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Critiques de David Diop (568)
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Frère d’âme

*** Rentrée littéraire 2018 ***



En cette année du centenaire de la fin de la Première guerre mondiale, on ne peut que se réjouir qu'il y ait encore des romans pour aborder la Grande guerre sous un angle inédit et tout aussi subversif qu'Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre.



Alfa est un des 134.000 tirailleurs sénégalais jetés dans l'enfer des tranchées pour sauver la mère Patrie. Alfa et Mademba, son frère d'âme, éventré quasi sous ses yeux, le «  dedans du corps dehors », qui n'en finit plus d'agoniser dans les bras de son  « plus que frère ». Alfa ne peut se résoudre à abréger ses souffrances, et dans une cérémonie des adieux terrible, il porte ses tripes et son corps dans le refuge de la tranchée. En fait il va les porter pour toujours, ses tripes et ce corps, hanté par la culpabilité de n'avoir pas su accompagner et aider son ami sur la voix de la mort.

«  Ce n'est qu'à ta mort, au crépuscule, que j'ai su, j'ai compris que je n'écouterai plus la voie du devoir, la voix qui ordonne, la voix qui impose la voie. »



La bascule est là, comme une malédiction schizophrénique. Il ne fera plus le sauvage pour la France mais pour lui-même, pour se racheter en mettant au point un rituel empli de folie monstrueuse qui le met en marge de la guerre elle-même, devenant un «  dévoreur d'âmes » comme on dit dans son Sénégal.

Le monologue incantatoire d'Alfa n'est qu'un long cri halluciné, le pardon que demande Alfa au défunt. le style est étonnant, fait de phrase, brutes et simples, répétées, revisitées en cercles concentriques comme un chant obsédant, ponctué de métaphores et d'images. Très poétique aussi lorsqu'Alfa se souvient de son enfance, de ses parents, de Fary son aimée, dans des passages lumineux qui tiennent presque du conte.



Une écriture à l'os qui dit "je" sans aucun filtre et interroge sur l'ensauvagement qui produit toute guerre, sur la frontière entre la guerre dite «  civilisée » et celle qui ne l'est plus. Est-ce Alfa le barbare ou le coup de sifflet du capitaine qui plonge les soldats sous la mitraille ? Celui qui devenu fou mutile ou ceux qui détournent la tête hypocritement face à ces âmes fracassées pour toujours par la guerre ?



Ce roman a l'élégance de la concision, 175 pages percutantes, intenses. Vraiment remarquable.

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Frère d’âme

« dans les plaies béantes de la terre qu'on appelle les tranchées »



Ode à l'amitié et à la liberté, d'un style répété comme une chanson, Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais, ne pourra sauver « son plus que frère » de l'horreur de la guerre. Après avoir laissé se déchaîner sa colère jusqu'à la folie, il sera temps pour lui de se retourner et de se poser, dans une complainte lancinante, Alfa le griot nous invite à le suivre sur le fil de sa vie.

Une poésie sensible et inspirée, pour nous faire croire encore en l'espoir et en la paix.



Lu en juin 2018.



Mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/David-D..
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La porte du voyage sans retour

Rentrée littéraire 2021 # 16



Cette exofiction très inspirée est centrée sur la personnalité du naturaliste Michel Adanson et plus particulièrement sur un épisode de sa vie : son exploration de 1749 à 1754 du Sénégal lorsqu'il aspirait à devenir membre de l'Académie royale des sciences de Paris. de ce voyage, il rapportera plus de 300 plantes vivaces qu'il acclimatera au Jardin du roi à Versailles ainsi que 33 espèces d'oiseaux ; puis rédigera une Histoire naturelle du Sénégal. Mais ce n'est pas la fiche wikipédia qui intéresse David Diop. Son récit s'envole vers la fiction en imaginant un compte-rendu secret et intime du voyage au Sénégal, reçu en héritage par la fille d'Adanson ( la botaniste Aglaé ) où il révèle être parti à la poursuite d'une jeune esclave en fuite et en être tombé éperdument amoureux.



Tout est réussi dans ce roman. A commencer par la confrontation des idéaux des Lumières à la réalité de l'esclavage. Les tribulations du tout jeune Adanson au Sénégal ont des accents voltairiens, notamment lorsqu'il dit «  il fallait donc que nous continuions à manger du sucre imprégné de leur sang », allusion nette au « c'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » de l'épisode du Nègre du Surinam. Il découvre le Sénégal à hauteur d'homme, tous les sens en éveil, sans préjugé. Il juge utile d'apprendre le wolof pour échanger avec les autochtones car « leur langue est la clef qui m'a permis de comprendre que les Nègres ont cultivé d'autres richesses que celles que nous poursuivons juchés sur nos bateaux ». Aux côtés du prince Niak, seulement douze ans mais d'une formidable sagesse, il s'ouvre à l'autre, à l'universalisme et se découvre abolitionnisme ardent, comprenant que la supposée infériorité des Africains n'est qu'un leurre pour légitimer leur traite.



Le talent de conteur de David Diop fait le reste, entraînant le lecteur dans un roman d'aventures fort plaisant, porté par une plume vraiment superbe qui, sans plagier le style dix-huitièmiste, enveloppe de ses phrases amples et travaillées. On est très loin de la prose incandescente, hallucinée et poétique, tellurique même jusqu'à son oralité, de Frère d'âme. Ce changement m'a d'ailleurs surprise, me disant, que c'était certes très beau mais tout de même très classique, tant par la forme que le fond.



Et c'est là que David Diop s'extrait de ce faux classicisme avec le fabuleux personnage de Maram, l'esclave en fuite, qui a joué l'ensorcelante arlésienne durant une grande partie du roman. Et lorsqu'elle est là, son récit ( superbe mise en abyme ) illumine tout le roman, on comprend la passion amoureuse qui terrasse Adanson, Orphée à la poursuite de son Eurydice. A ses côtés, Adanson parvient à mettre de côté Descartes en acceptant les « rabs », l'esprit surnaturel animal de chaque être humain, en l'occurence l'incroyable boa noir et jaune de Maram par lequel sa vengeance s'abattra.



Et c'est là que tout le roman se pare de modernité. Dans cette histoire d'amour aux accents fantastiques qui renverse les certitudes et fait écho à une autre histoire d'amour, celle d'un père pour sa fille. Ce carnet qu'il offre à sa fille est un magnifique cadeau car il va permettre à Aglaé de découvrir son père. Ce père qu'elle ne connaît que par ses absences ou son obsession à écrire une grande oeuvre encyclopédique ( jamais publiée, vaincue par Linné ) est désormais prêt à abattre les paravents dressés autour de lui dans une mise à nu sans pudeur, juste pour la laisser découvrir l'homme qu'il était depuis son initiation africaine à la violence et la souffrance de la porte du voyage sans retour. le plus beau des héritages.



