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Critiques de Delphine Horvilleur (398)
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Vivre avec nos morts

Ce « petit traité de la consolation » est un grand livre que je recommande à ceux qui envisagent de mourir un jour et, beaucoup plus largement, à tous ceux dont la famille ou l'entourage sera visité un jour par Azraël, « l'ange de la mort ».



Conteuse merveilleuse, Delphine Horvilleur, a croisé Elsa Cayat, la psy assassinée de Charlie Hebdo, et Marc, son correspondant, Simone Veil et Marceline Loridan, les « filles de Birkenau », Yitzhak Rabin, mais aussi Moïse, Ilan Halimi, et des anonymes, Ariane, Isaac ou Sarah dont elle a présidé les cérémonies au cimetière, et Myriam, l'américaine qui a survécu à son inhumation new-yorkaise, et enfin son oncle Edgar, inhumé au cimetière alsacien de Westhoffen.



Onze chapitres qui révèlent une attention, une culture, une écoute, une intelligence et un humour extraordinaire enraciné dans une culture juive (et laïque) nourrie au quotidien de rencontres avec des personnes confrontées à la mort ou à un décès, les unes croyantes, voire pratiquantes, les autres agnostiques ou athées. Chacune avec ses doutes, ses espérances, sa foi, notamment quant à la vie post mortem et la résurrection.



Onze contes autobiographiques complémentaires et différents sur la mort, mais surtout sur la vie, qui interpellent chacune et chacun, dans une langue simple, portée par une personne bienveillante qui a l'humilité de partager ses doutes et la charité de proclamer sa foi.



« J'ai compris que l'élève-rabbin que j'étais ne remettrait plus jamais en doute la possibilité de la résurrection, puisque j'en avais été le témoin » affirme t-elle. le chrétien (que je suis) croit en la résurrection des morts et en la vie éternelle. Lecteurs de la Bible, et notamment du Deutéronome, (30:19) nous partageons le même verset « J'ai placé devant toi la vie et la mort, dit l'Eternel. Et toi, tu choisiras la vie ! ».



Un paradis où ne serait pas Delphine Horvilleur ne me semble pas concevable et j'espère avoir le plaisir de la rencontrer avant, en ce bas monde, devant un verre de Kirsh alsacien, pour proclamer ensemble « A la vie ! » … « LeH'ayim ! ».



PS : ma lecture de "Un temps pour mourir"
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Vivre avec nos morts

Qui m'aurait dit que moi, la laïque, je me passionnerais pour le livre d'un rabbin, ce rabbin fût il une rabbine, vive, spirituelle, archi cultivée et d'une tolérance, d'une ouverture d'esprit sans pareille ?



Sitôt refermé, j'ai déjà envie de relire le magnifique livre de Delphine Horvilleur auquel je ne cesse depuis quelques jours de revenir, où je puise une sagesse qui m'apaise, un humour qui me titille les zygomatiques, une connaissance qui m'enrichit et une espérance dont j'ai le plus grand besoin.



Bref, Vivre avec nos morts au titre oxymorique, est devenu mon livre de chevet !



Delphine Horvilleur se veut avant tout conteuse, "pour que la porte reste ouverte" entre morts et vivants.



Elle passe le mot, explique le rite, noue l'Histoire à la sienne, à celle des grands défunts qu'elle a connus, et à celles des défunts plus obscurs, plus modestes qui eux aussi ont des choses à raconter elle relie le monde des morts à celui des vivants avec tous les ponts possibles, le sens d'un mot hébreu, un passage de la Bible ou de la Torah, l' attentat de Charlie Hebdo qui fut un séisme pour tous, un évènement individuel mais exemplaire (une mort "injuste", une maladie brutale et sans pitié) , jusqu'à celui, inattendu, des blagues juives les plus savoureuses.



Elle fait flèche de tout bois et ce faisant construit une arche d'alliance entre notre peur viscérale de la mort et notre réflexe vital parfois aveugle. Elle nous rend plus forts, plus lucides mais aussi plus libres et plus joyeux.



Je vous laisse découvrir ce voyage pendulaire entre deux mondes et son parcours si judicieusement maîtrisé. En découvrir les étapes serait enlever du charme à votre lecture et je m'en voudrais de trahir le merveilleux talent de la conteuse !



Sachez seulement qu'en hébreu "cimetière" se traduit par "jardin des vivants" et que le toast fameux "leHaïm" à la vie est en fait un pluriel, "Aux vies !"



Nous avions plusieurs vies et ne le savions pas ! Le livre de Delphine Horvilleur nous en donne le goût et la saveur avec une science pleine de tendresse et de malice !
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Vivre avec nos morts

Elsa Cayat, la psychiatre assassinée de Charlie Hebdo, et Marc, avec qui elle devait publier un livre. Simone Veil et Marceline Loridan, les filles de Birkenau. Yitzhat Rabin, homme d'État israélien, prix Nobel de la paix, assassiné en 1995. Ilan Halimi, séquestré et torturé en 2006 parce que juif. Mais aussi Moïse et Azraël, l'ange de la mort. Des anonymes, Sarah, Isaac et Myriam, l'Américaine obsédée par l'organisation de ses propres obsèques. Des proches, comme son amie Ariane et son oncle Edgar. Tous, en croisant, à l'occasion de leur mort ou par leur lien particulier à la mort, le chemin de l'auteur dans ses fonctions de rabbin, lui ont inspiré les onze chapitres de ce livre placé sous les auspices d'un oxymore.





Rares sont les ouvrages qui impressionnent autant par l'aura de leur auteur, et qui vous vont droit au coeur par l'humanité qu'ils dégagent. Delphine Horvilleur n'est pas seulement cultivée. Elle possède le don de rendre ses connaissances accessibles en toute simplicité, dans une narration piquante et pleine d'humour, où ne manquent même pas quelques savoureuses blagues juives. C'est avec un intérêt émerveillé que l'on découvre la richesse de ses réflexions, nourries de son exégèse de textes sacrés, d'explications de rites et de traditions, mais aussi de sa formidable expérience humaine. L'on ne peut qu'être frappé et totalement séduit par l'ouverture d'esprit, la capacité d'écoute et la sincère bienveillance dont témoignent ces pages, où chacun, athée ou de quelque religion qu'il soit, trouvera son compte.





Car, face à notre condition humaine et à notre finitude, il n'est question ici que de la manière dont, en toute humilité, l'auteur rabbin tente d'accompagner les vivants dans leur douleur et leurs questionnements sans réponse, avec pour seule certitude que notre passage se nourrit de l'héritage personnel, culturel et historique laissé par les générations précédentes, et nourrira de la même façon les générations à venir. Mort et vie s'entremêlent ainsi constamment, et il nous faut bien apprendre à faire une place à nos fantômes personnels pour continuer à faire en paix notre bout de chemin.





Un livre universel, profondément humain et merveilleusement écrit, qui fait chaud au coeur par la qualité de la rencontre qu'il permet avec son auteur. Coup de coeur.


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Vivre avec nos morts

Ce nouvel essai de la célèbre femme rabbin, Delphine Horvilleur, regroupe onze histoires qui découlent de son travail d'accompagnement des défunts et de leurs proches lors des obsèques de personnalités ou d'anonymes.



De l'enterrement d'Elsa Cayat, psychanalyste de Charlie Hebdo, assassinée en 2015, aux funérailles de Simone Veil et de son amie Marceline Loridan, surnommées les « filles de Birkenau », en passant par ce petit garçon qui demande où est passé son frère décédé ou cette New-Yorkaise dépressive qui passe son temps à organiser ses propres obsèques dans les moindres détails, Delphine Horvilleur côtoie régulièrement la mort, parfois même celles de personnes qui lui sont proches, comme sa meilleure amie. D'une prière récitée par téléphone à cause du Covid à cette cérémonie en tête-à-tête avec le fils de la défunte pour seul public, Delphine Horvilleur invite à réfléchir sur la mort, tout en rendant un hommage vibrant à la vie !



