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Citations sur Une vie divine (22)

J'écris, je brûle ce que j'écris, voilà une affaire privée, c'est mon droit, je le prends, je l'applique, j'améliore mon attention, ma respiration. D'où je viens ? De partout, de nulle part. Où je vais ? Partout, nulle part. La vie est un jeu, avec, au bout des lignes, le feu.
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Vous n'êtes en vie que parce que vous résistez sans arrêt au suicide de votre organisme. Familiarisez-vous avec cette vision. Elle change tout.
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Aujourd'hui, autre chose : pour une longue, très longue, période de temps, il est nécessaire de se taire ou de parler à voix basse, d'agir en sous-main, tout en étant apparemment bavard, superficiel, léger, désinvolte. Être pris pour un comédien par des comédiens est un plaisir. Combien de temps ? Impossible à dire. Laissons venir le présent, l'inutile : c'est urgent. D'ailleurs, on ne peut plus parler avec personne (sauf pour information -désinformation).
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Faites l'expérience de vous dire sans cesse : j'étais là, je suis là, je serai toujours là, je suis avec moi jusqu'à la fin des temps, le ciel et la terre passeront, mais ma certitude ne passera pas. Le résultat est terrifiant ou comique. À moins de prendre tout ça à la légère, sur la pointe des pieds, de marcher sur l'eau, de voler. Regardez : j'ai l'air d'un boeuf mais je plane, je suis une mouette, un faucon, un héron. Ma vie est dans les fleurs, les marais, les vignes, les vagues. Je migre, je transmigre, je me réincarne au jugé. On m'enterre, je ressuscité ; on m'incinère, mes atomes persistent et se recomposent plus loin. Dans le monde humain, il m'arrive d'attendre longtemps avant de me reconnaître. J'ai des rêves, des attaques, des pressentiments, je fais des rencontres, je suis bien obligé d'admettre que je suis un autre, et soudain me revoilà,c'est plus fort que moi. Ici, il faut que je me parle doucement à mi-voix, comme quelqu'un qui a peur de réveiller des gens qui dorment et qu'il aime.
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Donc, silence. Le jour se lève, un beau jour d'hiver, ciel bleu et nuages de nacre, (...) je me rendors un peu en tentant de retrouver une trace de mon voyage, coup de feu, coup de dés, hasard. Je respire, je m'étire, je pense, je suis qui je suis, je serai qui je serai, je peux parler, chanter, murmurer. Dix minutes ? Deux siècles. Un jour ? Trois mille ans. Une nuit ? Six mille ans. Et puis non, plus d'horloge. Contradiction du temps sur lui-même, si cette formule à un sens. Pas de sens.
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Pour en revenir aux histoires amoureuses, érotiques,
etc., la question est finalement de savoir si ça embrasse
pour de vrai ou pas. On n'arrive pas comme ça aux
«baisers comme des cascades, orageux et secrets,
fourmillants et profonds ». Au commencement sont les
bouches, les langues, les appétits, le goût, les
salivations discrètes. Il est révélateur que la lourde et
laide industrie porno insiste sur les organes pour
détourner l'attention de la vraie passion intérieure, celle
qui se manifeste d'une bouche à l'autre. Manger et
boire l'autre, être cannibale avec lui, respirer son
souille, son «âme », parler la langue qui parle enfin
toutes les langues, trouver son chemin grâce au don des
langues, c'est là que se situe la chose, le reste s'ensuit.
La mécanique organique peut produire ses effets, elle
n'est pas dans le coup oral et respiratoire. Les
prostituées n'embrassent pas, et leur cul, de même,
reste interdit, réservé au mac. Une petite salope,
d'aujourd'hui, en revanche, peut branler, faire la pipe à
fond, et même se laisser enculer, mais n'embrasse pas,
ou pas vraiment, et ça se sent tout de
Une vie divine
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suite. Embrasser vraiment, au souffle, prouve le vrai
désir, tout le reste est blabla.
Dire que qui trop embrasse mal étreint est un
préjugé populaire. Une femme qui embrasse à fond
un homme (ou une autre femme) s'embrasse ellemême et se situe d'emblée dans un hors-la-loi
aristocratique. Rien n'est plus sérieux, vicieux,
délicieux, incestueux, scandaleux. Il faut mêler la
parole à cet élan, ceux qui ne parlent pas en baisant
s'illusionnent, quelles que soient les presta-tions
machiniques et le vocabulaire obscène. Un baiser
orageux et soudain avec une femme par ailleurs
insoupçonnable vaut mille fois mieux qu'un bourrage
vaginal primaire ou une fellation programmée. On
s'embrasse encore sans préservatifs buccaux, n'est-ce
pas, c'est pos-sible.
Possible, mais, logiquement, en voie de disparition.
C'est trop généreux, trop gratuit, trop enfantin, trop