Un excellent moment de lecture même si je n'ai pas autant vibré que pour le superbe et percutant Frère d'âme, un de mes gros coups de coeur de ces dernières années.
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La porte du voyage sans retour

Après «Frère d’âme», lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2018, David Diop nous ouvre « La porte du voyage sans retour », surnom donné à l’île de Gorée, d’où partirent des millions d’esclaves africains au temps de la traite des Noirs.



Le récit débute cependant à Paris, en 1806, en compagnie d’Aglaé, dont le père, célèbre botaniste, vient de mourir. Héritant de nombreux objets hétéroclites, elle parvient à mettre la main sur des cahiers dissimulés par son père dans un meuble en acajou, révélant ce qu’il lui est véritablement arrivé lors de son périple au Sénégal. Parti y étudier la flore locale et rêvant de devenir mondialement connu en rédigeant sa grande encyclopédie universelle des plantes, il y trouvera surtout un amour impossible et beaucoup de souffrances…



Inspiré de la vie du botaniste Michel Adanson, « La porte du voyage sans retour » raconte l’histoire d’un homme tout d’abord intrigué par l’histoire du fantôme d’une jeune Africaine promise à l’esclavage, puis tombant éperdument amoureux de cette femme aussi mystérieuse qu’envoutante, pour finalement faire basculer cette quête sentimentale en une révolte contre le sort réservé aux Noirs. Le tout emmené par des personnages hauts en couleur, du jeune Ndiak, qui sert de guide au botaniste, à Maram, qui incarne non seulement toute la beauté et l’exotisme de ce magnifique pays, mais également ses injustices et ses peines…



À travers les révélations post-mortem de ce vieux botaniste, David Diop livre non seulement l’héritage d’un père incompris à sa fille, mais surtout une histoire d’amour aussi merveilleuse que tragique, ainsi qu’une dénonciation de l’exploitation coloniale et de la traite des noirs. Le tout porté par la superbe plume de David Diop et parfumé par les splendeurs de l’Afrique, mélangeant croyances, proverbes, folklore et coutumes, allant même jusqu’à donner des allures de conte à cette bouleversante aventure africaine…
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La porte du voyage sans retour

À partir de l’histoire de Michel Adanson, un botaniste français né en 1727 et mort en 1806, David Diop m’a ramené sur ses terres d’Afrique dévastées des années durant par le juteux trafic d’êtres humains : l’esclavage.

Michel Adanson, passionné par les plantes rêvait de publier un chef-d’œuvre encyclopédique consacré à la botanique, son orbe universel.

S’il n’y parvint pas, c’est Aglaé, sa fille qui découvre enfin ses cahiers après avoir cherché patiemment dans tout ce que son père lui a légué après sa mort. Elle débute la lecture d’un texte passionnant qui va me tenir en haleine jusqu’au bout.

Michel Adanson, à 23 ans, quitte Paris pour l’île de Saint-Louis du Sénégal, persuadé que les habitants, là-bas, nous sont inférieurs, comme cela est incrusté dans les mentalités de l’époque. Malgré ces idées préconçues, le père d’Aglaé apprend le wolof et peut ainsi communiquer de plus en plus avec celles et ceux que l’on nomme les Nègres. C’est ainsi que, dans le village de Sor, Baba Seck, le chef, lui conte l’histoire de « la revenante » qui n’est autre que sa nièce, Maram Seck, enlevée sur le chemin de l’île Saint-Louis. Serait-elle encore vivante ? Serait-elle sur l’île de Gorée, La porte du voyage sans retour, comme on la nomme hélas très justement ?

Décidé à connaître la vérité, Michel Adanson, sans négliger ses recherches sur les plantes locales, décide de partir à la recherche de cette jeune femme. Ndiak (15 ans) l’accompagne. Estoupan de la Brüe, le Directeur générale de la Concession, donne son accord et lui attribue six hommes armés pour escorte, plus deux porteurs.

Dans cette partie de l’Afrique occidentale où la Compagnie du Roi gagne trois à quatre millions de livres grâce au commerce des esclaves, Michel Adanson découvre que les petits rois locaux favorisent cela et organisent même les razzias.

Grâce aux notes prises par le botaniste, David Diop produit un roman passionnant, une plongée dans le Sénégal de la fin du XVIIIe siècle, sa nature luxuriante, sa faune, ses villages, ses coutumes. Je me retrouve même au cœur d’une fête de mariage au cours de ce voyage au sud de Saint-Louis.

Un peu plus tard, Michel Adanson, très malade, est sauvé par une sorcière, une guérisseuse qui… je vous laisse découvrir. J’apprends toutes les vicissitudes de ces hommes issus de la noblesse française mais aussi comment sont traitées les femmes qui refusent de se soumettre au bon vouloir des chefs locaux n’hésitant pas à pactiser avec ceux qui organisent le trafic d’esclaves.

La rencontre avec Maram, l’amour fou de Michel Adanson pour cette jeune femme qui se confie à lui sont des moments très forts de ce livre. Comme elle est passionnée par les plantes, ils communiquent d’autant plus facilement.

David Diop, toujours grâce aux cahiers de Michel Adanson, me fait bien comprendre l’importance de ce rab, ce génie gardien si important pour Maram qui le matérialise avec une immense peau de serpent boa.

La fin de l’histoire est tendue, terriblement angoissante mais tellement révélatrice de l’esprit de ces Européens trafiquants d’esclaves sur cette île de Gorée de sinistre mémoire.

Comme dans Frère d’âme, une lecture qui m’avait déjà passionné, j’ai plongé complètement dans ce récit après avoir été un peu désorienté au début. Pourtant déjà, l’auteur donnait de nombreux indices précieux sur cet homme qui, jusqu’à la fin de sa vie, ne pourra jamais oublier Maram, son amour fou qu’il croira même reconnaître des années plus tard sur un tableau représentant une Négresse d’origine wolof dont le modèle venait des Antilles. Mais, pour qui vient de lire La porte du voyage sans retour, livre faisant partie de la sélection pour le Prix des Lecteurs de 2 Rives 2022, cela ne paraît pas si étonnant…


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Frère d’âme

Je viens de terminer la lecture de ce " petit roman " et , bien sûr , comme après chacune de mes découvertes, me voici à m'interroger sur mon ressenti , sur les émotions qui ont pu ( ou non ) m'envahir..

