Ces deux romans ont eu sur moi un effet incroyable. Dire que j’ai adoré mes lectures serait un euphémisme car, au-delà de ça, elles m’ont profondément touchée. Je n’avais jamais lu de SF positive et ce fut une expérience des plus bouleversantes.
Cela ne correspond pas à mon point de vue quant à notre avenir – je suis plutôt du genre très très pessimiste –, mais finalement, c’est avec mon présent que ces livres ont fait écho. Avec ma « philosophie de vie » pour le dire pompeusement, ou du moins, celle que je construis petit à petit au fil de ces dernières années, avec mes rêves et mes désirs aussi.
Lors du premier tome, j’ai trouvé cela terriblement réconfortant. L’occasion de sortir du marasme habituel, des visions et nouvelles déprimantes auxquelles nous sommes plus ou moins accoutumé·es, de renouer un peu avec l’espoir. En parlant d’accoutumance, on s’habitue aux dystopies, au toujours pire, et on finirait presque par trouver que notre situation n’est pas si terrible comparée à ce qu’on lit et ce qu’on voit dans la littérature et le cinéma post-apocalytiques parce que ça pourrait être pire finalement. De fait, j’ai trouvé intéressant de regarder de l’autre côté du spectre, vers l’utopie plutôt que la dystopie. Et comme je le disais à mon amie V. justement – qui de son côté lisait l’excellent roman post-apo Station Eleven d’Emily St. John Mandel –, j’ai été presque plus malmenée par le second tome de Monk and Robot que par du post-apo bien catastrophique justement parce que je me dis que c’est parfaitement utopique et que l’on ne parviendra jamais à cet équilibre.
La dystopie et le post-apo alertent en soulignant des aspects de nos sociétés, en dépeignant ce qu’il pourrait advenir (ce qu’il advient déjà…), mais, d’une certaine façon, cette science-fiction optimiste va dans le même sens. Par le biais de l’utopie, elle ne fait que rendre notre monde plus aberrant et plus intolérable par son avidité, son agitation perpétuelle, son capitalisme et sa surconsommation, ses guerres, ses systèmes pour broyer les plus faibles, son pouvoir de nuisance.
Dans l’univers dépeint par l’autrice, les relations humaines sont apaisées et ouvertes – interactions sociales, amicales, amoureuses – et débarrassées d’un jugement perpétuel, même si cela n’empêche pas les différences de point de vue. Oui, c’est totalement utopique vu que les humains se tapent dessus depuis toujours, mais, oui, ça fait aussi du bien de croire un instant que l’on pourrait évoluer. (Suspension d’incrédulité ON.)
Je n’ai même pas envie de résumer l’intrigue car les détails de celle-ci importent peu. Je dirai simplement qu’il s’agit d’une invitation à un voyage. Au fil des pages et des échanges entre l’humain Sibling Dex et le robot Mosscap (je suis tombée sous le charme de ce personnage qui pose un œil interrogateur sur l’humanité et déploie sa propre poésie dans son rapport au monde) se déroulent des réflexions sur le sens de la vie, sur la nature des choses, sur le corps et l’esprit, sur le but et les désirs de chacun. Mais leurs conversations questionnent également la consommation, l’industrie, la société, la place laissée à chaque être vivant, le bonheur.
Je ne savais pas exactement à quoi m’attendre, mais j’ai découvert que « positif, optimiste » ne voulait certainement pas dire « mièvre ». Elle n’oblitère pas le fait que les gens ont effectivement des problèmes et des tracas, des besoins de changements de vie, des remises en question, des doutes. (Certes, ça peut paraître futile comparé aux drames sociaux et écologiques que nous connaissons, mais justement, ça serait beau si les seuls problèmes du quotidien étaient ceux affrontés par Sibling Dex, si tout un chacun pouvait être dans l’amélioration de son bien-être et non plus dans la survie.)
J’ai été séduite par tant de petits détails. « Allalae, God of Small Comforts », une religion qui réconforte ; les ordinateurs de poche, “a reliable device built to last a lifetime, as all computers were” (oui, c’est utopique, nous sommes d’accord) ; l’entraide qui irrigue les communautés… J’ai tout simplement aimé découvrir chaque aspect de ce monde, son fonctionnement, ses villages et j’espère qu’on aura l’occasion d’en apprendre davantage.
Peut-être mon ressenti aurait-il été différent si je ne les avais pas lus en anglais. Au-delà du petit exercice mental pour intégrer le « they » comme pronom neutre et non pas pluriel, j’ai trouvé le tout très fluide et efficace.
Je suis ressortie de ces deux petits romans contemplatifs et philosophiques bercée par une douce mélancolie et une beauté poignante. Heureusement, le tout est mâtiné d’humour et d’une énorme tendresse pour ce duo génial. En peu de pages, à travers de simples tranches de vie. Becky Chambers donne à voir un monde, un état d’esprit, un rapport à l’altérité, qui font un bien fou et invite à prendre le temps. On m’a prêté ces romans, mais je pense que je ne résisterai pas à me les offrir.
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