intime. Le baiser-cascade est en même temps un hommage hyperverbal : on embrasse le langage de l'autre,
c'est-à-dire ce qui enveloppe son corps. Mais oui,
c'est une eucharistie, une communion, une hostie, une
péné-tration sans traces, ce qu'a bien compris le
fondateur du banquet crucial. Le narrateur enchanté
de la Recherche du temps perdu note, lui, dès le départ, que
le baiser tant attendu de sa mère, le soir, est comme
une «hostie », une « communion », une « présence
réelle» qui vont lui donner la paix du sommeil. Mme
Proust est-elle allée peu à peu jusqu'à glisser
légèrement en tout bien tout
honneur, sa langue entre les lèvres de son petit
commu-niant? «Prenez, mangez, buvez.» Il est
amusant que les Anglo-Saxons, si puritains, aient
inventé l'expression «French kiss» pour désigner le
baiser à langue. Frisson du fruit défendu, rejet.
La réticence à embrasser dit tout, et révèle la
fausse monnaie. Le moindre recul, la moindre
hésitation, le plus petit détournement de tête, la plus
légère répulsion ou volonté d'abréviation ou
d'interruption (pour passer à l'acte sexuel proprement
dit, c'est-à-dire, en fait, s'éloi-gner) sont des signaux
dont l'explorateur avisé tient compte. Il sait aussitôt
s'il est réellement admis ou pas. «Ceci est mon corps,
ceci est mon sang )), l'au-delà de la mort parle. Bite,
couilles, foutre, clitoris, vagin, cul, tout le cirque
vient en plus, jamais le contraire. Une femme qui ne
vous embrasse pas vraiment ne vous aime pas, et ce
n'est pas grave. Elle peut poser sa bouche sur la vôtre,
vous embrasser à la russe ou à l'amicale, aller même
jusqu'au patin appuyé cinéma, mais la présence réelle,
justement, ne sera pas là. Une expression
apparemment innocente comme «bisous», de plus en
plus employée, en dit long sur la désertification
sensuelle. Plus de pain, plus de brioche, plus de vin,
et surtout plus de mots; c'est pareil.
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Pas de psychanalyse, de somnifères, d'antidépresseurs, juste un peu de gymnastique et une autorité ironique (mon rôle).
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Oui, je sais, elle vous dira qu'elle a pris deux kilos et que c'est dramatique, mais non, justement, elle est parfaite comme ça, rebondie, ferme, ses seins, son ventre, ses cuisses évoquent aussitôt de grands lits ouverts. Ah, ce croisement de jambes, ses fesses lorsqu'elle va au bar, sa façon de sortir et de rentrer et de ressortir et de rerentrer son pied de son soulier gauche - la cheville, là, en éclair -, et puis de rester cinq secondes sur sa jambe droite, et de recommencer, rentrer-sortir, rentrer-sortir, comme pour dire j'ai trouvé chaussure à mon pied, et c'est moi, rien que moi, venez vous y frotter si vous croyez le contraire. Son corps se suffit à lui-même et elle n'a pas à s'en rendre compte. Il dit tout ce qu'il y a à dire, mais elle ne pourrait pas le parler.
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Ludi est une merveilleuse menteuse. C’est d’ailleurs la phrase que je me suis murmurée au bout de trois ou quatre rencontres : "merveilleuse menteuse". Mère en veilleuse, très bonne menteuse. Il suffit de la voir, là, bien blonde épanouie aux yeux noirs, cheveux courts, avec sa robe noire moulante, sur la terrasse de cet hôtel, en été. Elle est fraîche, bronzée, elle sait qu’elle se montre, elle laisse venir les regards vers elle, elle s’en enveloppe comme d’une soie. Oui, je sais, elle vous dira qu’elle a pris deux kilos et que c’est dramatique, mais non, justement, elle est parfaite comme ça, rebondie, ferme, ses seins, son ventre, ses cuisses évoquent aussitôt de grands lits ouverts. Ah, ce croisement de jambes, ses fesses lorsqu’elle va au bar, sa façon de sortir et de rentrer et de ressortir et de rerentrer son pied de son soulier gauche - la cheville, là, en éclair -, et puis de rester cinq secondes sur sa jambe droite, et de recommencer, rentrer-sortir, rentrer-sortir, comme pour dire j’ai trouvé chaussure à mon pied, et c’est moi, rien que moi, venez vous y frotter si vous croyez le contraire. Son corps se suffit à lui-même et elle n’a pas à s’en rendre compte. Il dit tout ce qu’il y a à dire, mais elle ne pourrait pas le parler.
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Dieu sait ce que Ludi, pendant le dîner de la veille, a raconté sur moi à son voisin de droite ou de gauche (je revois vaguement un barbu poivre et sel à sa gauche, et un jeune énervé très brun à sa droite). Elle a dû balancer que, philosophe, je m’intéressais de près à Nietzsche, d’où la visite que je reçois au bar désert de l’hôtel. Je descends, ils sont trois, comme d’habitude, les signes de reconnaissance ne sont pas nécessaires, le troisième, 50 ans ou plus, a l’air, presque comme d’habitude, d’un commissaire de police. Il s’ensuit une proposition.