Tout d'abord , la première des choses qui m'a interpellé avant même de commencer , c'est de savoir que ce roman a obtenu " le Goncourt des lycéens ." Bon , je sais , les prix , c'est comme les feuilles mortes , ça tombe en automne , ça fait des tas et ça donne du boulot pour les ramasser . Bref , un prix , ça ne veut pas toujours dire grand chose , l'aspect économique et les querelles des maisons d'édition pour " attraper la queue du Mickey " passant parfois avant l' intérêt du lecteur . C'est comme ça , si on se ruait un peu moins vite vers les " récompensés " , on verrait sans doute mieux les pépites souvent dissimulés par les gros arbres ...Bref , je reviens au prix des lycéens. Si je ne m'abuse , il s'agit d'un prix attribué par des lecteurs et même de jeunes lecteurs de première ou terminale , des lecteurs " neufs " , pleins de verve , d'envie de savoir , d'envie de connaître le monde dans lequel ils vont vivre , soucieux d'un avenir qu'on leur prédit bien sinistre..Alors , oui , nous en sommes parfois un peu (beaucoup ) jaloux de ces " petits cons " que nous avons nous - même été ....ouhlà là , ça fait tant que ça..??? Sauf que les " petits cons " en question ( Oui , ça peut choquer mais à leur tour, un jour , hein...) quand on leur confie la tache de décerner un prix , ils ne s'embarrassent ni de préjugés, ni de contraintes économiques et n'ont pas de " chouchou " . Il faut les voir aller discuter avec les auteurs , questionner , critiquer lors des fêtes du livre . Cet âge est sans pitié ."Un spectacle" que j'ai pu observer à Brive . Et le " Goncourt des lycéens " c'est un prix attribué avec les " tripes " de tous ces citoyens en herbe , et , à mon avis , c'est toujours un bon roman...

Bon , là , des lecteurs facétieux pourraient dire qu'ils l'ont choisi parcequ'il était court . Oui , bon , je n'insiste pas , ce serait de mauvais goût, même si , parfois , et je l'ai vu , "la longueur" d'un ouvrage peut être source de découragement....

Je vous ai dit que le lauréat , ils allaient le chercher avec leurs tripes et , le moins que l'on puisse dire , c'est que cet ouvrage n'en manque pas . La tranchée libère des hommes dont les tripes vont s'étaler dans les franges boueuses du champ de batailles . Scènes choquantes , violentes , insoutenables dans un début d'histoire poignant raconté par un tirailleur sénégalais dont la raison va vaciller lorsque son ami , son autre moi , va succomber dans ses bras après d'atroces souffrances qu'il n'a pas voulu , pas pu abréger malgré les supplications.

Et la violence va encore déferler lorsque le devoir va céder la place à la vengeance . L'humain perd de son aura , " les dents claquent , des auréoles teintent les pantalons " , la guerre racontée ainsi frappe au plus profond et l'horreur qu'elle retrace ne peut que toucher des jeunes qui , dans leur grande majorité, n'en veulent pas , heureusement ...Les anciens ne sont plus là pour raconter , pour rappeler les valeurs , le temps apaise les souffrances , les souvenirs s'estompent et ...le danger , sournoisement , fait son oeuvre .

Dans ce roman , il me semble y voir tout ça , une foison d'idées exprimées par la transcription sur le papier d'une légende africaine orale qu'il ne faut pas oublier , de codes d'honneur .... Oui , c'est parfois redondant , répétitif , comme une litanie obsédante qu'on aurait envie de chasser de soi mais qui nous protégera tant que nous l'entendrons . La " sagesse africaine " .

Les jeunes ( petits cons dont j'ai parlé plus haut ) ont tous un air bravache pour nous ressasser ces " je sais , je sais " qui nous irritent tant mais ils ont une énorme faculté , celle de puiser , ensemble , les idées qui les façonneront dans des livres comme celui - ci , car je crois qu'ils se reconnaissent dans la vie d'Alpha avant la guerre , dans les premiers émois....

Le style , brutal , sied au message , me semble - t- il .On peut aborder ce court ouvrage sous bien des angles il offre tant d'ouvertures que je voudrais bien être le témoin d'une discussion de lycéens à son sujet , je crois que nous en tirerions bien des enseignements , voire de belles surprises .

Allez , maintenant , on attend les " prix " .Vous l'avez compris , ils ne m'intéressent pas , sauf l'incontournable " Goncourt des lycéens ".

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La porte du voyage sans retour

Une révélation frappe Michel Adanson le 26 janvier 1806, très exactement, six mois, sept jours et neuf heures avant le début de sa mort : « L'essentiel est de figurer dans la mémoire d'Aglaé (sa fille) tel qu'en lui-même, et non pas aussi immatériel qu'un fantôme de savant ». S'il a passé sa vie à décrire minutieusement près de cent mille « existences » de plantes, de coquillages, d'animaux de toutes espèces au détriment de la sienne, il parvient donc, à la fin de sa vie, non sans difficulté à achever la rédaction de ses souvenirs d'Afrique, espérant ainsi montrer à sa fille l'homme qu'il est.

Car s'il a fait ce voyage au Sénégal pour découvrir des plantes, il y a rencontré des hommes…

Après le décès de son père, ce père qu'elle a aimé mais terriblement absent, occupé par la rédaction de son « Orbe universel », son chef d'oeuvre encyclopédique, Aglaé va découvrir dans ces carnets le vrai visage de son père et combien ces années de jeunesse passées au Sénégal ont été un tournant dans sa vie.

Inspiré par les vrais carnets de voyage de Michel Adanson, David Diop relate comment ce jeune botaniste, vers 1750, envoyé par l'académie royale des sciences, est parti explorer le Sénégal pour explorer la flore locale, et a découvert un peuple, une langue le Wolof qu'il a apprise, et l'horreur de l'esclavage.

À travers ce récit, l'auteur nous permet de découvrir cette période pré-coloniale où le Sénégal est partagé en plusieurs royaumes qui se font la guerre et où, pour commercer et se déplacer il faut négocier avec les rois qui sont en place. Michel Adanson bénéficiera de la présence au cours de son périple d'un jeune homme, Ndiak, véritable sésame lui permettant de déambuler à l'intérieur du Sénégal, celui-ci lui ayant été fourni par le roi du Waalo. de même, les routes ou les voies de chemin de fer sont encore inexistantes et les déplacements difficiles et risqués. Adanson s'en apercevra, au cours de la recherche de cette Africaine, Maram, poursuite, qui le mènera du Nord au Sud du pays jusqu'à l'île de Gorée. Cette île était le lieu d'embarquement des Africains captifs sur les navires négriers et connue comme « la porte du voyage sans retour ».

C'est avec beaucoup d'émotion et de plaisir que j'ai voyagé aux côtés de ce botaniste, sujet au mal de mer, accompagné de Ndiak, deux porteurs de ses malles et de six guerriers du royaume de Waloo armés, qui a préféré rallonger sa progression en passant par les terres plutôt que par la mer.

J'ai été particulièrement sensible au raisonnement de Michel Adanson et à sa démonstration de l'égalité de tous les hommes, quelle que soit leur couleur.

