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Tanguy Kenec'hdu (Traducteur)
EAN : 9782070387373
120 pages
Gallimard (30/11/-1)
3.66/5   97 notes
Résumé :
Le soleil et l'acier est la seule confidence que nous ait laissée Yukio Mishima sur sa formation : comment il a découvert, tardivement, la vie du corps, et par elle une vie nouvelle de l'esprit.

Il établit une étrange opposition entre le pouvoir corrosif du langage et le pouvoir constructif du soleil et de l'acier. En même temps, c'est pour offrir à la mort, bien suprême et suprême tentation, un objet digne d'elle qu'il s'astreint à l'ascèse d'un ent... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Voici un essai de cent pages intéressant et tout à fait particulier. Franchement ce n'est pas le texte idéal pour découvrir l'oeuvre romanesque totalement accomplie et authentiquement japonaise de cet auteur très acculturé à l'occident et que personnellement, j'ai tendance à grandement apprécier.
Le lecteur explore dans cet effort autobiographique d'un type particulier le chemin parcouru par l'auteur ,qui de pur esprit (sourires) au départ, finit (grâce aux poids en fonte et grâce à sa volonté) par se faire un corps musclé (sculpté) esthétiquement accompli et grâce au soleil il se fit par la même occasion un corps de surcroit bronzé (très halé) d'où le titre : le soleil et l'acier.
Un corps masculin martial et beau .Le corps d'un homme (beau) est l'objet de représentions sociales que l'auteur questionne. Qui voit aussi dans ce travail sur le corps un effet de levier pour la pensée et ce corps beau et halé contribue à la construction de la psyché des individus , à celle de l'auteur en tout cas.
C'est un texte difficile car il me semble que des choses m'ont échappée malgré un effort très laborieux de ma part et cela vient de l'environnement culturel du japon ,de l'époque et du milieu culturel et social que l'auteur fréquente tout en en ayant lui-même émergé.
La manière dont l'auteur pose la problématique du corps masculin (comme objet et comme signifiant socialement et comme une des bases de l'identité psychologique de l'individu) et aussi dans ses rapports avec l'esprit. Tout en envisageant la nature sociale du corps masculin qui impacte la société, le psychisme de l'individu et celui du penseur.
Ces aspects font l'objet d'un raisonnement sur la base d'un vécu personnel qui appartient en propre à l'auteur et dont le narrateur ( je) tire des conclusions personnelles et sociétales très subjectives bien que souvent accompagnée d'un contexte factuel argumenté et qui se prétend donné comme sous le sceau de l'objectivité, de l'évidence et plus ou moins superficiel.
Mais ces registres factuels sont éventuellement aussi le reflet d'un élan de rationalisations construites, ou encore qui sont le reflet de la perception d'évidences toutes subjectives pas si manifestes en soit ou pas si légitimes peut-être et plutôt que des registres objectivement réels ,raisonnables et universels de surcroit , ne sont-ils pas plutôt la conséquence d'un raisonnement pathologique ou légèrement névrotique ?
J'ai trouvé cette lecture complexe et difficile car le registre du très personnel ( pas toujours accessible en profondeur) y est trop important et quelquefois trop obscure pour que l'on puisse s'attacher simplement à réfléchir sur l'énoncé philosophique qui est sensé en découler.
Selon moi ce texte fait partie des quelques textes que l'on ne finit jamais de lire car les mots sont glissants et se métamorphosent au grès du temps qui passe pour le lecteur ce qui a une incidence sur le temps partagé avec le narrateur du soleil et de l'acier.
Le soleil et l'acier est en partie le reflet d'une incroyable modernité qui est en partie une problématique totalement dédramatisée dans notre univers actuel occidental. Ce qui renseigne sur l'importance des décalages culturels pour la compréhension mutuelles des cultures différentes quand elles tentent de dialoguer entre elles.
Cet essai n'est pas seulement des paroles lancées dans le cadre d'une intimité intense avec le narrateur (je). Des paroles qui construiraient un discours anodin ou éducatif ou encore un témoignage sur une histoire personnelle dont l'auteur dégagerait une vison de portée générale et une « substantifique moelle sociale». Personnellement je ressent ce texte pour ce qu'il est avant toute chose selon mon misérable avis.
A savoir l'acte précurseur d'une tragédie enracinée initialement dans un drame intime lancinant et étouffant qui tourne autour de l'identité de genre de l'auteur et de sa faillite à accéder à la liberté intérieure du fait d'une pression sociale qui a pris le dessus sur son ego alors que lui-même adhérait profondément à des postulats idéologiques qui était en début de faillite dans le Japon où il s'est donné la mort en illustrant ce qui était le passé alors qu'il aurait pu prendre le train de la relative liberté en marche. Une liberté trop opposée finalement à ses valeurs et a son être contrit autour d'elles.
J'ai eu du mal à lire ce texte riche non parce qu'il serait trop difficile en soi mais parce que par moments j'ai eu l'impression d'être entrainé dans les méandres de réflexions et de conclusions complètements tributaires d'un contexte psychologique pathologique. de ce fait toutes ces réflexions ne me semble pas aussi rationnelles que le narrateur veut bien l'énoncer. de fait je sors principalement de cette lecture triste pour l'auteur ,qui mérite l'admiration pour son oeuvre magistralement éloquente mais qui mérite peut-être principalement de la compassion relativement à son drame intérieur qui est si désolant par ses effets tragiques avérés deux ans après la publication de ce texte.
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♫ Alors comme un tueur, il a réglé son heure
Assis sur les genoux, ultime seppuku ♪