Cette réflexion sur la mort est en effet avant tout un roman sur la vie, qui n'empêche pas de régulièrement sourire et qui évite de donner le dernier mot à la mort, invitant à regarder au-delà, la où la vie continue… avec ses morts. Face à cette mort, l'auteure en profite également pour dévoiler une part d'elle-même, de cette grand-mère déportée dont personne ne parle à cet oncle inhumé au cimetière alsacien de Westhoffen, en passant par cette meilleure amie dont elle partage péniblement les derniers instants…



À travers ce texte, Delphine Horvilleur se révèle surtout une conteuse hors-pair qui puise dans les textes sacrés pour parler d'un sujet qui nous concerne tous au-delà des communautés religieuses. En s'appuyant sur l'étymologie des mots et la culture juive, elle exploite toute la puissance du verbe afin de vaincre la mort et de faire l'éloge de la vie.



Instructif pour ceux qui comme moi ne connaissent pas grand-chose au judaïsme, foncièrement drôle au détour de quelques blagues typiquement juives qui m'ont fait pouffer de rire, d'une finesse rare au niveau de la plume et inévitablement bouleversant et sensible vu le thème principal, « Vivre avec nos morts » est un superbe texte que je recommande à tous ceux qui, peu importe leur croyance, envisagent de mourir un jour, voire de vivre au-delà de la mort…
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En tenue d'Ève : Féminin, pudeur et judaïsme

En préambule, je voudrais faire état des difficultés que j'ai rencontrées tout au long de cette lecture. Elles ont été si grandes, si récurrentes que je me vois mal les passer sous silence. Je me suis sentie heurtée par bien des choses contenues dans ce livre. La faute n'en incombe certes pas à Delphine Horvilleur dont je salue l'intelligence, la rigueur, la délicatesse et l'humour, ainsi que la démarche courageuse consistant à revenir aux textes sacrés afin de déconstruire les discours religieux fondamentalistes. La faute en incombe à la matière même de son livre avec laquelle je ne suis pas du tout à l'aise. Pour le dire de façon sommaire, les religions monothéistes présentent deux tares impardonnables à mes yeux, celle de prétendre ériger en Vérité ultime ce que je perçois comme de simples fables, et celle de véhiculer une vision déplorable de la femme. Je m'en tiens donc généralement à bonne distance. Pour des raisons de salubrité psychique en quelque sorte.

Mais d'un autre côté, que je le veuille ou non, je dois bien admettre que ces croyances ont formé, siècle après siècle, le substrat culturel dans lequel j'évolue, substrat que j'ai en partage avec l'écrasante majorité des auteurs que je lis, vivants ou morts. Et il arrive parfois qu'au cours de l'une de mes lectures (cela s'est notamment produit avec le magnifique roman de l'autrice israélienne Zeruya Shalev), je réalise qu'il me manque quelque chose, un minimum de connaissances des mythes et croyances qui fondent la culture judéo-chrétienne, pour l'appréhender dans sa globalité et toute sa complexité. Ce quelque chose, j'ai pensé le trouver chez Delphine Horvilleur. Intellectuelle, féministe et rabbin, cela faisait des années que je lorgnais de son côté sans me décider à franchir le pas.

Une discussion récente avec Hélène, bientôt suivie de l'opportunité de faire cette lecture, non pas seule, mais accompagnée de mon éternel complice Bernard, m'a convaincue de lire enfin, après dix ans d'atermoiements, En tenue d'Ève : féminin, pudeur, et judaïsme.



Comme son titre l'indique, Delphine Horvilleur revisite dans son livre les notions de pudeur et de féminin au coeur des textes sacrés, plus précisément au coeur des textes qui fondent le judaïsme, à savoir la Bible hébraïque, en particulier les cinq premiers livres (la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome) qui composent la Torah, et le Talmud, qui en est l'interprétation rabbinique. Le Talmud, qui agrège depuis près de deux mille ans commentaires, discussions et débats contradictoires, illustre à merveille ce qui fait la richesse du judaïsme : l'art de ne pas tomber d'accord. À l'heure où une lecture fondamentaliste, littérale et univoque des textes sacrés cherche à s'imposer comme la plus légitime et la plus fidèle de toutes, Horvilleur le dit et le martèle :

« Le texte ne dit jamais une seule chose, ou plutôt il ne la dit jamais une fois pour toutes : c'est là un principe fondateur de l'interprétation rabbinique. »

Rappelant que les mots « texte », « textile », « texture », « tissu » partagent tous la même racine indo-européenne « textus » qui exprime l'action de fabriquer des ouvrages faits de matériaux entrecroisés, l'autrice rapproche tout naturellement le travail de l'interprète de celui du tailleur :

« La Bible est, pour les juifs, un travail de haute-couture, au divin patron : autour d'un texte central, de l'étoffe première qu'est la Torah écrite, se tissent des commentaires, des interprétations et des récits qui constituent autant de coupes et de retouches. »

Rappelant également que selon les textes traditionnels, il existerait quatre niveaux de lecture pour chaque verset — le sens littéral, le sens allusif, le sens allégorique et le sens caché — elle montre combien l'attitude consistant à ne retenir que le seul sens premier — littéral — est non seulement absurde, mais encore contraire à l'esprit même du judaïsme. S'appuyant sur les versets traditionnellement associés à la pudeur et qui, sortis de leur contexte ou pris au pied de la lettre, sont instrumentalisés par les fondamentalistes religieux pour reléguer les femmes en leurs foyers et les effacer de l'espace public, elle inverse la charge de la preuve et montre combien leur obsession du corps féminin transforme leur pudibonderie en obscénité.

Si elle revisite méthodiquement le texte sacré, si elle en décortique, verset après verset, chacun des termes, il lui faut bien, avant de déconstruire l'interprétation rabbinique traditionnelle ou celle des ultra-orthodoxes, nous exposer ces dernières au préalable. C'est ce qui me fut le plus pénible. Certes une part de moi se réjouit de constater que les femmes ont enfin voix au chapitre au sein d'une religion qui de tout temps leur a confisqué la parole. Mais l'autre part s'avoue découragée face à l'ampleur de la tâche. Car Horvilleur ne s'attaque pas seulement au discours fondamentaliste actuel, mais à des siècles et des siècles d'interprétations et de pratiques religieuses qui, réduisant la femme à son sexe biologique, en ont fait un objet de relégation, et même, un objet tout court.

Un objet… le mot est lâché…Hélas! C'est là qu'est l'os. Dès la Genèse, on nous explique qu'Eve est un os, une côte, autrement dit un objet construit à partir d'un homme complet, Adam. « Ça commence bien », comme dirait ma mère qui n'a jamais pu avaler cette histoire d'os. Or, Delphine Horvilleur nous révèle que cette invraisemblable (et scandaleuse) histoire de côte est probablement le fruit d'une erreur de traduction. Le mot en hébreu, Tzela, qui dans ce cas précis a été traduit par « côte » est traduit partout ailleurs dans la Bible par « côté ». Dès lors, une autre version se fait jour : Dieu, après avoir plongé le premier Adam, un être androgyne, dans le sommeil, en sépare le côté féminin du côté masculin.

« Dans cette version, les genres sont tous deux retranchés, séparés de l'entité première et indivise qu'ils constituaient. »

Dans cette version, la femme est non plus un objet, mais un sujet, au même titre que l'homme.