Quant à l'évocation du mythe d'Orphée et d'Eurydice mis en parallèle avec l'extrême violence et la terrible souffrance de Michel et Maram, ces deux êtres qui vont se rejoindre, s'aimer puis se perdre, elle est on ne peut plus adéquate à la situation.

La porte du voyage sans retour, est un roman envoûtant qui se lit comme un livre d'aventures tout en étant extrêmement riche historiquement et humainement.

Si le roman débute par l'histoire d'une transmission entre un père et sa fille, c'est également un superbe plaidoyer que David Diop livre en faveur de ceux qu'on désignait sous le terme de Nègres, selon la terminologie de l'époque, ce mot entaché d'infamie aujourd'hui, mais qu'il emploie pour rester fidèle au personnage et au contexte historique. Avec le naturaliste Adanson, nous découvrons et ne pouvons que nous indigner de découvrir ces Nègres, hommes, femmes ou enfants considérés comme des marchandises, capturés et transportés de l'autre côté de l'océan, dans d'horribles souffrances.

J'avais beaucoup apprécié le précédent roman de David Diop, Frères d'âme, prix Goncourt des Lycéens 2018 et de l'international Booker Price 2021, qui était le récit de tirailleurs sénégalais dans les tranchées durant la guerre de 14-18 et je me suis à nouveau délectée avec La porte du voyage sans retour, surnom donné à l'île de Gorée, d'où sont partis des millions d'Africains au temps de la traite des Noirs.


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Frère d’âme

Ce livre m'a été offert par mon chéri. Il ne m'offre jamais de fleurs mais des livres, c'est moi qui préfère, "Parce que les fleurs c'est périssable", "puis les" bouquins "c'est tellement" bien...



"Frère d'âme" est un roman sur la Guerre Mondiale, la première, celle des tranchées et des tirailleurs sénégalais, mais pas que...



Alfa Ndiaye vit dans une petite ville du Sénégal quand son ami Mademba Diop, son frère choisi, son "plus que frère", légèrement influencé par le bourrage de crâne de l'école française, décide de se porter volontaire pour rejoindre les tranchées et défendre la Patrie. Alfa le suit dans ce choix qui pour eux est un passeport pour la liberté : s'ils rentrent sains et saufs, l'argent gagné leur permettra de travailler et de vivre une vie décente.

Nous suivons donc les deux frères dans cette guerre infâme, où la boue et le sang se mélangent, où la peur s'insinue dans la moindre parcelle de l'être, où survivre devient le seul credo, où survivre signifie parfois devenir sauvage jusqu'aux limites même de la raison.



L'écriture est très belle et poétique. Entre les lignes paraissent quelques vérités cachées sur cette comédie qu'est la guerre, sur son hypocrisie dans l'utilisation des colonies, grandes pourvoyeuses de "chair à canon".

Plus qu'un roman de guerre c'est un roman de guerre et d'amour, l'amour d'un frère pour un autre. De l'amour à la mort, quand la guerre s'en mêle, il y a moins que la largeur d'une tranchée. Du désespoir à la folie, il y a moins que la portée d'un fusil.

Doux et subtil, ce roman dénonce très adroitement la folie démesurée de la Guerre.
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Frère d’âme

Voici un roman à la beauté époustouflante lu d'une traite .

Il nous plonge au coeur de la terreur, dans les tranchées de la Grande Guerre, vues par un tirailleur sénégalais .

Ce très beau récit, puissant et déchirant à la fois montre la capacité de l'homme à se surpasser "parfois "dans la violence , ce sont les circonstances qui réveille ces pulsions sanguinaires ....

Un matin de la grande guerre , les soldats s'élancent à l'assaut de l'ennemi allemand sous les ordres du capitaine Armand .

Alfa Ndiyae et "son plus que frère" , Mademba Diop : (ils ont été élevés ensemble ), deux tirailleurs sénégalais jaillissent de leur tranchée , enrôlés dans la guerre , de la chair à canon.....venue d'un autre continent ....

Soudain Mademba tombe , blessé à mort sous les yeux d'Alfa, son presque frére .....



Dans l'horreur ambiante , bouleversé par la mort de Mademba : " Les tripes à l'air[ ....], comme un mouton dépecé par le boucher rituel après son sacrifice ...."

Alfa se retrouve seul dans la folie du massacre.

Sa Raison s'enfuit .

La colére et la rage deviennent le moteur de ce survivant , " dévoreur d'âmes " , prêt à massacrer quiconque se trouvera sur son chemin....

Détaché de tout, devenu fou par la douleur, Alfa sème l'effroi , tue tant qu'il peut, coupe des mains comme s'il cueillait des fleurs, chacun de ses camarades prend peur....

" Dans le monde d'avant , je n'aurais pas osé , mais dans le monde d'aujourd'hui , par la vérité de Dieu , je me suis permis l'impensable ...." .

L'auteur dans une belle langue simple , délicate , imagée , ponctuée de temps très forts , qui colle parfaitement au trouble de son héros donne voix à ce soldat,, plus lui- même, perdu par la douleur et l'aveuglement , désemparé et sanguinaire ....

Il redonne vie à ces milliers d'hommes ces "Chocolats d'Afrique Noire ", jamais entendus jusqu'alors ou si peu qu'on envoyait se faire trouer la peau au coeur d'un conflit qui n'était pas le leur ....



Revenu à l'arrière , Alfa se remémore son enfance et son amour pour sa belle ....



Cet ouvrage est aussi une réflexion à propos de la violence et de l'amitié absolue, au delà de tout , peut être aussi, un questionnement sur les rapports ambigus entre la France et l'Afrique coloniale, à la fois lointaines et proches ....

Un Trés Bel Ouvrage , ce n'est que mon avis bien sûr .
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La porte du voyage sans retour

Au milieu du XVIIIe siècle, le naturaliste Michel Andanson choisit, pour ses explorations, de se rendre dans une région d’Afrique alors encore très mal connue des Européens : le Sénégal. Il y passa cinq ans, comme modeste commis de la Compagnie des Indes, et en ramena quantité d’observations géographiques et ethnologiques, ainsi que d’importantes collections botaniques et ornithologiques. Ruiné par l’insuccès de ses publications à son retour de voyage, il élabora avec Jussieu une nouvelle méthode de classification des végétaux, et se lança dans un gigantesque projet d’encyclopédie, qui ne fut jamais publiée. Il mourut dans le dénuement, léguant à sa fille Aglaé sa passion pour les plantes et une montagne de manuscrits. Et aussi - mais là c’est l’imagination de David Diop qui prend le relais -, des carnets relatant une version beaucoup plus intime de son expérience sénégalaise.





