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Critique de Nastasia-B


Avant que de donner un quelconque misérable avis sur du théâtre antique, peut-être vaut-il d'y glisser un petit avertissement pour les lecteurs profanes, que nous sommes en majorité (je m'inclus dedans, bien évidemment). Qu'était-ce donc que le théâtre au temps de Sophocle ?

Un divertissement parmi d'autres ? sûrement pas. Un spectacle raffiné pour élite bourgeoise ou gratin mondain ? encore moins. Plus vraisemblablement un outil d'édification des foules, un peu comme aujourd'hui on regarde un spot publicitaire du gouvernement pour nous enjoindre à trier nos déchets ou à éviter les accidents domestiques, ou bien, il n'y a pas si longtemps, les programmes éducatifs de la défunte O.R.T.F. Ou bien encore, comme on s'accorde à reconnaître les bienfaits des programmes de sensibilisation aux dangers des drogues ou à la bonne hygiène sexuelle pour former les jeunes lycéens. C'était un peu ça le théâtre, une sorte d'outil de propagande doublé d'une visée moralisante et normative pour assurer autant que possible le bon fonctionnement et l'harmonie sociales.

Pour atteindre cet objectif, afin de marquer durablement le spectateur, le théâtre va choisir d'agir directement sur le centre des émotions, et si possible les deux émotions extrêmes que peut ressentir un spectateur : soit les larmes, soit le rire. Voici de fait les deux genres majeurs, caricaturaux par nature mais parfaitement efficaces et compréhensibles en regard de l'objectif poursuivi, qu'a produit l'art théâtral grec : la tragédie et la comédie.

Ainsi donc, si l'on replace Sophocle dans ce contexte, notre lecture et nos attentes sont quelque peu différentes. On y lira par exemple l'éloge du patriotisme, de la fidélité et de quelques autres vertus (ou considérées comme telles) à l'époque. Mais pour nous autres, lecteurs du XXIième siècle, qu'attendre du théâtre antique ? « Telle est la question » a répondu un autre dramaturge, et c'est celle-ci qu'il nous faut nous poser.

Si c'est pour le message brut véhiculé à l'origine par ces pièces, manifestement il y a péremption et l'on se trompe de chemin. Par contre, si c'est pour la forme ou pour tout autre apanage, alors pourquoi bouder notre plaisir ? J'en connais qui admirent des affiches Art Nouveau, non pas pour ce qu'elles évoquent et qui a disparu, mais parce qu'elles sont belles, tout simplement.

Peu sont ceux qui peuvent encore jouir de la musique de la langue que procurait le grec ancien : il nous faut nous rabattre sur des traductions, où, après le fond, l'on perd encore un peu de ce quelque chose qu'y avait mis l'auteur pour forger une oeuvre complète, complexe, équilibrée et marquante. Avec ses trente pour cent, peut-être, de ce qui nous arrive aujourd'hui à nous, les lecteurs profanes, par rapport à l'oeuvre initiale, il faut chercher à y trouver tout de même son bonheur.

Ce bonheur vient par éclairs, par flash, lorsque l'auteur touche du doigt un paramètre de l'humain qui n'a pas changé depuis vingt-cinq, quatre ou trois cents siècles, qui est du registre de l'Humain en tant qu'espèce, indépendamment de toute appartenance à une société donnée à un moment donné, message qui ne se flétrira pas davantage dans mille ans ou dans cinq cents siècles, pour peu que l'humain sache se trainer jusque là.

Ceci est possible également à une autre échelle que l'auteur ignorait et qui n'était pas l'objectif poursuivi à l'époque mais qui a grandi avec le décalage temporel : celle de témoignage quasi ethnographique sur un mode de pensée aujourd'hui révolu et qui pourtant est le fondement, la base, l'origine, le foyer du système occidental.

Aussi, lisez-le pour ça, ce théâtre, pour ce témoignage, pour ce qu'il peut vous apprendre d'universel et qui n'a pas tremblé d'un iota depuis lors, un peu comme vous lisez Anne Frank ou Primo Levi, et alors, vous ne serez probablement pas déçus.

Si vous attendez la puissance de certains écrits plus modernes, peut-être n'y trouverez-vous pas tout votre content (quoique, ce n'est pas sûr), mais ce n'est là que mon avis, tragique par essence, c'est-à-dire, pas grand chose.
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