Obliger les assassins d'enfants à consacrer leur vie à rendre compte de la vie reconstituée de leur victime, il fallait y penser! J'aime beaucoup les dystopies, de
Philip K Dick à Huxley, aussi je trouve que l'auteur a rendu très crédible ce "système" angélique, plein de bonnes intentions, qui s'avère monstrueux à plus d'un niveau.
L'histoire est prenante et bien construite dans l'ensemble. C'est appréciable qu'on puisse se plonger dans les différentes strates du récit, que ce soit les prémices de la loi Lazare, l'histoire de Marjorie et de ses parents ainsi que l'envers du décor au sein du monastère des prédateurs ou aux côtés des employés du Programme.
Les assassins d'enfants, les parents de Marjorie et les politiques sont finalement un peu renvoyés dos à dos. On ne sait plus très bien où on en est après ce livre, tant il brouille notre perception sur la frontière entre bien et mal ; du coup le récit contraint le lecteur à regarder en lui, ce qui nous emporte plus loin que de la simple littérature.
D'ailleurs, quand on réalise peu à peu qu'on lit une satire, on rit beaucoup, ce qui, loin d'être évident avec un tel sujet, donne rapidement une sensation de plaisir coupable... le compte-rendu des débats à l'assemblée nationale est très drôle et actuel... la « plaquette éducative » de l'éducation nationale fait davantage grincer des dents.... Certains passages frôlent le burlesque... mention spéciale pour Romain, l'ado qui refuse de sortir avec la jeune fille morte et imagine des stratagèmes insensés pour s'en débarrasser! Tout cela aère le malaise que nous cause le sujet. A noter d'ailleurs quelques passages difficiles à supporter, même s'il s'agit plus de violence psychologique que graphique.
Le style, enfin, peut dérouter au début, mais en réalité il en co-existe plusieurs: le style du narrateur principal, qui nous embarque dès qu'on s'est saisi de sa personnalité (assassin abominable mais touchant à force de folie repentante et de philosophie pince-sans-rire) ; le style du narrateur omniscient, qui varie selon le personnage que l'on suit ; le style pastiche des documents annexes à la narration enfin.
Bref, un OVNI français comme on n'en a pas vu depuis, au hasard,
Andréas Becker (
L'effrayable) ou
Jonathan Littell (
Une vieille histoire). En plus simple à lire tout de même, même si j'ai trouvé l'ensemble un peu long.
Du coup, bizarre qu'on trouve ce livre en rayon SF... Il ressort davantage à mon avis de ce genre de littérature générale un peu tordue, en tous cas délectable.