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Citation de Simonbothorel


Quelques citations/extraits du roman La Horde du Contrevent (2004) d'Alain Damasio (Edition Folio, mars 2015)

• « Elle ne m’énerve pas, mais que lui répondre ? Qu’il a fallu huit siècles et trente-trois Hordes pour que, scribe après scribe et grâce (surtout !) aux érudits abrités, l’espèce humaine commence à comprendre que le vent a une structure profonde ? Qu’il n’était pas un pur chaos mouvant, un brouhaha sifflé au hasard, un non-sens ? […] Que le vent, en un mot, était, en terme de potentialités, aussi riche que la littérature ou la musique, à cette différence qu’on n’en connaissait pas à ce jour le compositeur – ce génie brut et diaphane, qui inventait ses symphonies à la frontière de l’assimilable et nous laissait chancelants, sous le déluge de sa dictée […] » (Sov) p. 637

• « Le vent vient de la terre, il en sort comme la lave des volcans. Une fois que nous aurons bouché l’ouverture, si tant est que ce soit possible, quel monde aurons-nous ? Un monde sans vent ? Le calme mortel, étouffant. » (Sov) p. 634.

• « Comment te sens-tu ? Comme une bougie qu’on allume et qu’on mouche, juste en déplaçant de l’air, qui ne sait plus sa chaleur, qui ne sent plus ce qu’elle éclaire ou qui. L’usure qu’on se cache, elle nous est retournée aujourd’hui comme une peau. Ce sentiment qui me serre la poitrine, dès que nous rencontrons des gens, celui de passer à côté de la vie, pendant que les Fréoles déambulent : si lestes, des lueurs… Mais ils ne savent pas à quel point chaque moment avec eux, jusqu’au départ, nous laissera des traces, des traces longues, des éraflures et des rêves. » (Aoi) p. 612

• « — Je dirais surtout qu’on se fuit. On ne se fait qu’en se fuyant. Et c’est l’oubli qui permet et opère cette fuite. L’oubli actif de cette mémoire inexorable qui nous fait. Il faut apprendre à décamper. » (Lerdoan à Caracole) p. 547

• « — Mon père m’a viré à cinq ans pour me lâcher sur Aberlaas. Mais il a quand même eu le temps de m’apprendre une chose : le respect de mon nom. Devant mon nom, y a qu’un seul adjectif que je tolère : c’est « neuvième ». J’aurais pu te saigner d’un jet, petite gueule, mais je vieillis. Et j’espère que toi aussi tu vieilliras assez pour te souvenir de mon nom. Et si dans deux mois, un aqual me suce et que tu retrouves mon sac de peau sur une plage, avec la carte de ma vie tatouée derrière, tu la prendras et tu la cloueras au mur de ta putain de cabine ! Peut-être que ça te donnera une idée, même vague, de ce qu’est le courage. » (Golgoth contre un fréole) p. 489.

• « La folie n’est plus folle, dès qu’elle est collective. Je crois que j’aurais pu faire n’importe quoi, le plus absurde, tant que nous le ferions ensemble ; ensemble, je sentais la puissance de chacun, physique et mentale, j’avais confiance en nous, et j’éprouvais cette profondeur du lien qui nous cousait à même la vague. » (Sov) p. 414.

• « J’avais longtemps cru que je tenais à eux mais, comment dire ? aujourd’hui ce n’était plus vraiment ça : c’était plutôt qu’ils tenaient en moi. Ils me peuplaient, ils habitaient mon bivouac d’os et de nerfs. À chaque pas qu’ils faisaient, à chaque mot échangé, chaque petit geste discret, ils élargissaient ma flaque intérieure d’autant, ils en prolongeaient la surface tissée. Le simple fait de les imaginer pouvoir mourir avait redonné à leur présence une lueur. Après la mort de Sveziest, je m’étais juré ça : de ne plus jamais oublier qu’ils pourraient ne plus être là demain. Les conséquences de ce petit serment furent prodigieuses pour l’acuité avec laquelle je recevais ce qu’ils étaient. Je découvris une nouvelle intensité – celle que la conscience effilée d’être accoudé chaque jour au parapet branlant de la mort donne. J’étais à nouveau émerveillable. » (Sov) p. 381.