Delphine Horvilleur nous montre qu'une autre lecture du Livre est possible, dans laquelle le féminin n'est plus un attribut exclusif des femmes ni l'une de leurs caractéristiques essentielles mais appartient tout autant à l'autre sexe. Elle invite le genre humain à percevoir enfin la bénédiction d'avoir été créé homme ou femme, masculin et féminin.



Je remercie de nouveau Hélène (@4bis), dont je vous invite à découvrir l'excellente critique, pour l'incitation à lire ce livre, et de nouveau Bernard (@Berni_29) pour le compagnonnage attentif, constructif et facétieux.



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Il n'y a pas de Ajar

Commenter une pièce de théâtre en ayant seulement lu son script incite nécessairement à la prudence car le lecteur, privé du jeu des acteurs, des décors et surtout de l’ambiance de la salle et des réactions des spectateurs, ne voit que la partie visible de l’iceberg …



Il n’y a pas de Ajar commence par une méditation sur le binôme Romain Gary / Emile Ajar et s’interroge sur le Compagnon de la Libération, prix Goncourt 1956, qui se réincarne vingt ans plus tard en Romain Gary en trompant la critique avec la complicité de son petit cousin Paul Pavlowitch. La vie de l’aviateur de la France Libre est une épopée qui fascine à juste titre Delphine Horvilleur et son suicide interpelle le Rabin.



Commence alors la seconde partie, le « monologue contre l’identité », où Abraham Ajar disserte sur ce mot d’identité et livre un festival de questions, de formules à l’emporte pièce, de jeux de mots qui doivent combler les spectateurs de la pièce.



Mais, à aucun moment la tragédienne, la philosophe, ne définit ce qu’est l’identité et le monologue part dans tous les sens en se complaisant dans la tonalité « en même temps » à la mode chez les communicants et certains politiques.



D’où une certaine déception, car ne pas définir, ne pas rappeler, ce qu’est l’identité, laisse le champ libre aux apôtres de la « théorie du genre » qui après avoir tué le sport féminin relativisent l’âge d’une personne en ouvrant ainsi la voie à la pédophilie, et en confondant nature humaine et nature animale plaident pour la légalisation de la zoophilie.



Si l’identité n’existe pas, si chaque personne peut se définir comme elle l’entend, si chacun peut ainsi se prendre pour un dieu, la vie en société devient impossible ce qui nous condamne inexorablement au suicide.



« Il n’y a pas de Ajar » est peut être l’ultime cri de Romain Gary se tirant une balle sur son identité ?
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Comment ça va pas ? Conversations après le 7 oc..

Ne demandez pas à Delphine Horvilleur comment ça va… car depuis les massacres du 7 octobre en Israël, l’autrice et femme rabbin a du mal à trouver le sommeil et à répondre aux interrogations de sa communauté.



Cherchant des réponses tellement difficiles à trouver, elle entame ici des conversations avec ses grands-parents décédés, avec ses enfants, avec la paranoïa juive et même avec le Messie. Des dialogues réels ou imaginaires où même son attachante grand-mère au fort accent yiddish se met à prendre la parole. Elle, qui ne disait pourtant jamais grand-chose lorsqu’elle était encore en vie, ne peut dorénavant plus reposer en paix et se mêle à des conversations parfois étranges où l’autrice va jusqu’à utiliser les chansons de Claude François et même « Il était une fois l’Homme », le célèbre dessin animé qui a bercé mon enfance, afin de nous expliquer ce qu’est l’antisémitisme.



À l’instar de Tahar Ben Jelloun et son roman « Le racisme expliqué à ma fille », Delphine Horvilleur cherche à nous ouvrir les yeux sur cet autre mal latent qui traverse l’histoire sans jamais se faire éradiquer. Tout comme le racisme, l’antisémitisme demeure toujours là, tapi dans l’ombre, montrant parfois le bout de son nez au détour d’une petite remarque moins innocente qu’elle n’en n’a l’air, voire d’un regard légèrement de travers ou trop appuyé, attendant un événement tragique ou une crise pour refaire surface. Un avion dans une tour, un massacre lors d’un festival de musique et tout le monde se retrouve très vite dans le même sac… les musulmans dans celui des terroristes et les juifs dans celui de Netanyahou et de ses mesures extrêmes.



La multiplication des actes antisémites en Europe est là pour confirmer ses propos, mais, en tant qu’héritière de la peur de tout un peuple, Delphine Horvilleur bascule forcément beaucoup plus loin dans l’effroi et la crainte d’une histoire qui pourrait bien à nouveau se répéter. C’est au moment où elle demande à son fils d’enlever l’étoile de David du collier qu’il porte autour du coup que le lecteur saisit pleinement la peur et le déchirement qui habitent cette maman rabbin depuis le drame du 7 octobre 2023 et qu’elle tente de partager au fil de ses dialogues.



Je n’avais lu que « Vivre avec nos morts » de Delphine Horvilleur jusqu’à présent et j’ai pris grand plaisir à retrouver la finesse de sa plume, ainsi que l’humour et l’autodérision dont elle continue de faire preuve malgré les circonstances, notamment au détour de quelques blagues typiquement juives qui m’ont à nouveau fait pouffer de rire. Un sourire qui disparaît néanmoins très vite en pensant certes au déchirement et à la stigmatisation de la communauté dont elle se veut ici porte-parole, mais en pensant également à la souffrance inacceptable des Palestiniens… qui n’est malheureusement pas l’objet de cet essai…
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Vivre avec nos morts

Dans son travail d'accompagnement des défunts et de leurs proches, Delphine Horvilleur, femme rabbin de tendance libérale, côtoie la mort comme une vieille connaissance, sans pour autant s'habituer à sa présence. Paradoxalement, cette "proximité" a pris un tour particulier avec la pandémie de Covid-19, au cours de laquelle elle s'est vue contrainte de célébrer des cérémonies funéraires par téléphone, à distance. Ses réflexions sur la mort ne datent cependant pas de cette actualité, elles sont antérieures : pourquoi passe-t-elle donc tant de temps dans les cimetières ?



Delphine Horvilleur nous fait part de son questionnement, de son cheminement, à travers onze chapitres, autant de récits sur la manière dont elle accompagne les morts et tente de réconforter les endeuillés. Il y est question de personnalités connues (Elsa Cayat, la "psy de Charlie", Marceline Loridan-Ivens, Simone Veil) ou anonymes, de personnes qui lui sont inconnues et d'autres chères à son coeur.



Toujours elle écoute et fait parler les proches à propos du défunt, pour pouvoir ensuite leur conter, leur donner à entendre l'histoire de celui-ci d'une manière inédite pour eux, pour retisser les fils de son histoire désormais cassée, leur livrer un récit qui leur permettra peut-être, si pas d'accepter, au moins de donner un sens à cette mort ou plutôt à cette vie arrêtée, pour qu'eux-mêmes retrouvent le sens, le fil de leurs propres vies, pour qu'ils puissent vivre avec cette mort. Elle nous livre aussi ses réflexions plus personnelles sur son parcours, ses propres fantômes, les non-dits de son enfance, et se fonde très souvent sur l'exégèse des textes sacrés, sur l'étymologie et la traduction des mots, sur la tradition juive, pour essayer de comprendre le sens de la vie et de la mort, puisque celles-ci sont inextricablement liées.



En plus d'être très instructif pour ceux qui (comme moi) ne sont pas croyants ni familiers du judaïsme, et intellectuellement passionnant, "Vivre avec nos morts" révèle une conteuse hors pair et une personnalité d'une intelligence très fine et d'une grande ouverture d'esprit, érudite, sensible, à l'écoute, bienveillante, humble ("les rabbins n'ont pas plus de réponses que les autres. Parfois, juste un peu plus de questions"), et dotée d'un humour salutaire. Ce texte, d'une profonde humanité, est très enrichissant, souvent poignant, émouvant mais sans pathos. Il est aussi un hommage au langage et au pouvoir du verbe consolateur.



