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Citation de Charybde2


Trois ans auparavant, maman avait décidé de ne plus laisser Agnès aller à l’école – décision que son père n’avait jamais acceptée. Quand elle venait chez lui, dans son appartement, il exigeait qu’elle apporte avec elle des manuels scolaires. Cette fois, elle avait pris un volume de biologie, niveau sixième.
– Mais je sais déjà tout ça, a-t-elle dit à son père d’un ton geignard. Tu peux pas me donner un peu de bœuf haché ? Ou du porc, du poulet ? Ou même des protéines végétales, si tu en as. Ça me va aussi. Je peux aussi faire une sorte de terre glaise avec des fèves cuites. C’est pas aussi bien, mais bon… Tiens, si tu veux, je peux m’en servir pour faire un modèle réduit du système digestif. Tu vois, pour montrer que j’ai tout bien appris.
Son père lui a arraché le manuel des mains.
– Comment appelle-ton le système qui transmet les messages du cerveau au reste du corps ? a-t-il demandé.
– Le système nerveux, a répondu Agnès en levant les yeux au plafond et en posant ses bras croisés sur la table. Celui-ci se divise en deux parties, le système nerveux central et le système nerveux périphérique. Tu veux que je donne plus de détails ? Tu veux que je te décrive le développement évolutionnaire des tissus neuronaux ?
Agnès était incollable sur l’anatomie, grâce à son amour pour les films d’horreur. Quand elle s’était installée dans la maison avec sa mère, elle en avait regardé des tonnes, de façon obsessionnelle. C’était à ce moment-là qu’elle avait décidé qu’elle deviendrait maquilleuse cinématographique professionnelle, spécialisée dans le gore.
En regardant des films d’horreur, elle pouvait revivre le traumatisme du viol dans un environnement sécurisé, elle pouvait commencer à l’aborder, à l’appréhender, de loin, avec la possibilité de s’arrêter quand elle le voulait. C’était ce qu’elle avait entendu une psychologue dire à sa mère. Agnès n’était pas d’accord avec cette interprétation. Elle aimait juste beaucoup voir des êtres se faire éviscérer, qu’ils soient des zombies, des monstres, des extra-terrestres ou des êtres humains. Ils paraissaient si fragiles, elle se sentait plus solide par contraste.
Elle avait regardé tous les films d’horreur qu’elle avait pu trouver, elle les avait vus plusieurs fois, puis sa passion pour la biologie, la physiologie et l’anatomie avait changé de forme, retombant plutôt sur un jeu vidéo appelé DigiPaws, dans lequel il fallait s’occuper d’un animal virtuel. Agnès avait téléchargé un pack de maladies réalistes créé par les utilisateurs, et avait ainsi beaucoup appris sur les différentes formes de souffrance que pouvaient subir les corps. Elle avait aussi appris qu’il existait plus de façons de souffrir que de soulager la douleur. « Il y a plus de maladies qu’il n’y a de remèdes », avait-elle dit à sa mère. Pour nourrir cet intérêt, maman l’avait inscrite au zoo, à un programme pour zoologistes en herbe ; Agnès s’y rendait une fois par semaine.
Pourquoi alors son père s’acharnait-il à lui faire étudier un bouquin débile pour les petits enfants, où les corps sont dessinés sans les parties génitales et où les intestins sont représentés comme s’ils étaient en plastique ? (« Avant d’être avalée », 2018)
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