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Citation de Charybde2


En marge du paradigme de la conquête de l’espace, de ses discours d’accompagnement propagandistes, de la longue histoire militaire dans laquelle il s’inscrit et des incessantes tentatives de marchandisation du milieu, des pratiques scientifiques, des critiques et des contre-récits ont de longue date émergé. Ceux-ci ébranlent l’idée préconçue d’un désir d’espace uniforme et consensuel, à rebours d’une doxa qui a non seulement imposé une lecture trop apaisée de l’histoire de l’astronautique, mais a aussi arbitrairement dessiné son futur. Car les utopies cosmiques et expansionnistes ont la vie dure, dans les discours des multimilliardaires perfusés à la science-fiction comme dans les effets d’annonce des agences et des industriels qui peinent à s’en extirper, voire cultivent le flou si cela peut concourir à légitimer certaines de leurs activités. Le caractère performatif de ces récits imposés est tout relatif – nous avons pu voir que l’économie de l’espace, par exemple, repose en grande partie sur la commande publique – mais ces derniers n’en demeurent pas moins dominants, au point d’écraser tous les autres. C’est pourquoi un travail de dévoilement d’autres espaces – d’actions et de réflexions – est nécessaire.
Ce travail implique en premier lieu de ne pas sacrifier les technologies du spatial sur l’autel de leur histoire contrariée. L’historienne et sociologue des sciences Susan Lindee a bien montré que l’essor des sciences et des techniques modernes tire souvent ses racines des guerres, véritables « laboratoires » venant alimenter accidentellement l’accroissement des connaissances en produisant çà et là ce qu’elle nomme des « données collatérales » (en référence aux « dommages collatéraux »). Ainsi en va-t-il, entre autres choses, des industries chimique et biologique (dont les usages militaires ont été traumatisants), du nucléaire (de la bombe à la centrale), de la balistique, de la statistique ou encore de l’astronautique. Il n’y a dans ce constat aucune fatalité bien sûr, et encore moins matière à légitimer la guerre elle-même : les progrès scientifiques peuvent tout à fait s’en passer. De même que Lindee fait de l’étude de ces laboratoires une contribution plus générale à l’histoire des sciences, nous avons froidement documenté celle de l’astronautique et souligné sa violence. Il nous faut tout aussi froidement rappeler l’importance capitale du milieu et des technologies spatiales dans le monde qui est le nôtre. Non pas dans l’idée d’applaudir l’ensemble des usages qui en découlent (par exemple, l’accélération des flux marchands ou militaires permise par les « mégaconstellations »), mais avant tout pour redire son intérêt scientifique. À double titre : celui d’une quête de connaissance qui concerne notre univers mais aussi l’amélioration de notre compréhension du changement climatique dont les satellites fournissent des preuves cruciales. Ces activités essentielles ne continueront pas à se faire sans fusées, sans bases de lancement ni sans les savoir-faire des ingénieurs qui bâtissent et maintiennent ces systèmes techniques.
Cet ultime chapitre fournira aussi des éléments pour une histoire davantage sociale et culturelle de l’espace. Une histoire ponctuée de critiques, mais également d’imaginaires sociotechniques qui tranchent avec les récits de conquête et les velléités de colonisation d’espaces vierges dans le registre du Far West. Nous ne devrions pas doucher les rêves d’exploration et de contemplation de l’espace au prétexte qu’ils ont été happés par la rhétorique des astrocapitalistes. Ils n’en sont pas les dépositaires. D’autres perspectives culturelles, d’autres cosmologies leur ont fait face et continuent de le faire, dans des domaines aussi variés que l’ingénierie, la lutte pour la démilitarisation, la culture populaire, la science-fiction ou les revendications décoloniales.
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