• « Rythmer, c’est apprendre à plier dans le mouvement, sans le rompre. Et le troubadour n’a qu’un art, le plus beau, qu’il a volé aux chrones : l’art du rythme. » (Caracole à Sov) p. 351

• « — Rappelle-toi que l’oubli est la seule force vraiment active. Pas la mémoire : l’oubli ! » (Caracole à Sov) p. 254

• « Mes souvenirs sont faits d’épaisseurs, de vents et de poussière. » (Sov) p. 251

• « Eh bien voilà, il l’avait quand même gardé, Vork, gardé comme un souvenir de moi ou gardé pour moi, toutes ces années, toutes ces interminables années de contre. Je m’approchai du lit lentement, je me laissais envahir par l’atmosphère de chambre solitaire, jamais habitée, je fis plusieurs pas sur ce tapis dont personne n’avait encore agité les fibres et la poussière, je me sentais heureux et comme libéré d’une rancune de trente ans… Pas libéré non, juste prêt au pardon, enfin prêt… Juste apte à comprendre jusqu’à quelle profondeur mon père avait eu raison : que j’étais devenu cette force autonome et debout grâce à cet acte de privation crue, insupportable, ce trou où n’avait pu loger, par compensation, que ma rage. Je ne lui disais toujours pas merci, je ne pouvais pas, personne ne pouvait, aucun des hordiers, Golgoth moins que tous. Je lui disais merci. Pourtant – — Tu le reconnais ? me demandait mon père, presque anxieux. Tu te souviens ? Mais je n’avais déjà plus la conscience de répondre, j’avais pris Vork dans mes mains et j’étais dépassé par la violence de mes larmes. » (Sov lorsqu’il voit sa peluche que son père a gardé lors de leur retrouvaille) p. 210

• « Quand tu touches le fond de l’épuisement, que la machine suit plus, Sov, c’est autre chose. Le plus dur, ce sont les morts. Personne n’a la carrure pour supporter de voir mourir, personne crois-moi. Un mort, c’est pire que le pire des furvents, c’est pire que la septième forme. Ça te détruit à l’intérieur, ça tue une partie de toi, ça tue l’espoir, ça rend tout vain. On n’a pas su dépasser le choc de nos morts à répétition. On n’a pas su. » (Le père de Sov à son fils) p. 185


• « Il y a qu’à ma façon un peu distanciée, je t’aime, j’aime ta générosité et ta tendresse, j’aime ton amour du vivant, des animaux et des gens ; j’aime cette recherche de sens qui nous hante tous les deux, cette soif de savoir qu’on partage si bien ; et j’aime cet enfant que tu es, cet enfant dont tu as gardé, par je ne sais quel miracle, la fraîcheur intacte au cœur même de ta maturité. » (Oroshi à Sov) p. 67.

• « Pendant quelques minutes, je ne sus que pleurer, sans que je puisse m’avouer, face à face avec moi, si ces larmes coulaient de l’orgueil démesuré de notre conquête, jamais égalée par aucune horde, si elles pissaient de cette fierté insolente, et monstrueuse, et gamine, qui me montait des tripes et envahissait tout – ou si c’était ma conscience, une maturité seconde, plus récente et plus sûre, qui face au gâchis, au dérisoire désormais manifeste de notre quête, effondrait une par une toutes les statues héroïques pardevers moi édifiées, pour ne laisser devant que cette mer blanchâtre et ce bleu métallique, qui pouvait aussi bien être celui du ciel archi-connu que la teinte d’un cosmos neuf. Et pour couronner ce néant, il restait un soleil qui ne réchauffait plus rien et qui éclairait quoi ? Un mystère. » (Sov lorsque le reste de la Horde découvre qu’il n’y a pas d’Extrême-Amont) p. 49

• « — Quand je rêvais de l’Extrême-Amont, je rêvais de retrouver mon visage exact, debout devant moi. Mon visage tel que le vent et ma vie l’ont sculpté. Avec ses rictus, ses rides véridiques et sa beauté d’âme, s’il m’en reste une. À présent, j’ai peur… Je n’ai plus de face… » (Pietro) p. 24.

• « — Tu la rencontres déjà… La tienne est endurante, petit sovageon, elle durera, elle ne te lâchera pas comme ça…
— Qu’est-ce que c’est, accouche…
— C’est déjà fait ! plaisanta-t-elle. Souris un peu… Quelle est ta quête, qu’est-ce qui te donne envie de vivre ?
— Vous. Ce qui nous unit… nous unissait. Notre force collective, notre tissage. Cet amour qu’il y avait entre nous, sauvegarder ça, le maintenir, je ne sais pas…
— Tu viens de décrire la huitième forme en toi. Et c’est le lien. Ta neuvième s’en déduit, elle en est l’ombre. Tu ne devines pas ?
— Non.
— Ta neuvième, c’est la solitude, Sov »

• « La solitude n’existe pas. Nul n’a jamais été seul pour naître. La solitude est cette ombre que projette la fatigue du lien chez qui ne parvient plus à avancer peuplé de ceux qu’il a aimés, qu’importe ce qui lui a été rendu. Alors j’ai avancé peuplé, avec ma horde aux boyaux, les vifs à un pas et une certitude : l’écroulement de toutes les structures qui m’avaient porté jusqu’ici – la recherche de l’origine du vent, les neuf formes, l’Extrême-Amont, les valeurs et les codes de ma Horde – ne m’enlevait pas, ne pourrait jamais m’arracher, pas même par leur mort, ce qui ne dépendait, authentiquement, que de moi : l’amour enfantin qui me nouait à eux. » (Sov) p. 6.
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