Un livre lumineux et une lecture réconfortante, ou l'inverse, merci Madame Horvilleur.



En partenariat avec les Editions Grasset via Netgalley.



#Vivreavecnosmort #NetGalleyFrance
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Il n'y a pas de Ajar

A partir de la fascination pour le seul écrivain qui a pu obtenir deux fois le prix Goncourt , par un subterfuge qui suscite à la fois l’indignation et l’admiration, Delphine Horvilleur nous parle de l’identité, de ce qu’elle signifie et de ce qu’elle implique. À partir de nombreux parallèles et des coïncidences (construites, tout de même), elle revient sur la relation intellectuelle privilégiée qu’elle entretient avec celui qui a osé se réinventer, et qui aurait pu le faire incognito si son talent n’avait pas été suffisant pour mériter une deuxième récompense !



Suit une réflexion courte mais vivante sur la notion d’identité , sur la judéité, l’intégrisme, le racisme et même l’épigénétique.



C’est brillant, éclectique mais guidé par une idée centrale de tolérance.



Ce court texte a été l'occasion de découvrir l'écriture cette autrice très médiatique , dont je ne peux qu’admirer le talent à l’écrit après avoir été fascinée par ses propos sur les ondes



140 pages Grasset 14 septembre 2022

#IlnyapasdeAjar #NetGalleyFrance


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Réflexions sur la question antisémite

Pourquoi l’antisémitisme n’est-il pas un racisme comme les autres ?



Peut être parce que le racisme est mépris et l’antisémitisme jalousie. La différence de couleur ou de culture est vue comme « quelque chose en moins » ; au Juif, on reproche au contraire d’avoir « quelque chose en plus ». Même pauvre, discriminé, victime du pire, il est encore « trop » conclut Delphine Horvilleur.



Constatant que la Bible ne parle pas du juif ou du peuple juif, à proprement parler, c’est en analysant les écrits traditionnels de la Torah et du Talmud, que l’auteur nous démontre comment l’antisémitisme est né et s’est développé au cours des siècles en s’appuyant parallèlement sur la misogynie.



Des pages denses, à la lecture difficile pour qui n’est pas familier de la Torah, de Freud ou de Sartre (ce qui est mon cas) et qui imposeront une relecture ultérieure. Mais des pages qui interpellent, qui prêtent à réflexion, qui enrichissent le lecteur et qui vont m’inciter à découvrir cette philosophe que Samuel m’a recommandée.



Reste à savoir si l’antisémitisme peut être combattu par la lecture et la philosophie … alors que l’autodafé et le bucher sont les armes habituelles des racistes.
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Il n'y a pas de Ajar

En russe, Gary signifie « brûle » et Ajar « braise », en plus d’être le nom d’actrice de la mère de l’écrivain. Mais, par un étrange hasard (décidément) des mots, ils évoquent aussi « l’étranger en moi » et « l’autre » (Ah’ar) en Hébreu, sonnant ainsi étonnamment propitiatoires pour un auteur qui a su si bien refuser les limites de l’identité unique et se réinventer si génialement multiple.





Sa passion littéraire pour ce surdoué de la métamorphose de l’identité a inspiré à Delphine Horvilleur une fantaisie originale, dont chaque trait d’humour est un coup de griffe aux clivages communautaristes, notamment entretenus par le sectarisme et le fondamentalisme religieux. Jouée sur les planches dès sa sortie, cette « farce théâtrale » donne la parole à un personnage fictif, Abraham Ajar, qui, fils d’Emile Ajar, revient dans un monologue sur le janusisme de son père et nous interpelle sur les menaces identitaires qui fleurissent aujourd’hui.





« Nous sommes », dit-il, « esclaves des définitions figées et finies de nous-mêmes, de nos origines, de nos ancrages, de nos assignations ethniques ou religieuses ». Avec une verve pleine d’esprit et de savoureux jeux de mots, il évoque la « folie littéraire » qu’est l’histoire d’Abraham dans la Bible, la circoncision qui fait des juifs des « presque », le sang impur de la Marseillaise qui « coule dans nos veines, même dans celles du pauvre type qui se raconte que son monde est bien propre, aseptisé et hygiénique à souhait », la transmission épigénétique qui prouve que « l’origine, ça ne compte jamais autant que ce qui t’arrive en route »… Il raille les juifs qui ne peuvent prononcer le nom de « vous-savez-qui », ceux qui, « hyper-connectés à la volonté de Dieu », « savent parfaitement te l’interpréter comme s’ils faisaient partie de Sa garde rapprochée » et, parce qu’« ils croient dur comme fer qu’ils sont qui ils sont, et que leur croyance est la bonne » crient très fort à leur seule vérité tout en adoptant le comportement de l’idolâtre « qui croit que Dieu s’intéresse vraiment à ses problèmes, qu’il peut lui demander de l’argent, du succès ou un vélo électrique, du moment qu’il ne le vexe pas et le caresse avec ferveur dans le sens du poil ». Et de s’interroger : « de qui se moque-t-on ? »





Ironique, volontiers provocateur, mais jamais moralisateur, le texte pointe les mille étroitesses et incohérences hypocrites de nos sociétés, anciennes ou modernes, qu’il s’agisse par exemple de racisme mais aussi d’objection à l’appropriation culturelle. Il s’élève contre ceux qui rejettent l’altérité au nom d’une prétendue pureté, ou d’une soi-disant vérité divine, dont ils auraient l’apanage et qui leur donneraient jusqu’au droit de tuer. Et sur le modèle de Gary/Ajar, il nous pousse à sortir de nos carcans identitaires pour toujours nous réinventer, à nous ouvrir à l’autre plutôt que de rester figés dans de rigides et subjectives certitudes, soulignant le rôle essentiel de la littérature dans la construction de ces échanges et de cet enrichissement.





Brillant, drôle, irrésistible tant il fait mouche sans jamais se prendre tout à fait au sérieux : voici un petit bijou de plaidoyer pour l’ouverture d’esprit et la tolérance, à l’opposé de la bêtise, de l’obscurantisme et du fanatisme, qui conforte le classement de Delphine Horvilleur en tête de mes personnalités préférées. Coup de coeur.


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Comment ça va pas ? Conversations après le 7 oc..

Un livre sans chapitre X, comment ça va pas ?



Aussi invraisemblable que cela paraisse, Grasset publie 10 conversations de Delphine Horvilleur, numérotées de I à XI, mais sans chapitre X.



Censure ? choix délibéré ? erreur ? je serais curieux de découvrir la clé de cette énigme.



Quoi qu'il en soit, ces conversations avec sa douleur, ses enfants, ses grands-parents, alternent avec celles avec Claude François, Rose, Israël et le Messie, et résultent du massacre du 7 octobre qui nous révèle que, 80 ans après la chute du nazisme, l'antisémitisme poursuit ses massacres et que, en France, aujourd'hui, la police sonne à la porte des israélites pour demander « y a pas moyen de changer votre nom sur la boite aux lettres ? … ça rassurerait beaucoup vos voisins »(page 33).



Delphine Horvilleur tente de rassurer sa famille, sa communauté, en plaçant le 7 octobre dans la longue lignée des progroms endurées par le peuple juif. Avec humour, avec gravité, elle nous mêne de la sidération à l'espoir d'un monde meilleur, de la haine au dialogue et ce plaidoyer doit être lu par tous ceux qui combattent pour la paix.



Mais son ouvrage oublie totalement le Hamas. Comme si, pour mettre fin à la Shoah, les alliés avaient oublié les nazis ? Comment imaginer une paix sans mettre hors de combat le Hamas et ses collaborateurs ?



C'est peut l'objet du chapitre manquant … un livre sans chapitre X, comment ça va pas ?