Le soleil et l'acier. La fascination qu'a pendant longtemps exercé ce titre sur moi ! (oui parce que je suis fascinée avec pas grand chose) Je me demandais bien quel genre de métaphore ou de secret d'alcôve ou de je ne sais quoi mais qui pourrait bien avoir quelque chose du somptueux Rashōmon de Kurosawa se cachait derrière un titre aussi banal en apparence mais oh, on va pas se faire avoir, c'est Mishima hein, rien de simple, jamais, chez lui.
Et donc voilà, je l'ai enfin lu et on peut dire que la réponse n'est pas exactement à la hauteur de l'attente puisque le soleil est la métaphore de l'astre incandescent autour duquel gravite la Terre tandis que l'acier est celle de la fonte qu'on pousse, tire et soulève dans des salles spécialisées.

Bref, plus premier degré, tu meurs ! Ce titre n'est rien d'autre que les ingrédients principaux du régime bien-être vanté par Yukio Mishima.
Enfin, régime "bien-être" ayant pour seul but la bonne préparation au romantique voyage vers le non-être parce que le doublé bronzette-musculation n'a pas pour Mishima vocation à faire le kakou, l'été, sur les plages de Miyakojima mais bien celui de se présenter dans la mort sous le meilleur aspect physique possible, par respect.
Pour lui il est inimaginable de mourir trop gras, trop maigre ou mal foutu de quelque façon que ce soit.
On ne peut d'ailleurs que louer cet engouement pour le culte du corps qui nous a permis de connaître son oeuvre car nul doute que sans cette ferveur esthétique il se serait suicidé bien plus tôt, peut-être même dès sa déstabilisante rencontre, enfant, avec une représentation du Saint Sébastien agonisant criblé de flèches, souvenir ému sur lequel il revenait déjà longuement dans sa Confession d'un Masque.
Heureusement, se sculpter un corps idéal, ça demande du temps.

♪ ♫ Un fidèle s'est levé, le sabre a tranché
La tête du guerrier, qui s'est mise à rouler ♫

A la chair et à l'enveloppe corporelle, Yukio Mishima y oppose l'esprit car, il nous le certifie, chez lui la connaissance des mots (le moi) lui est venue avant la connaissance du corps (sorte de verger entourant le moi) et la conciliation des deux, à priori impossible du fait de la nature même des mots : corrosifs, nocturnes et égotiste qui semble incompatible avec l'entretien du corps qu'on offre en spectacle (pas les nombreuses photos de Mishima posant torse nu et musculature en avant qui contrediront le propos) et l'honorable chair suante et exténuée.

♫ Aujourd'hui que tu es mort, tout le monde y pense encore
L'acte spectaculaire, t'a rendu légendaire ♪ ♪

Récit introspectif parfois un peu confus (ou alors c'est moi ?) du fait des multiples directions prises quelquefois toutes en même temps mais qui nous offre malgré cela une clef fort utile à la compréhension de l'oeuvre du grand écrivain japonais en général et de son illustre suicide en particulier.
Un auteur qui semble ne jamais finir de surprendre et de... fasciner.

♫ ♪ Aujourd'hui t'es plus rien, tu restes l'écrivain
Les héros de tes bouquins suivent les mêmes destins. ♫ ♫
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Le 25 novembre 1970, Yukio Mishima (Hiraoka Kimitake de son vrai nom) envoie à son éditeur la fin de sa fameuse tétralogie « La mer de la fertilité » avant de se rendre au quartier général du ministère de la Défense à Tokyo pour y prendre en otage le commandant en chef des forces d'autodéfense, d'adresser aux troupes militaires un discours en faveur du Japon traditionnel et de l'Empereur, et d'accomplir son seppuku (suicide rituel par éventration). Marguerite Yourcenar, autrice d'un essai intitulé « Mishima ou la Vision du vide » (1980), dira que « la mort de Mishima est une de ses oeuvres et la plus soigneusement préparée ».