Comme nous sommes tous athées, n’est-ce pas (n’est-ce pas ?), une opération subversive d’envergure pourrait avoir lieu à Turin, et il serait souhaitable que je puisse en répercuter les effets en France. En gros : forçage du tombeau de Joseph de Maistre, ce pape de l’ultra-réaction, et dispersion de ses restes aux cris de « vive la révolution ! » ; commando armé sur la cathédrale avec rapt du Saint-Suaire brûlé ensuite sur le lieu où M.N. est tombé dans sa crise finale ; distribution simultanée dans toutes les églises de Rome d’un tract virulent, Dieu est mort, reproduisant la Loi contre le christianisme (Guerre à outrance au vice : le vice est le christianisme), en soulignant les articles 3 et 6 :

« Article 3. Le lieu digne d’exécration où le christianisme a couvé ses oeufs de basilic sera rasé et cet endroit maudit de la terre inspirera l’horreur aux générations à venir. On y élèvera des serpents venimeux. »
« Article 6. On donnera à l’Histoire "sainte" le nom qu’elle mérite — celui d’histoire maudite ; on emploiera les mots de "Dieu", "Messie", "Rédempteur", "Saint", comme des injures, et pour désigner les criminels. »
Dans ce texte fameux, signé L’Antéchrist, Nietzsche s’amuse et n’y va pas de main morte. Au passage il joue sur les mots, basilic pour basilique, le basilic étant un reptile fabuleux auquel était attribué le pouvoir de tuer par son seul regard. Son argumentation est simple : la contre-nature est vicieuse et le prêtre enseigne la contre-nature : « contre le prêtre, on n’a pas de raisonnements, on a les travaux forcés ».

L’article 2 est un chef-d’oeuvre d’humour :

« Toute participation à un service divin est un outrage aux bonnes moeurs. On sera plus dur avec les protestants qu’avec les catholiques, plus dur avec les protestants libéraux qu’avec ceux de stricte observance. Être chrétien est d’autant plus criminel que l’on se rapproche le plus de la science. Le criminel des criminels est en conséquence le philosophe. »
(L’« outrage aux bonnes moeurs » est particulièrement bien trouvé, ainsi que la gradation subtile, anti-progressiste, culminant par le « philosophe ».)