PS : le chef d'oeuvre du rabbin Horvilleur : Vivre avec nos morts
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Vivre avec nos morts

Delphine Horvilleur est une femme rabbin dont la mission est d'accompagner les endeuillés. Une tâche qu'elle nous raconte avec la culture et le sens de l'humour profonds qui sont les siens à travers l'histoire de familles célèbres ou pas qu'elle a assistées dans le deuil. Une façon bien à elle de nous parler de la mort, la notre et celle de nos proches, qu'elle dit impossible à apprivoiser, même pour elle qui la côtoie si souvent, mais qu'elle nous aide (si toutefois c'est possible) à approcher plus sereinement. Et c'est là l'immense force de Delphine Horvilleur : nous donner une perspective acceptable. Nous suggérer qu'emportant nos morts partout avec nous, la vie et la mort ne sont pas hermétiquement séparées. Nous sommes les maillons d'une chaîne, et croyant ou non, par nos enfants, après que nous avons disparu, nous demeurons une histoire à suivre...
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Vivre avec nos morts

J’ai ressenti comme un sentiment de résonance étrange à la lecture de « Vivre avec nos morts », le superbe essai de Delphine Horvilleur. Au-delà du contenu du livre, c’est surtout une forme de proximité avec l’auteur qui ne laisse pas de me surprendre : nous sommes nés dans la même ville, Nancy, elle est de deux ans ma cadette, son grand-père s’appelle Isidore comme le mien. Et même si, précisons-le tout de suite, je ne suis ni juif, ni rabbin, nous partageons également une ascendance juive, qui a traversé cette tentative inouïe d’extermination de tout un peuple que l’on désigne par le terme biblique d’Holocauste.



« Vivre avec nos morts » est l’essai d’une femme rabbin, qui pour avoir officié maintes fois lors de cérémonies funéraires, en y récitant notamment le Kaddish, pour avoir accompagné de nombreuses familles dans l’exercice du deuil, se propose de partager les enseignements qu’elle a tirés de son expérience au travers de ce « Petit traité de consolation ».



Les premiers chapitres évoquent les funérailles de personnes célèbres, lors desquelles Delphine Horvilleur a officié. L’auteure revient ainsi sur l’enterrement de la psychiatre Elsa Cayat, chroniqueuse à Charlie Hebdo, lâchement assassiné le 7 janvier 2015, ainsi que sur celui de Simone Veil, une « fille de Birkenau », qui a échappé de peu à la solution finale, pour s’éteindre en 2017, achevant ainsi un destin hors du commun.



Au fur et à mesure que l’auteure déroule son essai, le texte se fait plus intime, nous narrant l’histoire touchante d’un quidam qui assiste seul à l’enterrement de sa mère ou l’agonie d’une amie proche. L’auteure réussit le tour de force de nous donner, sans avoir l’air d’y toucher, un accès à la manière dont le judaïsme aborde la mort, à l’ambiguïté qui entoure la possibilité de la résurrection, ainsi qu’à la beauté et à la profondeur d’une langue aux interprétations multiples : l’hébreu. Cette appréhension du mystère de la langue hébraïque m’a rappelé les très beaux écrits d’Erri de Luca sur le sujet, que l’on retrouve notamment dans « Première heure » où l’auteur agnostique, aborde, au lever du jour, les textes de la Torah en hébreu, et partage son interprétation lumineuse des extraits bibliques qu’il s’efforce de déchiffrer.



Outre la confrontation avec l’au-delà qui est au coeur de l’ouvrage, Delphine Horvilleur, nous propose par petites touches, à la manière d’un peintre impressionniste, d’appréhender la religion juive. Elle nous rappelle avec talent l’humour, les rites, les traditions ainsi que le goût infini de la dispute, que l’on retrouve dans le Talmud qui sont autant de « marqueurs » du judaïsme.



Elle nous livre ainsi une « blague » typique de l’humour juif qui m’a fait rire aux éclats :

« Deux rabbins sont à l’arrière d’un taxi à New York. L’un dit à l’autre : « je suis petit et médiocre. Je suis inexistant. » L’autre renchérit : « Quant à moi, je suis poussière de poussière, fumée inconsistante, informe et ridicule. » Le chauffeur de taxi se retourne vers eux et s’exclame : « Mais enfin, Messieurs les grands rabbins, si avec votre sagesse, vous êtes poussière et fumée, alors moi, je suis un néant de néant, un déchet minable, un résidu... » Les deux sages se tournent immédiatement l’un vers l’autre et disent : « Non mais, pour qui se prend-il, celui-là ? »



L’auteure revient également sur cette coutume juive qui veut que lorsque l’on construit sa maison on laisse volontairement un défaut, une fissure, une trace d’incomplétude, qui est une manière de se souvenir de ceux qui ne sont plus là, ainsi qu’un rappel de la fragilité de toute chose, dont la destruction du Temple de Jérusalem fut l’emblème le plus douloureux. En lisant ces phrases, je me suis rappelé ces mots que me disait ma grand-mère polonaise : « on finit sa maison, et puis on meurt ». Je n’avais jamais compris le sens profond des paroles de mon aïeule, et des années plus tard, je viens seulement d’en saisir toute la symbolique.



Le livre de Delphine Horvilleur n’est pas seulement « un petit traité de consolation » nous relatant les enseignements d’une femme rabbin, que sa fonction place régulièrement au contact de la disparition des corps, il est aussi et surtout une manière d’appréhender la richesse et la complexité du judaïsme, un mot désignant tout à la fois un peuple, une religion et une manière d’être au monde.

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Vivre avec nos morts

« L’histoire de deux rescapés des camps qui font de l’humour noire sur la Shoah. Dieu qui passe par là, les interrompt : Mais comment osez-vous plaisanter sur cette catastrophe ? Et les survivants de lui répondre : Toi tu ne peux pas comprendre, tu n’étais pas là ! ».



Une blague juive que se racontaient souvent Marceline et Delphine. Marceline, prénom inséparable de celui de Simone. Deux rescapées qui ont incarné pour Delphine Horvilleur, la possibilité de reprendre la parole, de dire sans gêne non seulement ce qu’elles avaient vécu mais ce que chacune d’elles avait choisi d’en faire. Mais pour nous aussi, elles sont une référence, un symbole pour la condition féminine sans oublier qu’elles ont été « les filles de Birkenau ».



Dans cet essai d’une infinie portée philosophique sur notre finitude, Delphine Horvilleur se métamorphose en conteuse lumineuse pour mieux nous faire pénétrer le sens de la parole qui console les endeuillés, le Verbe créateur, l’importance du choix des mots, une attention toute particulière à la réception de la douleur de l’affligé. En sa qualité de rabbin, elle accompagne les endeuillés et son essai compte onze chapitres, onze histoires différentes mais qui relatent tous une manière d’approcher la mort, une façon de lui donner du sens nous qui fuyons aujourd’hui la mort comme si ne pas en parler l’écartait de nos vies, comme l’histoire de Myriam, américaine, dépressive, qui ne cessait d’organiser ses obsèques sans omettre jusqu’à la couleur des fleurs. Myriam dont un imprévu lui a joué un tour. Son histoire est surprenante !



L’auteure évoque aussi bien des anonymes que des personnalités qui se sont retrouvées confrontées au mystère de la mort et à chaque fois, elle sait s’adapter à ses interlocuteurs. Elle a une écoute de qualité qui lui permet d’entendre ce que les endeuillés ne disent pas. Elle nous décrit son expérience toute en délicatesse, c’est simple, fluide, apaisant. Je ne sais pas si cet essai peut consoler une personne qui est terrassée par la douleur de la perte, mais c’est un récit qui fait du bien dans ce monde de brutes !