Si cette mise en scène peut ressembler à un coup d'état raté ou à un coup d'éclat patriotique et traditionnaliste, on ne peut comprendre les racines et la profonde signification de cet acte qu'en lisant « le soleil et l'acier » (太陽と鉄), essai autobiographique que Mishima écrivit deux ans avant sa mort programmée. Dans ce manifeste idéologique, l'auteur explique les raisons qui l'ont poussé à forger son corps par le soleil et l'acier, après avoir passé sa jeunesse à forger son esprit par les idées et les mots. Selon lui, « combiner l'action et l'art, c'est combiner la fleur qui se flétrit et la fleur qui dure à jamais, mêler chez un individu les deux désirs les plus contradictoires de l'humanité et les rêves de réalisation propres à chacun de ces désirs. »

En laissant le soleil déposer sur sa peau un hâle cuivré et en soulevant de la fonte pour se modeler des muscles robustes, Mishima acquiert une dignité de la chair propre à affronter le tragique de la mort, seule manière selon lui d'accéder à la victoire ultime. Tout au long des développements de sa pensée, l'auteur oppose l'esprit à la chair, la fonction corrosive des mots à la valeur existentielle et constructive des actions. En s'appuyant sur ses expériences personnelles, notamment relatives à sa formation militaire, mais aussi sur ses intuitions poétiques et inclinations romantiques pour le morbide, Mishima élabore une doctrine de l'être ne pouvant mener qu'à une seule issue.

S'il est fascinant de pénétrer la pensée torturée de cet auteur que j'apprécie beaucoup, j'ai parfois regretté ici son style un peu verbeux et ses circonlocutions intellectualisantes propres à rebuter certains lecteurs. Cela n'enlève rien aux qualités intrinsèques du texte, mais je n'y ai pas retrouvé la limpidité cristalline qui m'avait tant séduit avec « le Pavillon d'Or » par exemple. Cet essai reste cependant indispensable pour comprendre la personnalité de Mishima et l'idéologie sous-jacente à son oeuvre, unique dans le panorama de la littérature japonaise et même mondiale.
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Le soleil et l'acier est indéniablement le fruit d'un esprit torturé. Yukio Mishima invente avec ce titre ce qu'il a appelé la critique confidentielle : "J'y vois un genre crépusculaire à mi-chemin entre la nuit des confessions et le grand jour de la critique. le "je" qui va m'occuper ne sera pas le "je" qui se rapporte strictement à l'histoire de ma personne, mais autre chose, ce qui reste après que tous les autres mots que j'ai proférés ont fait retour en moi, quelque chose qui ne se rapporte ni ne fait retour à mo-même." (p.9). Qu'entend donc Mishima par ces quelques explications, lui qui considère les mots comme "un moyen de réduire la réalité en abstraction afin de la transmettre à notre raison, et leur pouvoir d'attaquer la réalité dissimule inéluctablement le danger latent que les mots soient eux aussi attaqués." (p.11) ? C'est après avoir découvert le soleil et l'acier que lui vient cette étrange révélation qui mêle souffrance (sado-masochisme pourrait-on dire), esthétisme et mort. Mishima prend soudain conscience de son corps. de son enfance marquée par la tyrannie des mots, il comprend désormais que la culture physique est le moyen ultime d'échapper aux mots et de nourrir l'esprit. Mais pourquoi ? Chez Mishima, tout obéit à une impulsion romantique régie par la beauté de l'art et le penchant pour la tragédie. L'auteur déroule son discours, revient en arrière, se projette de nouveau dans le courant tourbillonnant de ses pensées. S'il a conscience que ses réflexions sont difficilement compréhensibles, il ne perd pas de vue son principal objectif et travaille consciencieusement à la mise en scène finale de son suicide par seppuku (1970). Signe d'un esprit irrémédiablement tourmenté et perfectionniste, la démarche toute personnelle de Mishima a durablement marqué les esprits. La lecture du Soleil et l'acier constitue une étape déterminante dans la compréhension de cette fascinante figure de la littérature japonaise...

