Ruiz-Maugis Marie-Laure – "
Rembrandt et Bethsabée" – Macenta, 2016 (ISBN 978-2-9547083-5) – format 21x15cm, 108p., nombreuses illustrations
– Annexes pp. 78-108, incluant (pp. 83-94) un dossier intitulé "Données techniques et restauration [...] par Sigrid Avrillier après la consultation au C2RMF du dossier" concernant la restauration de cette oeuvre en 2014, ainsi qu'une bibliographie sélective (pp. 106-107).
le texte proposé par Mme
Marie-Laure Ruiz-Maugis se réduit donc aux pages 5 à 76, entrecoupées de nombreuses illustrations (de bonne qualité) ainsi que d'une biographie sommaire du peintre (pp. 31-48) faisant redondance avec l'annexe biographique (pp. 95-98) : il s'agit plus d'un article un peu développé que d'un ouvrage.
Toutes ces précisions non pas pour diminuer le mérite de ce texte, mais bien plutôt pour en regretter la brièveté.
En effet, l'auteur aborde des points fondamentaux pour bien comprendre et apprécier ce tableau majeur de l'histoire de l'art occidental, mais on ne peut que regretter le manque de développements plus substantiels.
L'auteur commence par exhiber le contenu du tableau (pp. 11-12), pour immédiatement aborder (pp.13-18) son aspect de"sujet biblique" : le rôle de la servante au sortir d'un miqveh judaïque constitue une bonne piste qui mériterait de plus amples développements, le thème de la lettre est moins original car souvent traité, le glissement de la responsabilité de la "faute" de Bethsabée à David serait également à creuser.
L'insertion de ce tableau dans la tradition du nu féminin (pp. 19-30) est particulièrement bien vue, même si trop succinctement. le rapprochement avec des tableaux antérieurs du même Rembrandt puis la mise en évidence du tournant de l'originalité du processus même de création de ce tableau constituent d'autres mines de réflexion à creuser.
Enfin, la fusion entre le mythe biblique de Bethsabée et la situation sociale délicate du couple Hendrickje-Rembrandt est ici fort bien abordée.
Encore une fois, tout ceci mériterait de plus amples développements, surtout de la part de Mme Ruiz-Maugis qui fait preuve des solides connaissances qu'elle possède de la problématique de ce tableau.
Rendant moi-même aussi souvent que possible visite à la Bethsabée de Rembrandt au Louvre, je ne puis que partager la dernière phrase du texte : "Pourquoi ce tableau me bouleverse-t-il autant ?" M'étant moi-même posé la même question, j'en suis venu à me proposer à moi-même quelques modestes pistes de réflexion, qui sont très loin d'épuiser le sujet.
Première réflexion : de même que David est absent/présent du tableau (réduit à la simple lettre), Rembrandt est lui aussi présent (c'est lui qui peint) et absent (du tableau) : il s'efface entièrement devant sa compagne Hendrickje.
Dans sa manière de la peindre, nue mais ô combien pudique, nue mais songeuse, nue mais sans concession à l'académisme, il lui rend un profond hommage, sans doute le plus bel hommage qu'il pouvait lui rendre, lui, en tant que peintre et en tant qu'homme fasciné par sa compagne. Ce tableau reflète une profonde estime, une profonde complicité, une profonde admiration – ce qui fait un couple.
Deuxième réflexion, celle que personne n'ose formuler : ce lien intense entre une femme et un homme n'existe pratiquement plus de nos jours. La vie et l'oeuvre d'un
Jean-Sébastien Bach ne se conçoit pas sans sa foi religieuse, la vie et l'oeuvre de Rembrandt ne se conçoit pas sans son immense compréhension et réinterprétation de la Bible : ces fondements culturels vitaux, permettant à Rembrandt d'élever sa compagne au rang de l'un des mythes majeurs de l'Ancien Testament, ont quasi-totalement disparu dans les sociétés occidentales actuelles.
Inutile d'épiloguer sur les relations homme/femme, couple/enfant, qui n'ont plus rien à voir avec ce qu'Hendrickje et Rembrandt ont pu vivre et ressentir.
Troisième réflexion, fort prosaïque : Rembrandt peint ici sa compagne en femme réelle, loin de tout académisme. Cela ne veut plus rien dire dans notre époque cultivant l'image des femmes starlettes anorexiques, cela ne veut plus rien dire pour les super-manadgeuses aux dents longues, soucieuses de ressembler aux dites starlettes...
Je ne sais si l'auteur de cet opuscule adhérerait à une telle confrontation entre la Bethsabée/Hendrickje de Rembrandt et l'image actuelle de la féminité, mais je ne puis de toute façon que souhaiter qu'elle reprenne et développe les idées avancées dans ce (trop) bref article...