Delphine Horvilleur est issue d’une famille paternelle juive d’Alsace-Lorraine et d’une famille maternelle originaire des Carpates. Son grand-père Alsacien était rabbin mais il était très attaché à l’esprit Républicain ce qui lui fait dire qu’elle est un rabbin laïc. Elle appartient à l’organisation juive libérale « Mouvement juif libéral de France » et « Union Libérale Israelite de France ».



Après avoir étudié la médecine en Israël, puis passée au journalisme, elle intègre le séminaire rabbinique libéral de New York avant de revenir en France.



Jeune femme qui écrit avec son cœur, elle possède les qualités indispensables à un rabbin. La délicatesse se dégage de son écriture. Il y a de très belles pages où affleure son empathie. A la fois femme et rabbin, mère de famille, c’est d’abord la « Vie » qu’elle honore. Elle nous offre une réflexion d’une grande profondeur sur ses rencontres avec les endeuillés mais elle nous expose, de façon très intelligente et avec beaucoup d’humilité, maniant l’humour, ses questionnements, ses doutes. De ses confidences suinte une pointe de mélancolie (elle est ashkénaze). Elle relate avec beaucoup d’émotion contenue mais qui m’a gagnée, l’assassinat d’Yitzhak Rabin, ce jour maudit où sa vie a basculé avec ces quatre mots en hébreu prononcé à la radio :



« Memshelet Israël modia betadhema… »



« Le gouvernement israélien annonce avec stupeur »…..la mort de son Premier ministre.

A la radio, des hurlements couvrirent sa voix. Les nôtres stoppèrent la voiture, au bord d’une route, tout près d’un village nommé Motza. C’est là, à Motza, ce lieu qui en hébreu signifie « l’issue » que pour moi, il est mort. Ni sur une place de Tel-Aviv, ni à l’hôpital où il fut transporté, mais sur une colline de Jérusalem, au bord d’un village. Mon rêve a cessé de respirer et avec lui mon amour. Mon sionisme s’est trouvé dans une impasse, au point mort. »



Dans cet essai philosophique, l’auteure entremêle la philosophie, l’humour juif et ce que j’ai apprécié, l’exégèse des récits religieux qu’elle sait parfaitement rendre accessible à tout lecteur. L’Hébreu à ceci de passionnant, qu’en fonction de la place de la lettre hébraïque, le mot change de sens et nous pénétrons ainsi dans une pluralité d’interprétations.



L’expérience de Delphine Horvilleur s’adresse à toute personne qu’elle soit athée, agnostique, croyante et de toute confession. Cet ouvrage est riche d’enseignement sur la Tradition Hébraïque mais aussi sur la Vie. Il nous réconcilie avec nos fantômes et nos démons. En terminant cette lecture, j’ai eu le sentiment d’avoir vécu un grand moment de Paix. Je n’ai pas ressenti la présence d’Azraël mais plutôt celle de la lumière de Mikhaël



« Les juifs prennent très au sérieux un verset de la Thora, formulé dans le livre du Deutéronome, sous la forme d’un ordre de divin : j’ai placé devant toi la vie et la mort, dit l’Eternel. Et toi, tu choisiras la vie !. Alors pour prouver qu’ils appliquent le Commandement à la lettre, ils la convoquent en toutes circonstances.



LeH’ayim « A la Vie ».

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Vivre avec nos morts

"Il est mort". Non pas "Il est parti..." ou "Il nous a quitté..." mais "Il est mort". Et si nous apprenions enfin à apprivoiser ou plutôt à réapprivoiser cette mort tabou que plus personne ne veut voir?

Quand vous perdez un être cher, la société et même votre entourage vous octroient un temps de chagrin raisonnable. Au-delà de ce délai, vous êtes invité à ”faire votre deuil” et à rejoindre le monde qui, pendant ce temps suspendu, a continué sans vous. Cette opposition des vivants et des morts et très forte dans nos civilisations occidentales. Là ou d'autres cultures installent des autels dédiés aux ancêtres dans leur salon, nous, occidentaux apeurés, envoyons nos mourants à l'hôpital pour éviter à la grande faucheuse de franchir le seuil de nos maisons.



Et pourquoi pas ”Vivre avec nos morts”? J'aime ce titre de Delphine Horvilleur qui sonne comme la promesse d'une réconciliation, d'une harmonie enfin trouvée. Vivre avec nos morts, oui, et plutôt qu'en avoir peur, leur faire une place dans nos vies, eux qui peuvent tant nous apprendre encore. Car des morts, nous en avons tous et Delphine Horvilleur n'en oublie aucun. Bien sûr, il y a ceux que nous avons tant aimés, ceux dont l'absence est un grand vide qui nous attire parfois jusqu'au vertige. Mais il y a aussi ceux que nous n'avons pas eu le temps ou pas pris la peine de connaître, ceux  qui n'avaient de ”proche” que le nom. Et puis tous ceux qui nous ont précédé, la foule des ancêtres que nous ne connaissons que par les petites anecdotes que l'on raconte à leur sujet, les héros de guerre, les originaux, les féministes de la première heure, etc. Ceux-là sont morts depuis bien longtemps pourtant nous aurions tant voulu les connaître. Trouver en eux cette part intime qui résonne en nous et dont nous nous sentons les héritiers.



Ni compliqué ni triste, mais d'une infinie tendresse, ce petit essai sur la mort est avant tout un grand livre sur la vie. Regroupant plusieurs témoignages, y mêlant son propre ressenti, Delphine Horvilleur nous accompagne dans notre chemin d'acceptation de la mort, la nôtre et celle de ceux que nous aimons. Nul besoin d'être un endeuillé de fraîche date pour en apprécier le message. Et nul besoin non plus d'appartenir à une quelconque religion. Car si Delphine Horvilleur est rabbin, elle ne fait aucun prosélytisme et reste ouverte à tous. Bien sûr, il y a des références au judaïsme, d'ailleurs très éclairantes pour celles et ceux qui ne connaissent pas ou peu cette religion, mais ces références sont allégées par des blagues typiquement juives qui m'ont bien fait sourire.

"C'est tellement mystérieux le pays des larmes"... Remercions Delphine Horvilleur, "Petit Prince" des endeuillés qui sait si bien nous montrer les étoiles et nous faire rire là où nous ne faisions que pleurer.



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Il n'y a pas de Ajar

Le dernier livre de Delphine Horvilleur, auteure récemment découverte lors de la lecture de son très bel essai, « Vivre avec nos morts », semblait me narguer : quelle que soit la librairie de mon quartier du nord parisien, je le croisais en devanture, agrémenté d’un bandeau où figure une photographie de l’auteure.



Contemplant d’un oeil songeur ce petit livre, je m’étais interrogé sur son titre en forme d’énigme, « Il n’y a pas de Ajar ». Au-delà du jeu de mots, bien senti mais un peu facile entre « Ajar » et « hasard », j’ai évidemment songé à Romain Gary, lauréat du prix Goncourt 1956 avec les « Racines du Ciel » qui avait pris le pseudonyme d’Emile Ajar afin de poursuivre une double carrière d’écrivain. Et ce dédoublement littéraire lui avait permis d’obtenir par deux fois, un prix qui n’est attribué qu’une seule fois, lorsqu’Emile Ajar s’était vu décerner le prix Goncourt en 1975 pour la « La vie devant soi ». M’étant rappelé le destin singulier de Romain Gary, j’ai lu le titre autrement, au pied de la lettre pour ainsi dire : « Il n’y pas de Ajar », signifie qu’Emile Ajar n’existe pas, n’a jamais existé et n’est que le pâle avatar de Romain Gary, né Roman Kacew. Je me suis enfin attardé sur le sous-titre qui épouse à la perfection l’air du temps, « Monologue contre l’identité », et j’y ai vu le signe d’une faille dans mon raisonnement : s’il n’y a pas de Ajar, alors Romain Gary est réduit à son identité initiale et singulière, et que contient donc ce petit livre qui s’annonce paradoxalement comme un pamphlet contre l’identité ?



