : "Vous voyez l'état où je suis." Tout le monde se mit à pleurer, au moins ce qui était avec la reine ; Mmes de Montespan et La Vallière vinrent. Elle faisait des efforts pour vomir et ne pouvait. Monsieur lui disait : "Vomissez, Madame, afin que cette bile ne vous étouffe pas." Elle voyait la tranquillité de tout le monde avec peine ; car je n'ai jamais rien vu de si pitoyable que l'état où elle était et celui où elle voyait les autres. Elle parla au roi quelque temps bas. Je m'approchai d'elle, je lui pris la main ; elle me la serra et me dit : "Vous perdez une bonne amie ; je commençais à vous aimer et à vous connaître." Je ne répondis rien ; je pleurais. ... [...]
[...] ... Monsieur [= Gaston d'Orléans, père de Mademoiselle] fut le matin au Palais pour assurer messieurs du parlement qu'il n'avait point de traité fait et qu'il ne se séparerait point des intérêts de la compagnie ; qu'il périrait avec eux. Il leur parla en ces termes ou encore plus exprès ; la compagnie le remercia. C'était le lundi au matin. L'on nous vint dire chez Mme de Choisy que Son Altesse Royale avait ordre de s'en aller. Je m'en allai courant au Luxembourg. En entrant, je trouvai M. le duc de Rohan qui était accusé, et avec assez de raison, d'être bien à la cour et d'avoir abandonné les intérêts de Monsieur le Prince, à qui il avait assez d'obligation. Je lui en dis mon sentiment assez vertement ; puis j'entrai dans le cabinet de Madame, où je trouvai Monsieur, à qui je demandai s'il avait ordre de s'en aller. Il me dit qu'il n'avait que faire de m'en rendre compte. Je lui dis : "Quoi ! vous abandonnez Monsieur le Prince [= le Grand Condé] et M. de Lorraine !" Il me répliqua encore la même chose. Je le suppliai de me dire si je serais chassée ; il me dit qu'il ne se mêlait point de ce qui me regardait ; que je m'étais si mal gouvernée avec la cour qu'il déclarait qu'il ne se mêlerait point de ce qui me regardait [sic], puisque je n'avais point cru ses conseils.
Je pris la liberté de lui dire : "Quand j'ai été à Orléans, ç'a été sur votre ordre : je ne l'ai pas par écrit parce que vous me le commandâtes vous-même ; mais j'en ai [de vos ordres par écrit] pour toutes les choses qui y étaient à faire, et même des lettres de Votre Altesse Royale plus obligeantes qu'il ne m'appartenait, où elle me témoigne des sentiments de bonté et de tendresse qui ne m'eussent pas fait croire que Votre Altesse Royale en dût user comme elle en use présentement. - Et l'affaire de Saint-Antoine, me dit-il, ne croyez-vous pas, Mademoiselle, qu'elle vous a bien nui à la cour ? Vous avez été si aise de faire l'héroïne et que l'on vous ait dit que vous l'étiez de notre parti, que vous l'aviez sauvé deux fois, que, quoi qu'il vous arrive, vous vous en consolerez quand vous vous souviendrez de toutes les louanges qu'on vous a données."
J'étais dans un grand étonnement de le voir en telle humeur. Je lui répartis : "Je ne crois pas vous avoir plus mal servi à la porte Saint-Antoine qu'à Orléans. J'ai fait l'une et l'autre de ces deux choses si reprochables par votre ordre ; et si c'était encore à recommencer, je le ferais, puisque c'est mon devoir de vous obéir et de vous servir. Si vous êtes malheureux, il est juste que j'aie ma part à votre mauvaise fortune ; et, quand je ne vous aurais pas servi, je ne laisserais pas d'y avoir participé. C'est pourquoi il vaut mieux, à ma fantaisie, avoir fait ce que j'ai fait que de pâtir pour rien. Je ne sais ce que c'est que d'être héroïne : je suis d'une naissance à ne jamais rien faire que de grandeur et de hauteur en tout ce que je me mêlerai, et l'on appellera cela comme l'on voudra ; pour moi, j'appelle cela suivre mon inclination et suivre mon chemin ; je suis née à n'en pas prendre d'autre." ... [...]