Ressuscitant le botaniste sous les traits d’un jeune homme ouvert et curieux, que ses explorations amènent à remettre peu à peu en cause les préjugés raciaux de ses semblables, au fur et à mesure qu’il se familiarise avec la langue, les traditions et les croyances, enfin le rapport au monde des Sénégalais, l’auteur nous entraîne dans un fascinant et dépaysant récit d’aventures, bientôt tendu par le mystère d’une disparition et d’une quête. Car, nous voilà bientôt sur les traces d’une jeune Africaine, évadée aux abords de l’île de Gorée, alors que, promise à l’esclavage, elle devait, comme des millions d’autres au temps de la traite des Noirs, y franchir « la porte du voyage sans retour ». Fasciné par la légende qui s’est aussitôt emparée du destin de cette fille devenue héroïne pour les uns, gibier pour les autres, notre narrateur laisse un temps de côté la flore pour s’intéresser à cette Maram, sans se douter que les développements romanesques de cette aventure le marqueront à jamais.





Romanesque, l’histoire de Michel et de Maram l’est absolument. C’est en vérité pour n’en revêtir qu’avec plus de force une dimension résolument symbolique et éminemment poétique. Ce jeune Français, qui, animé par l’esprit des Lumières, s’avère capable de raisonner à contre-courant des préjugés de son époque pour apprendre à connaître et à respecter un autre mode de rapport au monde, et qui, pourtant, échoue, comme Orphée, à sauver Eurydice de la mort et des Enfers, et, de retour en France, s’empresse d’oublier le changement de mentalité entamé lors de son voyage pour épouser à nouveau sans réserve les plus purs principes matérialistes, illustre tristement ce que les liens entre l’Europe et l’Afrique auraient pu devenir, loin de toute relation d’assujettissement, si l’appât du gain avait cessé un temps de les dénaturer.





Finalement rattrapé par l’inanité de ses ambitions et de ses tentatives encyclopédiques de maîtriser le monde, le personnage principal prend conscience, sur le tard, de ses erreurs et de ses ambiguïtés. Trop tard, hélas, pour les victimes de l’esclavage, et pour le mal et la souffrance terriblement infligés. Mais pour mettre en mots, transmettre la mémoire, et, peut-être, espérer, un jour, un avenir plus humain entre Afrique et Occident.


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La porte du voyage sans retour

Dans ce roman fascinant, David Diop a su mêler avec talent le romanesque à l’histoire du botaniste et naturaliste français : Michel Adanson.

Nous sommes au XVIIIe siècle, le siècle des Lumières mais aussi l’apogée de l’esclavagisme en Afrique. Le botaniste Adanson, qui place la science au-dessus des superstitions, va s’intéresser à l’histoire d’une « revenante » Maram, jeune fille enlevée à son peuple, dont on aurait retrouvé la trace dans un village reculé.

Cette quête et l’aventure romanesque qui en découle, arrivera jusqu’à Aglaé, fille du naturaliste, lorsqu’elle héritera des meubles de son père mort et découvrira ses carnets. Ce père, décrit comme un solitaire et misanthrope, obsédé par l’aboutissement de son encyclopédie universelle, se révèlera enfin aux yeux de sa fille qu’il a négligée toute sa vie.

Différent des hommes de son époque qui partent chercher en Afrique pouvoir et richesse à travers la traite des noirs, Michel Adanson veut connaitre les mœurs de ces hommes qu’il ne voit pas comme une race inférieure à celle des blancs. Lors de ses années passées au Sénégal, il apprend leur langue, le wolof et se lie d’amitié avec Ndiak, jeune prince sans avenir, qu’il initie à la botanique.

Lorsqu’il rencontre enfin la jeune femme promise à l’esclavage, le naturaliste va éprouver pour elle un amour sincère et chaste, ce qui va à l’encontre des mœurs de l’époque où les belles esclaves servent à assouvir les désirs de leurs maîtres. Michel Adanson est un humaniste qui s’émeut de la traite des noirs et de la maltraitance qui leur est infligée. Pourquoi, s’étonne-t-il, séparer les familles et les expédier aux Amériques, alors qu’il y a tant de terres à cultiver chez eux au Sénégal et que la canne à sucre y pousse tout aussi bien ? Mais le jeune français est un utopiste qui, en croyant pouvoir inverser le destin tragique de ces noirs qu’il côtoie, va compliquer leur existence.

Sa rencontre avec Maram, devenue guérisseuse, est la porte d’entrée d’un monde fantastique ou les génies, appelés rabs, ont un pouvoir sur chaque existence. Il confie à ses carnets l’histoire de Maram telle qu’elle l’a lui a racontée et l’on pénètre dans le cœur même de l’Afrique avec ses croyances, ses coutumes et sa magie. On entre aussi dans l’univers du conte avec sa symbolique fantastique lorsque Maram narre les épreuves qu’elle a dû affronter.



La force du roman, c’est de nous raconter une histoire à travers le récit de ses personnages. Tout d’abord celui de Michel Adanson par le truchement de ses carnets, puis celui transmis par Maram et, en épilogue, le témoignage d’une esclave noire, Madeleine, laquelle refuse les cadeaux de cet Adanson qui voit en elle la réincarnation de son amour perdu.



Ce roman, à l’écriture fluide et subtile, joue l’équilibre entre roman historique et conte fantastique et j’ai aimé me perdre entre ces deux univers.



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Frère d’âme

Au cœur de ce récit aux allures de conte cruel, la triste banalité de la guerre, celle qui il y a cent ans a assassiné au nom d’idéaux fallacieux cachant juste la soif de pouvoir , des millions de vies humaines. Et parmi cette foule sacrificielle, certains furent moins égaux que d’autres, et parmi eux les tirailleurs africains. C’est la voix de l’un d’eux qui nous confie sa détresse et nous raconte comment son frère d’arme et d’âme , est mort au combat, et comment il a pu essayer de répondre à la terrible souffrance que fut la perte de son ami, alors qu’il est rongé par la culpabilité d’avoir été incapable de mettre fin à ses souffrances.



Si les scènes de guerre, au coeur des tranchées ne sont pas sans rappeler Au revoir là-haut, l’écriture s’en différencie, de l’incantation à la folie, les mots ornent la souffrance, masquent l’indicible et prennent le pouvoir sur l’horreur qui ronge la raison.



Le choix des lycéens est osé, démentant la légitimité d’une littérature jeunesse, et il faut une grande maturité pour décerner un prix, mérité , à un tel ouvrage.



Ce récit laisse une empreinte forte sur les souvenirs, et fera partie de ceux que les années n’effacent pas. Thèmes universels porté par une langue de poète, la guerre, les regrets du pays perdu, les alliances impossibles, l’amitié perdue, prennent ici des allures bibliques, avec en ligne d empire la folie, seule rempart contre la souffrance.