Voilà, je n’avais toujours pas acheté le dernier essai de Delphine Horvilleur, et mon inclination pour une forme de pensée spéculative m’avait déjà conduit à m’interroger sur la signification d’un titre qui m’avait paru successivement amusant, lumineux et paradoxal. Et tandis que je continuais inlassablement à arpenter les rues qui serpentent autour de la butte Montmartre, je songeais que le temps était venu de lire « Il n’y pas de Ajar ».



Ce court essai comporte un prologue très érudit, où l’auteure rabbin revient sur la dichotomie Gary/Ajar et enrichit sa réflexion en empruntant à sa riche culture talmudique. On y apprend que Romain Gary s’est suicidé en 1980 au moment même où elle apprenait à lire et que depuis plus de quarante ans il est ainsi devenu son « dibbouk », « un revenant qui vous colle à la peau ou à l’esprit, un être dont l’âme s’est attachée à la vôtre pour une raison mystérieuse, et qui ne vous lâche plus ». Delphine Horvilleur nous enseigne également qu’en hébreu un autre se dit « Ah’ar », et qu’en choisissant le pseudonyme d’Emile Ajar, Romain Gary s’est inconsciemment dédoublé littérairement en un « autre » que lui. Elle nous confie enfin sa visite fantasmée à Romain Gary le jour de son suicide, et les récits issus du Talmud qu’elle lui aurait narrés, dans une tentative aussi poétique que désespérée de faire échouer ce qui est déjà advenu.



La seconde partie est le monologue imaginaire en forme d’« hommage à toutes les filiations littéraires » d’un homme qui se dit le fils d’Emile Ajar. Ce texte, volontairement écrit dans un langage relâché, est un plaidoyer désarticulé contre l’identité, en même temps qu’un retour sur les fêlures qui traversaient le grand écrivain d’origine russe qui fut successivement aviateur, résistant, romancier, diplomate, scénariste et réalisateur. L’auteure y dénonce tout à la fois la tentation « identitaire » d’un retour à une identité figée et fantasmée, et la concurrence victimaire qui assigne chacun à son identité ethnique, religieuse, sexuelle ou raciale.



En nous rappelant qu’en hébreu, le verbe être n’existe pas au présent, que l’on « n’est pas » même si l’on peut « avoir été », ou être « en train de devenir », Delphine Horvilleur nous suggère que l’identité n’est pas un concept figé et que nous sommes toujours en pleine mutation. « Who’s not busy being born is busy dying » chantait déjà Bob Dylan en 1965...



Voilà, j’ai fini par lire ce petit livre sur le bandeau de couverture duquel figurait le regard perçant de l’auteur qui semblait me poursuivre dans le crépuscule de mes ballades montmartroises. Et si son titre garde une part de mystère, je saisis enfin qu’il n’y a pas de Ajar, mais qu’il y a eu un auteur immense dénommé Emile Ajar et qu’il y aura d’autres auteurs au talent incomparable, qui continueront d’interroger les fluctuations de notre identité, qui ne saurait être figée ou réduite aux tentations victimaires de l’époque.

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Vivre avec nos morts

Delphine Horvilleur fait approcher ses lecteurs du mystère de la mort, mystère du passage, mystère de l'après sur lequel nous sommes à peu près tous avec les mêmes doutes, même si nous affirmons, les uns le néant, d'autres la résurrection ou la réincarnation.



Elle réussit cette approche, souvent fuie par les mortels, en énonçant son vécu de rabbin, son accompagnement de ceux qu'elle appelle les endeuillés, terme qui me déplaît, et aussi de quelques-uns qui s'apprêtent à franchir ce passage. Ce faisant, elle livre divers témoignages qui concerne aussi bien des personnes inconnues d'elles, défunts ou "endeuillés", que des amis proches, des enfants et, bien sûr, inévitablement et heureusement, Simone Veil, son amie Marceline, leur immense cortège passant par Birkenau, Auswitch et tous ces lieux qui devaient anéantir son peuple.



Elle consacre un chapitre à Yitzhak Rabin, homme de paix, emporté par un sionisme qui n'est pas celui de Delphine Horvilleur, qu'elle ne peut comprendre, portant haut l'image de celui qui avait la volonté et la conviction de réaliser la paix.



Au-delà de ces figures, elle évoque tous ces morts du quotidien avec lesquels nous devons continuer à vivre, qui sont nos mémoires, elle le fait en s'appuyant sur les textes bibliques, ce qui peut rendre encore moins compréhensibles ces mystères à ceux qui ne sauraient s'écarter de l'aspect prophétique de ces textes pour tenter de s'approcher du vrai mystère divin.



Malgré le sérieux du sujet, son propos ne manque pas d'humour, avec quelques histoires juives illustrant ses propos.



J'ai trouvé dommage qu'elle ne creuse pas davantage le mystère de la vie et de la mort pour peut-être nous aider à "mieux vivre avec nos morts" et nous préparer à mourir avec eux.
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Comment ça va pas ? Conversations après le 7 oc..

Mais qu'est-ce que tu fais là, Delphine ? Roulée en boule, par terre, dans le noir ?



7 octobre ? Quoi 7 octobre ? Ah oui. 7 octobre. Mais enfin, faut pas prendre les choses comme ça ! C'est tragique, c'est sûr, mais c'est pas en restant prostrée dans ce couloir que ça va aller mieux. Allez, ressaisis-toi ! On a besoin de tes lumières, de ton intelligence ! On a besoin que tu sois juste et inspirante !



Au regard de rage noyée de détresse qu'elle me lance, je comprends que je fais fausse route. Apparemment la question n'est pas de savoir de quoi nous avons besoin.



Depuis le 7 octobre, elle est ravagée, Delphine ses « conversations après le 7 octobre » le disent assez. Et il va falloir faire bien attention avec mes mots car je vois bien qu'ils embarquent plus que je ne crois qu'ils disent. Et que ça peut faire très mal.



Oserais-je dire que cette lecture m'a mise mal à l'aise ? Après tout, oui, cette réflexion à laquelle elle me mène oblige à tout mettre sur la table. Je n'ai d'abord pas aimé que Delphine Horvilleur se sente abandonnée par nous. Qu'elle ait pris personnellement le soutien timoré des Français après les attentats du 7 octobre. C'est vrai, quoi. Ca n'est pas à elle qu'on n'a pas manifesté de sympathie outre mesure. Ce n'est juste pas possible de manifester sa solidarité à un peuple gouverné par un pouvoir aussi abusif et violent.



Comment ça, ce que je dis est insensé ? Comment ça je mélange tout et je fais mal en disant n'importe quoi ? Des jeunes gens qui allaient danser, des bébés, des familles, des hommes et des femmes ont vu la terreur, la violence et la mort prendre possession de leurs existence du jour au lendemain. Sans qu'ils aient fait quoi que ce soit de plus ou de moins que la veille. Sans qu'ils se soient engagés à faire de leur existence une monnaie d'échange contre telle ou telle idée. Juste des hommes et des femmes. Qui ne représentaient en rien la politique de Netanyahou. Qui étaient juste eux.



Ah oui. Vu comme ça... C'est désolant. Et on ne peut pas ne pas le voir comme ça ? D'accord. Oui, tu as raison, Delphine, nos réticences à vous manifester de la compassion sont abjectes.



