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Critique de AMR_La_Pirate


Il est toujours enrichissant de se replonger dans les classiques en période de crise. le N° 146 de l'hebdomadaire le 1 cite cette semaine L'esprit des Lois à l'occasion de son numéro consacré à la corruption… C'est l'occasion pour moi de re-parcourir Montesquieu.
L'esprit des lois est le fruit de presque vingt ans de réflexion sur ses expériences passées, ses voyages en Allemagne, Hongrie, Autriche, Italie, Hollande, Angleterre… Montesquieu s'est épuisé dans cette tâche monumentale, par amour pour la raison et la vérité dans un profond respect de la nature humaine.
Publié en 1748, cet ouvrage est toujours aussi juste et résonne à nos oreilles de lecteurs du XXIème avides de comprendre les grands problèmes contemporains.

Montesquieu part des lois naturelles, une forme de raison primitive qui régit le monde : les lois des hommes sont les lois positives, issues de la raison humaine et dans cette logique, les lois politiques de chaque pays ne devraient être que des prolongements de cette distinction fondamentale, quels que soient les époques, les pays et les gouvernements. Les élans lyriques de la préface donnent toute la mesure de l'oeuvre accomplie et de l'espoir que Montesquieu fonde dans une science politique lucide et sereine
Mais les différents types de gouvernement, républicain (démocratie et aristocratie), monarchique et despotique, n'appliquent plus vraiment ces principes fondateurs et complexes. Montesquieu insiste sur les notions indispensables de vertu démocratique et de modération aristocratique ; il met cependant en garde sur les risques de l'ambition, « pernicieuse dans une république », mais parfois bénéfique dans la monarchie placée sous le signe de l'honneur ; enfin la crainte suscitée dans les régimes despotiques est inconcevable dans une société civilisée. Chacun de ces mots, aux sens très forts mériteraient un long développement.
Rapidement, le concept de corruption fait son apparition : « la corruption de chaque gouvernement commence presque toujours par celle des principes ». Pour ne parler ici que de la démocratie, régime qui nous rapproche de notre époque actuelle, Montesquieu isole deux menaces : l'ambition individuelle dans un souci d'égalité et une forme d'insubordination ou « esprit d'égalité extrême » quand « chacun veut être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander ». Cette situation provoque l'anarchie et favorise le despotisme.
Les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif des différentes nations ne fonctionnent pas de manière égale face aux réalités communes dégagées par Montesquieu. C'est pourquoi il prône la séparation et l'équilibre des trois pouvoirs, la liberté politique se limitant au « droit de faire tout ce que les lois permettent », dans « cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sureté ».

Montesquieu ne se limite pas au domaine politique : son analyse est d'une telle ampleur qu'elle englobe aussi l'espace et la géographie avec notamment sa fameuse théorie des climats qui en influençant le tempérament des peuples agissent aussi sur les lois ; c'est l'occasion d'aborder la question de la servitude et de l'esclavage et de déconsidérer par l'ironie cette pratique aujourd'hui taxée de crime contre l'humanité ; en effet, il nous propose un faux plaidoyer en faveur de l'esclavage qui rappelle l'extermination des indiens d'Amérique et leur remplacement par la main d'oeuvre africaine, la réalité des plantations sucrières, qui stigmatise aussi les différences raciales, reprend la théorie de l'absence d'âme chez les noirs, rabaisse leur naïveté... L'auteur revisite les idées reçues pour mieux les mettre à mal.
Montesquieu donnait une forme de suprématie aux climats froids et aux peuples nordiques ; dans les pays froids, les gens sont plus vigoureux, plus courageux, moins enclins aux plaisirs, moins sensibles à la douleur. Plus les zones sont tempérées et chaudes et plus leurs habitants sont timides, soumis à la recherche des plaisirs et à la sensibilité… Naturellement les lois doivent tenir compte de ces différences.
Le climat interfère aussi dans les relations entre hommes et femmes et est cause d'une « inégalité naturelle ». Nous pouvons lire des pages sur la nubilité, la polygamie, la situation des femmes en Orient, la pudeur, la répudiation et le divorce…
De même les conditions de fertilité du sol influencent les conditions de vie et de subsistance : on ne légifère pas de la même façon pour des nations cultivatrices ou commerçantes, pour des peuplades d'éleveurs de troupeaux ou de chasseurs.
Certes, les déductions de Montesquieu peuvent sembler un peu hâtives ; j'ai en mémoire l'expérience avec la langue du mouton qui l'amène à écrire des généralités sur la psychologie des peuples… Mais il a au moins eu le mérite de démontrer que la science politique doit tenir compte de phénomènes physiques, psychologiques et économiques.

La fin de cet essai est plus compliquée, très juridique et donc d'une lecture plus difficile… J'avoue l'avoir un peu survolé à partir du Livre XXVI. Montesquieu donnent des conseils avertis aux législateurs après avoir fait en quelque sorte un grand historique de droit depuis les origines.

Chez Montesquieu, la science politique doit être utile au bonheur des hommes, dans le progrès social et la garantie d'une certaine liberté, modérée par une forme de vertu et d'obligation morale.
Ainsi, pour cet érudit en matière de littérature grecque et latine, la démocratie antique était une sorte de gouvernement idéal mais incompatible avec les civilisations modernes. Il avouait aussi une nette préférence pour la constitution anglaise et réfléchissait à une constitution semblable pour la France, à une adaptation de la monarchie absolue en limitant les pouvoirs royaux à une époque où l'on commençait à se révolter contre les privilèges. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen s'inspirera de ses idées notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs ; par contre, Montesquieu préférait la liberté à l'égalité et ne revendiquait pas l'abolition de tous les privilèges.
L'auteur a développé une méthode et des expérimentations scientifiques pour mettre en lumière un ordre universel, général et admis au-dessus des personnalités qui dirigent les hommes et les pays. Dans ce grand travail de clarification et de compréhensions des lois humaines, il garde cependant une posture critique envers les abus, les tyrannies et les intolérances.
À relire et à méditer.
À conseiller peut-être comme livre de chevet aux candidats à l'élection présidentielle qui s'approche…
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