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Frère d’âme

Incantatoire, itérative, douloureuse, lancinante, est la complainte d'Alfa pleurant Mademba, mort sur le champ de bataille. Nous sommes pendant la Première Guerre mondiale, les deux amis se sont engagés aux côtés de leurs frères tirailleurs sénégalais. Dans la grande boucherie, parce que Mademba est mortellement blessé, Alfa perd la raison dans son refus d'achever son presque frère. Il tue désormais comme « un sauvage », mutilant l'ennemi aux yeux bleus, en un rituel sacrificiel. Ainsi sorcier maléfique pour ses camarades, craint pour sa force et sa déraison, Alfa est éloigné à l'arrière, où âme égarée sans fin il devient son seul véritable ennemi.



N'aura-t-on jamais fini d'écrire sur le mal absolu de la guerre qui tue et rend fou ? Non probablement, et c'est nécessaire car la mémoire des hommes est courte. Ici David Diop, dans un chant prégnant et beau (si ce n'est l'abus de la répétition, donnant parfois un sentiment de lassitude), rend un hommage à nos frères noirs — près de 200 000 Sénégalais des troupes coloniales, engagés dans une des guerres les plus absurdes et meurtrières.
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La porte du voyage sans retour

Les mots se bousculent dans mon esprit à l’heure de vous livrer mon sentiment sur ce troisième roman de David Diop, qui fait suite (est-il besoin de le rappeler ?) au « Frère d’âme », lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2018 et du prix international Man-Booker en 2021. Paru aux éditions Du Seuil, « La porte du voyage sans retour » est non seulement un sublime roman mais je pense qu’il marquera autant que son prédécesseur les esprits, les consciences des lecteurs. Le style d’écriture est envoûtant, ciselé, magnifié par un David Diop qui nous entraîne au Sénégal, dans le pays où il a grandi, pour nous parler de l’esclavage au milieu du XVIIIème siècle. Un sujet fort et qui est abordé ici avec une puissance d’évocation peu commune. David Diop s’inspire de la vie de Michel Adanson, naturaliste français (1727-1806) qui séjourna à partir de 1750 et pendant cinq années au Sénégal. « La porte du voyage sans retour » fait référence au surnom donné à l’île de Gorée, lieu d’horreur et de terreur, d’où partirent des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs. Au début de cette histoire racontée par David Diop, nous sommes en 1806 et Michel Adanson sent ses dernières forces le quitter. La mort rôde et sa fin est proche, il le sait alors il convoque les fantômes qui le hantent depuis près de cinquante longues années. un prénom revient sur ses lèvres, répété inlassablement tel un mantra sacré : Maram. Celui qui n’aura jamais achevé son rêve de chef d’œuvre encyclopédique botanique, souhaite offrir les moyens à sa fille Aglaé, de mieux le comprendre, lui l’homme de science, muré dans ses écrits et ses ambitions académiques. Qu’a t’il voulu fuir, oublier ? Que cache son silence avec sa fille, son divorce avec son épouse délaissée ? Il désirait rester dans la mémoire de sa fille tel qu’en lui-même. Aglaé découvre les carnets son père, un louis d’or, une fleur d’hibiscus, un bout d’indienne et un collier de perles de verre blanches et bleues. Cet homme, qu’elle connaissait si peu au fond, allait lui confier le secret qui pesait sur son cœur depuis tant d’années. Elle commença à lire ces cahiers débutant par ces mots : « Pour Aglaé, ma fille bien aimée (…). » Nous remontons le fils du temps pour revenir en août 1752, au Sénégal, Adanson décide de retrouver la trace d’une jeune africaine promise à l’esclavage et qui se serait évadée. L’histoire lui semble si folle qu’il ressent le besoin irrépressible de retrouver cette jeune femme, aidé de Ndiak, le fils du roi du Waalo. Son voyage va l’emmener à découvrir ce Sénégal intime, pays aux multiples croyances, l’islam bien sûr, mais aussi celles encore ancrées de l’animisme, des esprits, le « rab » protecteur. Michel Adanson va ainsi découvrir peu à peu l’histoire de Maram Seck, la nièce de Baba Seck, chef d’un village au Sénégal. Qui était Maram ? Où se sont-ils rencontrés Adanson et elle ? Quels souvenirs si essentiels sont attachés à sa personne ? Dans cette quête d’absolu, Adanson va perdre ses illusions et découvrir un pays gangréné par la soif inextinguible des esclaves emmenés pour être vendu aux blancs avant de partir pour les Amériques. L’horreur de l’esclavage, de ces femmes, enfants, hommes enlevés à leur terre et arrachés à leur sol natal, aux droits foulés au pieds par ceux qui font de l’argent, la compagnies des Indes dont dépendait la concession du Sénégal. Jamais manichéen, David Diop souligne avec clarté, limpidité, la bassesse de ceux qui profitent de ce commerce de la honte, hommes blancs et complices noirs. Ces royaumes, ces traditions ancestrales, la faune et la flore du Sénégal et cette meurtrissure faite à l’Afrique avec ces déportations de millions d’esclaves.. On ressort de cette lecture le cœur serré, bouleversé par la confession de Michel Adanson à sa fille Aglaé, bouleversé par cette histoire de deux êtres que je vous laisse le soin de découvrir.. C’est un roman que l’on n’oublie pas, un livre remarquablement écrit et pensé par David Diop. « La porte du voyage sans retour » est une odyssée brillante et mélancolique aux confins de la vie et de la mort, à mi chemin entre les fantômes et les esprits, entre l’histoire de Maram et celle de Adanson, avec en toile de fond la terrible blessure de l’esclavage. Sublime.

Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions du Seuil pour cette lecture et leur confiance !


Lien : https://thedude524.com/2021/..
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Frère d’âme

Rappeler le sacrifice de tous ces hommes morts pour la France est essentiel et indispensable. Ne jamais oublier ceux qui sont venus d'un autre continent, volontaires ou pas, pour servir de chair à canon est fondamental mais le faire dans un roman comme Frère d'âme, comme l'a réalisé David Diop, est admirable.

Pour cela, il donne la parole à Alfa Ndiaye qui raconte simplement mais d'une façon si émouvante et sincère comment Mademba Diop – « mon plus que frère, mon ami d'enfance » - est mort, les tripes à l'air, lui demandant trois fois de l'achever, ce qu'il a refusé de faire.