Mais la riposte engagée tout de même, tu peux pas dire, mais l'assassinat de milliers de civils dans la souricière de Gaza, mais toutes ces vies, cette armée qui avance, va tout raser, qui torpille les hôpitaux… vraiment, ça, on peut pas le cautionner. Et puis, tu vois bien que si on se dit solidaires de vous, on l'est avec tous ces racistes qui détestent les Arabes. Et ça, c'est pas possible non plus. On est des gens bien, nous. Eduqués et ouverts au multiculturalisme. On ne peut pas pleurer avec vous, ce serait taper sur les autres. C'est compliqué. Tu le vois bien !



« Avec tant d'autres, je cherche les mots, ceux qui diraient vraiment aux Palestiniens ET aux Israéliens que jamais leur douleur ne me laissera indifférente, que l'on peut et l'on doit pleurer avec les uns ET les autres. (…) Mais le langage fait défaut… précisément parce qu'il inclut des « mais » qui nourrissent un peu plus la douleur des uns et des autres. « le 7 octobre furent commis des actes ignobles MAIS… » « Des femmes juives ont été violées MAIS… » « le sort des enfants de Gaza est terrible MAIS…. » « Des innocents ont été utilisés comme boucliers humains MAIS…. » Je vomis tous ces « mais » qui piétinent les responsabilités des uns et des autres, et qui assassinent notre humanité. »



Tu es en train de dire que sous couvert d'un discours ouvert et sensé, je bafoue toute commisération ? Toute attention élémentaire à la douleur de l'autre ? Et qu'on ne me demande pas d'être géopolitique au Café du commerce mais de manifester une empathie avec ta douleur. Avec la douleur de ceux qui sont juifs ? Avec la douleur de tous ceux qui ont mal ? D'accord. Ca se tient.



Mais alors pourquoi c'est difficile pour nous de le faire ?



C'est là où le malaise a encore davantage grandi en moi. Là où j'en ai pris plein la figure. Ca commence avec la « conversation avec la paranoïa juive », Delphine Horvilleur revient sur ses ascendants, ses grands-parents qui ont, pour certains été sauvés par des Justes et pour d'autres été exterminés. Ces énormes trous que ça fait dans la représentation de soi. Cette méfiance toujours latente. L'histoire se répète. La question est de savoir quand. « Celui qui n'est pas héritier de cette peur ne peut comprendre ni ce qu'elle convoque, ni ce qu'elle provoque ».



Eva Illouz, dans Les émotions contre la démocratie en parle également « La Shoah a changé à jamais la conscience juive, à la fois en Israël et dans les rangs de la diaspora. le massacre paneuropéen des Juifs a conféré à l'antisémitisme une signification quasi métaphysique : l'ampleur de la destruction était telle qu'il était presque inévitable d'interpréter la haine des Juifs comme une haine éternelle, inexpugnable et totale, un phénomène inscrit dans l'ordre du monde lui-même. Les ennemis se succédaient dans une chaîne du mal continue et peut-être sans fin (…) le caractère radical de la Shoah a rendu très difficile sinon impossible d'envisager le monde autrement qu'à travers un grand récit qui a structuré la conscience juive moderne : on en est donc venu à définir le monde par son intention d'annihiler les Juifs – une interprétation difficilement évitable au regard de la persistance et de la radicalité de la haine à leur endroit. »



Et c'est bien ce que nous dit Delphine Horvilleur aussi. Sous nos dénégations civilisées (« mais où vas-tu chercher ça ? Vraiment, ma belle, tu deviens parano »), elle détecte autre chose, tout un air du temps qui ne parle pas d'antisémitisme, qui ne prononce pas le mot. Tout un discours que je pourrais peut-être reprendre à mon compte, sans réfléchir, parce qu'il m'a l'air sensé. Et qui contient, une haine nauséabonde.



Ce qu'elle dit, c'est que notre société est antisémite. de manière souterraine, larvée, à bas bruit la plupart du temps. Mais que les ferments haineux qui couvent de tout temps n'attendent que le détonateur d'événements ou de crises pour s'afficher, tranquillement décomplexés. « Aujourd'hui, la haine contre les juifs s'alimente, de façon paradoxale, de l'antiracisme affiché. On y fait un raccourci génial : soyons du côté des faibles, des victimes et des vulnérables. le problème est que dans le catalogue des faibles, il y a beaucoup de monde… mais les juifs n'apparaissent nulle part. Bizarre, bizarre… même quand ils sont assassinés, défenestrés, brûlés, torturés, violés ou kidnappés, rien ne suffit à les rendre assez faibles, ou dignes d'être protégés. Leur vulnérabilité reste toujours à démontrer. »



Bon, là, je m'insurge. Je ne suis pas d'accord du tout. Je ne crois pas que ce soit parce que je considère les juifs comme toujours trop puissants pour être plaints que je ne prends pas fait et cause. C'est parce que je fais un amalgame entre l'Etat d'Israël, la politique qu'il mène et l'identité des cadavres. Ce n'est pas mieux. Mais je n'arrive pas à croire que, poussée dans mes retranchements, j'en arrive à renier ces altérités que constituent toutes les religions, les origines ethniques, les cultures dont je ne suis pas complètement mais qui me parlent tellement.



Voilà. On y est. C'est là où, plus que d'un malaise, j'ai souffert à cette lecture d'une blessure. J'ai eu l'impression qu'elle m'insultait. Qu'elle me griffait et me reprochait ce que je n'étais pas. Mais pourtant, cette réticence à clamer mon empathie univoque, je l'ai bien éprouvée, non ?



Y a-t-il chez chacun d'entre nous cette capacité à rester aveuglés par un sens commun coulé sur de l'immonde ? Abritons-nous tous cette propension à nous hisser sur nos convictions morales afin de juger, de condamner et de s'exonérer ? En fait, lorsque je décide de qui vaut ma compassion, qui le fait ? Quelle part de moi prend le pouvoir et embarque toutes mes autres identités dans cette prise de position ?



Delphine Horvilleur, lorsqu'elle écrit Comment ca va pas ? écrit avec son identité de rabbin, juive donc. Et on le lui a reproché. On l'a trouvée plus communautariste que dans d'autres de ses livres. Quel dommage, une fille si bien !



Eh, minute, et nous ? Avec quelle identité pense-t-on quand on dit ça ? L'universaliste Blanc des lumières, laïque et bien dans ses convictions suprémacistes ? Celui qui a résolu de donner un Etat à Israël après la Shoah (parce que, bien sûr, il disposait de la terre et des hommes, dominant qu'il était). Celui qui avait mis sous protectorat cette région du monde après la chute de l'empire ottoman. Quelle légitimité ! Hmmm.



Alors qui doit-on chercher en soi pour penser ce 7 octobre et tout ce qui en découle ? Je vois bien tout ce que mes attentes à être moi aussi rassurée et guidée peuvent faire de tort à qui pleure déjà, simplement dévastée. Je vois bien aussi combien mes mots, en s'insérant dans la trame d'un environnement sociopolitique de plus en plus clivé, peuvent mal dire, mal faire et contribuer au désastre ambiant. Avec quelle humilité il faut plonger en soi, écarter les postures. Retrouver seulement l'élan du coeur. Arrêter de penser pour éprouver.



Dis, Delphine, est-ce que je peux me mettre juste là, à côté et pleurer avec toi ?

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Vivre avec nos morts

Delphine Horvilleur, qui est rabbin (je pense que tout le monde le sait tant elle est médiatisée), côtoie souvent la mort et les familles endeuillées. Elle nous raconte des anecdotes à ce sujet, qu’elle associe à des références bibliques et culturelles. ● J’ai appris des choses, notamment sur les traditions juives liées à la mort. Le style est simple, agréable et direct. Mais ce que je reprocherais à ce livre, ce sont les attentes que suscite son sous-titre, « Petit Traité de consolation », qui sont presque totalement déçues, alors que, moi-même récemment endeuillé, c’est avant tout ce que j’y cherchais.
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