AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Shaynning


Incontournable Roman Mai 2024


La maison Druide propose une série pour le lectorat Jeune adulte (JAD), avec un mélange parfumé de forêt nordique, de science botanique et de quête personnelle, à déguster comme un bon thé à l'érable. Un roman idéal pour les amateurs et amatrices de sciences et d'Histoire, qui aiment apprendre en lisant.


1861. Avoir des origines modestes n'empêche aucunement l'ambitieuse et passionnée des plantes Lucy Bird de s'être formée aux sciences botaniques et de maintenant représenter sa Majesté la Reine Victoria, pour le compte du Kew Garden de la Royal Botanic Society de Londres. Chasseuse de plantes, elle réussi à obtenir le mandat de découvrir des plantes potentiellement précieuses dans le Nord canadien, plus précisément au Québec. Avec l'aide d'un coureur des bois expérimenté et parlant l'innu-aimun, Étienne, Lucy s'engage dans un voyage qui n'a rien de facile, dans une forêt vaste qui n'est pas sans dangers. Consciente que son statut de femme requiert encore plus de faire ses preuves auprès de ses collègues, Lucy se montre déterminée, téméraire même, bien plus capable et débrouillarde que le laisse croire son côté british. Surtout, un élément de son passé, qu'elle tente d'enfouir en elle, pourrait bien resurgir, sur ses terres où la Nature et les premières nations sont intimement liées. Alors que la rencontre avec des innus, récemment attaqués par des Blancs, laisse présager la fin de leur voyage, Lucy devra ruser et employer ses nombreuses connaissances afin de les sortir de cette délicate situation. Une situation qui va tourner à la mission de sauvetage.


Je le précise d'entrée de jeu, c'est un roman avec de nombreuses descriptions et de nombreuses incursion dans le passé de l'héroïne. Il tient plus de ces romans qu'on savoure pour le voyage que ces romans qu'on lit pour l'expédier. On y trouvera de nombreuses références aux plantes et aux techniques d'époque, bien sur, et l'auteur se permet de prendre le temps d'asseoir les impressions et constats de son héroïne. L'avantage, c'est qu'on a l'impression d'être avec elle, mais cela ralentit le rythme. En même temps, je n'ai pas souvent vu des oeuvres qui ont mit autant de travail sur le décor de la forêt boréale, alors personnellement, avoir cette richesse de détails me plaisait. Certains passages m'ont même fait sourire, surtout celui sur le "plus grand monstre des marais", dépeint comme un être impitoyable et impossible à battre, qui est en fait un être minuscule et qui fait pester les québécois et autochtones depuis toujours et dont je vous laisse deviner le nom.




Nous croiserons la route d'une première nation, les innus. Je suis vraiment heureuse de retrouver leur langue dans le texte, avec des traductions en bas de page. Nous avons trop peu souvent la chance de voir cette langue, et la voir intégrer une oeuvre littéraire jeunesse ne peut que la mettre en valeur. Je rappelle que sans les premières nations, nos ancêtres français n'auraient jamais tenus le premier hiver. Il y a donc un devoir de mémoire et de respect envers nos communautés natives, dont la riche culture est définitivement à connaitre. Leurs savoirs sur la forêt, leur respect pour le vivant et leur conscience écologique sont autant d'aspect qui seront traités dans le roman. L'animosité entre les deux groupes ethniques, autochtones et allochtones, est également présente, car si l'accueil fut à priori courtois, le traitement envers les autochtones par la suite par les Blancs ne l'est pas du tout. La menace de leur extinction ne date pas d'hier.




Plus on avance dans l'histoire, plus on découvre aussi l'histoire de notre héroïne, issue des quartiers mal famés, orpheline car abandonnée, et ayant vécu la perte d'une personne d'importance. de plus, au-delà de la dimension historique, nous avons aussi une réalité scientifique différente. À une époque encore très croyante et à l'éducation plébéienne limitée, faire valoir le potentiel curateur et bénéfique des plantes devait être relativement difficile à faire. Néanmoins, nous verrons que les autochtones avaient bien plus de savoir de ce côté.




Quand à Lucy elle-même, elle est courageuse et décidée, fière également, et en ce sens, elle me semble avoir beaucoup en commun avec nos ancêtres femmes autochtones, dont beaucoup d'entre elles étaient des meneuses et des cheffes de famille. L'avis des femmes étaient important dans plusieurs des différentes nations. Il y a une dimension du roman qui se consacre à sa psyché également, alors nous avons le loisirs d'observer les débats, les incertitudes et les luttes qui se déroulent en elle, sans parler de ses valeurs, confrontées à plus d'une reprise. Oh, et elle parle un français impeccable, une langue qui avait bien plus de reconnaissance à cette époque, j'ai souvent l'impression.


Avoir ici un roman d'époque n'empêche pas un niveau de français élégant et vous ne trouverez pas de "joual", ce langage familier québécois qui se parlais davantage à l'époque. Étienne parle la langue innue, le personnage de Kashiashtan, chef innu, parle également la langue de Nelligan. En somme, on a pléthore de personnages bilingues! Il est à noter qu'à l'instar de l'innu-aimun, l'anglais est également préservé et traduit en bas de page, mais est largement moins présent ( pour une fois!).


En somme, Benjamin Alix nous invite dans une incursion fascinante de la nature nordique et de son peuple, malmené, mais toujours fier, dans un décor à la fois enchanteur et impitoyable, qui ont fait rêver les gens en quête de liberté d'autrefois au même titre que nos actuels touristes. La Belle Province continue d'être un endroit magnifique, même si les enjeux lié à sa préservation restent très présents, mais nous avons peu de romans jeunesse pour en parler plus précisément. de même, nous avons depuis peu de romans pour aborder les enjeux liés aux premières nations, dans toute ses formes de violence et sans tomber dans le jugement. Ici, il est assez clair que les innus constituent un peuple d'une grande richesse culturelle, qu'on a injustement traités et qu'on a longtemps traiter en inférieurs du fait d'un mode de vie en adéquation avec la nature. Une ironie quand on constate qu'ils avaient raison: Nous sommes tous une part de cette nature et elle pourvoit à tous nos besoins, du moment qu'on l'apprécie et qu'on sache s'en contenter. L'Homme Blanc européen, avec sa cupidité et ses délires de grandeurs, n'a pas épargné le territoire et les premières Nations en ont très largement payés les frais. Quand aux sciences médicales, elles proviennent de cette même Nature qu'on s'évertue à instrumentaliser. Ironie, quand tu nous tiens. Je vous invite donc à lire ce premier tome d'une série en contexte historique, rempli de plantes et de rencontres surprenantes, où cette fois la nature québécoise n'est pas adoucie par le courant littéraire du terroir qui l'a un peu trop édulcoré, et où le "Nouveau-Monde" est en réalité un monde déjà ancien qui se fait lentement spolié de ses ressources par un autre.




Pour un lectorat jeune adulte, 17 ans + ** Mais les ados qui s'y intéressent peuvent s'y glisser sans problèmes, il n'y a ni viols ni scènes violentes graphiques.




Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}