Alfa est déchiré par le remords : « Je n'aurais pas dû te laisser souffrir comme un vieux lion solitaire, dévoré vivant par des hyènes, le dedans dehors. » S'il finit par ramener le corps de son ami dans la tranchée et qu'il est félicité pour son courage, sa vie est complètement bouleversée,

Après avoir quitté brutalement leur village du Sénégal, ces jeunes hommes se sont retrouvés dans l'enfer des tranchées et ont dû obéir : « le capitaine leur a dit qu'ils étaient de grands guerriers, alors ils aiment à se faire tuer en chantant, alors ils rivalisent entre eux de folie. » David Diop m'a ému, touché profondément avec ce langage simple d'un homme confronté à l'impensable, l'inimaginable, cette horreur que les hommes ont créée de toutes pièces pour l'infliger à leurs semblables.

J'ai suivi Alfa Ndiaye dans cette folie imposée, qu'ils soient « soldats toubabs ou soldats chocolats » mais je laisserai au lecteur découvrir comment il tente de venger la mort de son ami et de pardonner ce qu'il pense être une faute, répétant à tout bout de champ : « Par la vérité de Dieu. »

Foncièrement émouvant aussi, ce retour dans son village du Sénégal, ces souvenirs qui remontent à la mémoire comme cette superbe scène qui l'unit à Fary Thiam, fille d'une famille fâchée avec la sienne mais qui l'avait choisi. Expressions innocentes, simples, tellement justes qui n'empêchent pas de faire comprendre toute l'imbécilité de scènes de guerre quand le capitaine donne le signal de l'assaut en sifflant fort pour bien prévenir l'ennemi…

Enfin, je ne peux pas passer sous silence, ces hommes exécutés parce qu'ils ont refusé d'aller se faire tuer bêtement, vies sacrifiées pour l'exemple comme on disait : « À la guerre, quand on a un problème avec un de ses propres soldats, on le fait tuer par les ennemis. C'est plus pratique. »

La folie gagne. On traite ces tirailleurs sénégalais de sorciers et c'est Mademba qui parle enfin, se confondant avec Alfa pour terminer ce roman sensible et vrai sur les ravages causés par la guerre dans cette Afrique noire, avec ses contes et ses légendes où l'homme blanc croyait apporter la civilisation…



Retenu dans diverses sélections et donc en lice pour un prix littéraire, Frère d'âme a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens, récompense méritée qui montre que les jeunes lecteurs ont un goût des plus sûrs. C'est quand même rassurant !

Enfin, ce 2 juin 2021, David Diop et sa traductrice, autrice et poète étasunienne, Anna Moschovakis (photo ci-contre) ont obtenu le prestigieux Booker International Prize sous le titre At night all blood is black.
Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Frère d’âme

Lu en quelques heures.

Je ressors secouée de cette lecture. Je dois faire partie des âmes sensibles...

L'auteur nous plonge dans le monde cruel de la guerre. le personnage principal Alfa vient de perdre son 'plus que frère', et en même temps la raison. Entre culpabilité et souffrance psychologique, tout est raconté en détails.

Mais l'auteur ne se concentre pas que sur cela. Alfa se remémore son enfance et son amour pour sa belle. Cela m'a permis de souffler.

Une lecture qui ne laissera personne indifférent.
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La porte du voyage sans retour

Voici l'évocation puissante, kaléidoscope d'émotions contradictoires, odyssée bouleversante ou comment qualifier ce récit historique déroulant avec méticulosité le périple africain d'un jeune botaniste exceptionnel: Michel Adanson , découvreur de quantité de plantes jusqu'alors inconnues lors d'un voyage effectué au Sénégal pour étudier la flore locale , de 1750 à 1753.

Il transmettra à sa fille Aglaé, elle même amoureuse des plantes ,telle une confidente muette, après sa mort, la totalité de ses aventures , dans des cahiers découverts par hasard dans un tiroir à double fond , au creux d'un grand portefeuille en maroquin rouge foncé : un manuscrit tenu secret par l'homme de sciences destiné à sa fille , transmission d'un héritage d'un père à sa fille, mémoire partagée., tentative d'établir une encyclopédie universelle du vivant .



Aglaé , toute petite, s'était dit , pleine d'amertume , que les plantes étaient bien l'unique famille de son père .

Or il n'en était rien : le voyage ne fut pas que scientifique , l'homme de science s'initia petit à petit au fil de la route à la langue Wolof pour comprendre ce peuple , échanger avec lui , en découvrant un paysage magnifique , le Wolof fut la clef qui lui permit de comprendre que «  Les Nègres ont cultivé d'autres richesses que celle que nous poursuivons , juchés sur nos bateaux , ces richesses sont immatérielles » .



Le narrateur , MICHEL ADANSON découvre des plantes au Sénégal , mais surtout des hommes , à travers leurs récits, leurs bons mots, leurs contes transmis de génération en génération par leurs historiens - chanteurs , les griots .



Il découvre surtout l'horreur de l'esclavage , la souffrance souvent muette, d'hommes, de femmes , d'enfants transportés et capturés comme de vulgaires marchandises de l'autre côté de l'océan.: ces bateaux qui les transportaient par millions aux Amériques au nom du goût insatiable des Blancs , réduits en esclavage au nom d'une prétendue infériorité naturelle ,à laquelle pourtant ce siècle des Lumières ne croit plus …





Michel Adanson découvrira la plus belle des fleurs africaines : Maram, belle , jeune , qui le mènera du Nord au sud du Sénégal jusqu'à l'île de Gorée, lieu d'embarquement d, Africains captifs sur des navires négriers , île connue pour ses portes sans retour .Maram sera la victime des malheurs de la terre Africaine, tentative de viol, corruption, terrible et dramatique violence de la traite des noirs.



La plume de cet auteur dont j'avais apprécié le précédent roman est voluptueuse , ample , colorée , exotique , incisive , baroque parfois .



Une très belle langue ciselée , qui nous embarque dans un périple d'un autre temps , ressemblant à un beau voyage poétique, à l'humanité et à la chaleur indéniables !

Grâce au talent de conteur de l'auteur !



Livre saisissant et remarquable de la rentrée , peut - être promis

à un bel avenir !



Je remercie les éditions du Seuil et Masse Critique pour l'envoi de cette nouveauté .

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Frère d’âme

"Que saviez-vous des querelles

Que réglaient en miaulant

Les fusants et shrapnells

Ces inventions de blancs

Hommes noirs tombés en Flandres

Dans la neige de chez nous

Qui pour parler à vos cendres

Se met jamais à genoux

Vous êtes comme une brique

Par grand vent tombée du toit

Vous qui cherchiez votre Afrique

Dans le soleil de l'Artois

Vos chansons se sont éteintes

Comme des feux trop légers

On n'écoute plus les plaintes

Quand les mots sont étrangers"



écrivait Louis Aragon,  après la Grande Guerre , dans son Cantique aux morts de couleur.



A ce cantique, David Diop répond par les litanies de la folie et la parabole de l'amitié.



L'envoûtement  maléfique du griot , dans Frère d'âme,  se mêle à la sagesse du conte africain, l' incantation du mal à un  dictame d'humanité. 