L’article 4 n’est pas moins réussi :

« Prêcher la chasteté est une incitation publique à la contre-nature. Mépriser la vie sexuelle, la souiller par la notion d’ "impureté", tel est le vrai péché contre l’esprit saint de la vie. »
(On ne voit pas très bien comment la vie sexuelle irait dans le sens de l’« esprit saint de la vie », mais cela n’a aucune importance.)

Bref

« il faut mettre le prêtre en quarantaine, l’affamer, le bannir dans les pires déserts ».
(N’est-ce pas trop penser à lui ? On peut le craindre.)

Qu’est-ce que j’en pense ? J’essaie d’expliquer calmement à ces braves illuminés, de style plutôt bavarois, que leur projet aurait eu probablement toute ma sympathie vers la fin étouffante du 19e siècle, et peut-être encore, allez dada, en 1916 au cabaret Voltaire à Zurich. Quant à Nietzsche, son cas me semble plus complexe qu’ils n’ont l’air de le croire. Ensuite, franchement, ça devient délicat. Il s’est passé bien des choses, et la profanation systématique n’est pas mon fort. Je suis désolé, bien qu’athée (n’est-ce pas ?), de ne pas pouvoir les aider dans cette superbe et courageuse entreprise, dont je ne doute pas qu’elle soit déjà connue au commissariat central de Turin. Non, non, qu’ils se rassurent, je ne serai pas leur Judas. Mais il y a peut-être plus urgent et plus significatif à faire.
— Quoi donc ? me demande le petit brun énervé.
— Écrire un livre, par exemple. Un livre tellement étonnant qu’il ne soit plus un livre.
— Un livre ? Mais tous les livres sont périmés ! Seule l’action compte !
— Vous êtes sûr ?

Les autres se taisent de façon très hostile. C’est évident, je suis un intellectuel dégonflé maqué avec une salope de luxe, un faux athée, un luciférien ou un sataniste raté, un très mauvais philosophe, peut-être même un adepte de la contre-nature et du vice (je ne leur présenterais sûrement pas Nelly). Je ne peux que laisser se perpétuer l’imposture du dieu mort, qu’il faudrait pourtant, si je les comprends bien, faire revivre pour l’assassiner de plus belle.

Ils sont rejoints, maintenant, par une petite femme en noir, genre poétesse surréaliste livide. Elle doit sortir de son cercueil tous les huit jours vers midi. Elle me demande aussitôt ce que je pense de Sade. Le plus grand bien, évidemment. Elle blêmit au-delà du livide. Mais un des types lui parle à l’oreille.
— Donc vous ne voulez rien faire ? dit-elle dans un sifflement.
— Eh non, ça m’ennuie.
— Comment ça, ça vous ennuie ?
— Eh, merde.
Ils se lèvent tous d’un bond. Le petit brun énervé crache sur la moquette du bar, la poétesse folle court vers la porte-tambour. Le barman ne remarquera pas le crachat, l’occulte s’occulte.

Je finis mon café, Ludi me rejoint dans le hall.
— Ça s’est bien passé avec tes poètes ?
— Mais oui, très sympathiques.
— Ils voulaient quoi ?
— Me lire leurs poèmes.
— C’était bon ?
— Eh non. N’importe quoi.
— Comment trouves-tu ce nouveau tailleur ?
— Ravissant.

L’étape suivante est au Danieli, à Venise. C’est un beau janvier glacé et bleu sec.

Guerre contre le christianisme, mais aussi guerre à son envers complice de pseudo-trangression, guerre à l’ennui qu’elle suscite, guerre à l’« orthonoïa ("noïa" en italien voulant dire ennui) » . Humour. Détachement. Prendre Nietzsche au sérieux suppose qu’on sache rire de l’esprit de sérieux qui n’est qu’une autre forme de l’esprit de vengeance .
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