Cette biographie monumentale de
Philippe Pétain s'étend sur plus de 1100 pages sans compter les notes à la fin du livre ! Comme tout travail scientifique de cette envergure, on pourrait craindre une lecture ardue et rébarbative. Que nenni ! J'ai lu ce livre d'une traite avec beaucoup de délectation. C'est en grande partie due à la très belle écriture de
Bénédicte Vergez-Chaignon, écriture à la fois littéraire et simple. L'autrice sait aussi manier l'humour et l'ironie. Certaines situations dans lesquelles s'empêtrent le Maréchal sont tellement pitoyables qu'on ne sait s'il faut en rire ou en pleurer.
J'ai apprécié le découpage du texte en chapitres eux-même subdivisés en sous-chapitres de quelques pages dont les titres sont très évocateurs et résument assez bien à eux seuls la thématique étudiée. (Certains titres ne sont pas sans rappeler la collection des Martine :-) )
Le propos est clair et agréable à lire, il n'est pas noyé dans une profusion de dates et de personnages (c'est la crainte avec les livres historiques un peu fouillés). J'émettrais seulement deux petites critiques très personnelles. le texte est émaillé de nombreuses citations dont on ne connaît pas l'auteur (sauf quand elles viennent de
Pétain lui-même). Il faut se reporter aux notes en fin d'ouvrage pour connaître l'auteur ce qui ralentit la lecture. Deuxième reproche qui s'adresse plus généralement aux ouvrages historiques rapportant des faits de guerre : le manque de cartes. Au début de la biographie sont décrits certaines batailles de la 1ère Guerre Mondiale qui ont contribué à la gloire de
Pétain. J'avoue que, faute de connaissances géographiques et polémologiques suffisantes, je n'ai pas véritablement compris l'importance des enjeux de ces batailles et donc d'apprécier les mérites de
Pétain en tant que fin stratège militaire.
Ce qui est sûr c'est que
Pétain n'est pas un fin tacticien en matière de politique ! Politique qu'il avait en horreur, haut lieu selon lui de toutes les compromissions. (C'est vrai que la valse des gouvernements de la IIIème république ne lui donnait pas complétement tord.) Il savait qu'il n'avait pas les qualités ou plutôt, selon lui, les défauts requis pour entrer dans l'arène politique.
Cependant, il est propulsé à la tête d'un pays démoralisé et défait sur des bases institutionnelles très douteuses.
Il y va sans empressement, un peu par vanité personnelle, beaucoup poussé par son entourage et l'opinion en mal de l'Homme providentiel (" C'est
Pétain qu'il nous faut "). Après guerre, ça sera la ligne de défense des contempteurs de
Pétain et de Vichy : le Maréchal a fait don de sa personne et a évité à la France un gauleiter et une polonisation en coupes réglées.
Comme beaucoup de monde, avant d'avoir lu cette biographie, je pensais que
Pétain se résumait à un vieillard très réactionnaire (il a 84 ans quand il devint chef de l'Etat francais !) qui a collaboré activement avec les Allemands. La réalité est plus complexe que cela. Certes,
Pétain n'est pas de gauche et n'a opposé aucune résistance à l'occupant et au contraire a surenchéri sur certaines demandes allemandes. C'est un homme de droite qui a une vision paternaliste et passéiste de la France. Il y a eu bien sûr les lois antisémites alors que les nazis n'avaient (encore) rien demandé. Il y a eu la rafle du Vélodromme d'Hiver.
Pétain lui-même était-il antisémite ?
Oui, comme beaucoup de ses compatriotes de l'époque mais ni plus ni moins ; il n'a jamais pris position dans l'affaire Dreyfus alors qu'il était au premières loges. Son grand soucis et son idée fixe pendant ses quatre années à la tête de l'État français, c'est de pouvoir collaborer constructivement avec l'occupant pour amoindrir les souffrances de son peuple et appliquer son programme politique : la révolution nationale. Il veut construire l'Europe avec l'Allemagne et s'ériger en arbitre mesuré face à une Angleterre menaçante.
Mais on se dit après la lecture de ce livre que
Pétain n'a vraiment aucune clairvoyance politique ! L'excuse de l'âge est à écarter. A la différence d'un
De Gaulle ou d'un Leclerc (lui aussi ancien Saint-Cyrien très traditionaliste), il ne prend pas du tout la mesure de ce qu'est le nazisme et ne comprend pas qui est vraiment Hitler. A-t-il lu seulement " Mein Kampf " ? Cela procède soit d'une très grande naïveté soit d'une trop grande perméabilité à son entourage politique soit des deux.
Pétain n'aura de cesse de chercher une collaboration qui ne viendra jamais. Les Allemands font finalement ce qu'ils veulent en France violant effrontément la convention d'armistice signée en 1940 suite à la défaite de la France. Ça les arrange parfaitement d'avoir à la tête du pays occupé un vieillard inoffensif bénéficiant encore de son ancienne gloire de " vainqueur de Verdun " et d'une autorité morale suffisante lui permettant de garder le troupeau et d'éviter le désordre et la guerre civile. La capacité de
Pétain à avaler des couleuvres est impressionnante ! Un militaire allemand est tué (par la résistance), les nazis fusillent 50 otages en guise de représailles.
Pétain s'émeut et proteste (un peu). Disons qu'il n'est pas contre que des fauteurs de trouble (des communistes par exemple...) soient exécutés sans procès mais pas des innocents et encore moins des anciens combattants !
Pour finir, on peut tout de même souligner une certaine dignité chez le Maréchal à la fin de sa carrière : son obstination à rester auprès des Français en France. Alors qu'après la défaite allemande, il aurait pu finir ses jours en Suisse et suivre de loin son procès par contumace, il fait le choix de revenir en France pour se constituer prisonnier. Et devenir ainsi, comme aime à le dire l'autrice, " le plus vieux et le plus encombrant prisonnier de France ".
Le livre s'achève par le procès de
Pétain et sa captivité sur l'île d'Yeu sur laquelle le Maréchal tarde à mourir (à 95 ans !).