Le conteur est un  tirailleur sénégalais , Alfa Ndiaye, beau, fort et bon, que la guerre absurde et meurtrière de 14-18 et la mort de Mademba Diop, son meilleur ami, son plus que frère, ont transformé en bête fauve.



Une bête qui a appris à penser, à se rebeller, à opposer sa brutalité sacrificielle à la boucherie absurde, commandée au sifflet, de la guerre de tranchées. 



Jusqu'à inspirer l'effroi aux siens, jusqu'à inquiéter ces chefs qui n'hésitent pas à faire abattre leurs propres hommes "pour l'exemple". 



Alfa devient le noir tueur de l'ombre, celui qui terrorise, qui éviscère et qui mutile l' ennemi aux yeux bleus, Comme s'il fallait dénoncer la folie guerrière par une forme encore plus raffinée, plus absurde,  de cruauté. 



Alfa est un  fauve  qui tourne sur lui-même dans sa cage intérieure, en creusant toujours un peu plus le sillon de ses phrases jusqu'à retrouver, derrière la sauvagerie que la guerre a imprimée à ses pensées , à ses mots et à ses gestes,  son autre lui-même, enfoui en lui, sous la musculature du guerrier, sous le masque du "dëmm" dévoreur d'âmes, sous la violence du dépeceur de corps, son double aimé, aimant, pensant - et sage.



Mademba Diop. Son plus que frère. Son double.



Car tout homme  est double, et si la guerre est une mauvaise folie qui transforme l'homme en créature farouche que rien ne semble toucher ou atteindre, l'amitié est sa part noble, sa fragilité, sa vulnérabilité. L'amitié est  la cicatrice qui rend le monstre  humain.



Et toute cicatrice raconte une histoire.

Une histoire moins simple qu'il n'y paraît.

Car toute histoire est double.



On lit ce court récit, lancinant et répétitif, avec une sorte d'horreur fascinée - et peu à peu se libère, derrière une barbarie candidement assumée, par la magie incantatoire de la langue, une étrange sagesse, une sagesse étrangère :   toute celle de l'Afrique, avec ses rites, ses devoirs, ses musiques, ses couleurs, ses odeurs - sa sensualité, son humanité et son immense poésie.





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Frère d’âme

Si Alfa Ndiaye, notre protagoniste et narrateur a décidé de rejoindre la France afin de combattre aux côté des français blancs durant la Première guerre mondiale, c'est parce que son plus que frère sénégalais, comme lui, Mademba Diop, voulait voyager. Aussi, Alfa l'a-t-il suivi, s'engageant dans une guerre qui ne le concernait pas, comme tant d'autres et ce quel que soit le camp, mais il ne pouvait pas abandonner Mademba.

Pourtant, si il a accepté de le suivre dans l'enfer des trachées, Alfa aura été lâche : lâche de ne pas avoir abrégé les souffrances de son ami lorsque celui-ci, à trois reprises, lui a demandé de l'achever afin d'abréger ses souffrances. Et pourtant "par la vérité de Dieu"; Alfa aimait plus que tout son plus que frère mais il n'a pas pu l'achever : il a remis tout le dehors de son ventre qui s'étalait en plein jour à côté de lui à l'intérieur et il a porté son ami jusque dans les tranchées. Aussi, dans un premier temps, Alfa a-t-il été considéré comme un héros parmi ceux, noirs ou blancs, à côté desquels il se battait. Mais plus fort que tout, suite au chagrin, est venue la rage et la colère puis le désir de vengeance. Alors que Mademba ne lui demandait qu'une chose : le butter afin qu'on en finisse au plus vite, Alfa, lui voudra venger la mort de son ami pour lequel il n'a pas pu exaucer la dernière volonté. A la question de savoir à quoi ressemblait ce "fils de pute" qui l'a tué, Mademba répondait simplement qu'il était petit aux yeux bleus. Lui que l'on a envoyé sur le front avec l'ordre de tuer sans penser à réfléchir au pourquoi il le faisait, Alfa sait dorénavant qu'il veut tuer un ennemi, petit aux yeux bleus. C'est ce qu'il entreprend de faire mais en y rajoutant un jeu macabre qui va effrayer plus qu'autre chose ses camarades. Il se fera un devoir chaque soir, alors que les combats ont cessé, de trouver un ennemi encore réveillé et de le tuer en rapportant dans ses tranchées le fusil ennemi avec la main, découpée au coupe-coupe qui la tenait. Jusqu'à la troisième main rapporté au camp, Alfa était salué par les siens, bichonné et traité en héros mais à partir de la quatrième main, on commença à le craindre, à l'éviter, le considérant comme celui qui apportait la mort et dévorait les âmes.



Un roman extrêmement fort et poignant, dans lequel on ressent bien toutes les atrocités de la guerre, parfois même à vous donner la nausée. Ce qui fait le plus sur cet énième roman sur la Première Guerre mondiale, c'est que cela parle du peuple sénégalais, qui s'est engagé, en tant que colonie française, aux côtés des forces de la métropole et que les souvenirs des protagonistes nous en apprennent plus sur les conditions de vie au village en ce début de XXème siècle. Un livre extrêmement bien écrit quoique très dur mais à découvrir et à faire découvrir car, même 100 ans après, l'on se doit de se souvenir !
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La porte du voyage sans retour

Michel Adanson, sur le point de mourir, se rapproche de sa fille et espère secrètement qu'elle mettra la main sur son cahier retraçant son périple au Sénégal. S'il n'est pas passé à la postérité grâce à la botanique, le vieil homme espère au moins délivrer ses secrets à sa fille.



Ce roman nous plonge dans le Sénégal du milieu du XVIII ème. Les autochtones sont soumis au joug de la France et l'esclavage bat son plein, faisant de Gorée le symbole de cette ignominie.

Finalement, s'il est bien abordé, le thème de la traite des noirs n'est pas aussi central que je l'aurais cru.

Ce livre , après avoir doucement commencé et un peu perdu le lecteur plein de certitudes que j'étais en l'abordant, nous emmène dans les croyances, les rites, les luttes entre différents royaume du Sénégal. L'animisme n'est pas loin, le soleil brule les peaux, la vengeance se prépare, la faune effraie.

Bien entendu, c'est aussi un plaidoyer contre l'occident et la colonisation , l'esclavage atteignant peut être le paroxysme de l'horreur .

Le choix de l'auteur de plonger un personnage humain, désintéressé et ouvert à toutes les cultures rend finalement son propos encore plus poignant, le contraste avec les autres Français étant ainsi accentué.



Enfin , comme dans frère d'âme, David Diop étincelle son œuvre d'une écriture envoutante.

Un grand merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour leur confiance.
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