Les concepts définis par Mishima sont difficiles à saisir : sa façon de les exprimer et de leur donner vie, dérouteront certainement le lecteur non averti. de Mishima, je n'avais lu que le recueil de nouvelles Dojoji et autres contes. J'y sentais déjà les signes d'un esprit complexe et tourmenté et cette lecture apporte un éclairage assez troublant sur la personnalité de Mishima. Malgré sa petite centaine de pages, le soleil et l'acier mérite une seconde lecture. Si la traduction m'a parfois paru maladroite, le texte justifie largement l'intérêt porté à l'oeuvre de Mishima. Je pense pour ma part que l'auteur n'a pas fini de m'étonner. C'est donc avec enthousiasme que je me lancerai dans une découverte plus approfondie de son travail...
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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Que se serait il passé si Ferdinand de Saussure s'était réincarné dans un japonais malingre ayant développé un fort complexe identitaire ? Yukio Mishima ! Des intuitions fortes, des développements théoriques au plus proche des perceptions linguistiques et sémiotiques actuelles, le tout avec une pointe de folie mono-obsessionnelle chez un individu se percevant plus comme un signifiant qu'un signifié.... Se balader dans les paysages de la pensée d'un autre est souvent troublant, mais ici, l'on n'a de choix que de se laisser rebondir de synapse en synapse ! Pour ma part, j'ai aimé la ballade !
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Citations et extraits (41) Voir plus Ajouter une citation
L’acceptation de la souffrance en tant que preuve de courage était le thème des rites primitifs d’initiation dans le lointain passé, et tous ces rites étaient en même temps des cérémonies de la mort et de la résurrection. De nos jours, les hommes ont oublié la lutte cachée dans les profondeurs, entre l’état conscient et le corps telle qu’elle apparaît dans le courage, dans le courage physique en particulier.

On regarde généralement la conscience comme passive, tandis que le corps agissant constituerait l'essence de tout ce qui est hardiesse et audace ; pourtant, dans le drame du courage physique, les rôles sont, en fait, renversés. La chair bat prudemment en retraite pour assumer sa tâche défensive tandis que c'est la conscience claire dont la décision fait que le corps prend son élan en renonçant à soi-même. L'exquise clarté de la conscience est l'un des facteurs qui contribuent le plus fortement au renoncement à soi-même.

Empoigner la souffrance, c’est le rôle constant du courage physique ; et le courage physique est, pour ainsi dire, la source de cet appétit de compréhension et d’appréciation de la mort qui, plus que tout autre chose, est la condition primordiale pour rendre possible une connaissance véritable de la mort.

Le philosophe en chambre aura beau ruminer l’idée de la mort, aussi longtemps qu’il restera à l’écart du courage physique qui constitue un préalable à la connaissance, il demeurera incapable de commencer même à rien y comprendre. Qu’on entende bien que je parle de courage « physique » ; la « conscience de l’intellectuel » et le « courage intellectuel » ici ne sont pas en cause. (pp. 50-51)
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... Il est assez risqué de discuter un bonheur qui peut se passer de mots.
La seule chose qui, j'en suis sûr, peut aisément se déduire de ce que j'ai écrit, c'est qu'afin de susciter ce que j'évoque ici sous le nom de bonheur, il faut d'abord remplir une série de conditions extrêmement gênantes et se livrer à toute une série de pratiques extrêmement complexes.
Au cours du bref espace – un mois et demi – de vie militaire dont je fis plus tard l'expérience, je trouvai maint fragment chatoyant de bonheur, mais il en est un (inoubliable et si complet sentiment de bonheur éprouvé en un moment dépourvu de toute signifiation apparente et pas du tout militaire) que je me sens contraint de le relater ici. Bien que faisant partie d'un groupe lorsque j'étais soldat, ce sentiment suprême de bien-être se manifesta, comme en toute occasion antérieure de ma vie, lorsque j'étais tout seul.
Cela se produisit à la tombée du jour le 25 mai, une journée splendide du début de l'été. J'étais incorporé dans un groupe de parachutistes ; on avait fini l'exercice journalier ; j'avais été prendre un bain et rentrais au dortoir.
Le ciel du début de soirée se teintait de nuances roses et bleues et l'herbe au dessous s'étendait en nape de jade unie, étincelante. On voyait çà et là, de part et d'autre du sentier où je marchais, les bâtiments de bois, robustes, vieillissants, souvenirs nostalgiques d'une époque où ç'avait été l'école de cavalerie : le manège couvert devenu un gymnase, les écuries aujourd'hui bureau de poste...
J'avais encore ma tenue de culture physique : de longs collants de coton blanc qu'on venait de distribuer ce jour même, des sandales de gymnastique en caoutchouc, un maillot. Contribuait à mon sentiment de bien-être jusqu'à la boue qui salissait déjà le fond du pantalon.
Le maniement du parachute qui avait occupé la matinée, cette sensation extraordinairement subtile au moment où, pour la première fois, on s'abandonnait au vide, subsistaient en moi, résidu transparent, frêle comme un biscuit médicinal. La respiration profonde et rapide due à l'entraînement sur piste et à la course qui avaient suivi pénétraient mon corps d'une agréable léthargie. Il y avait là des carabines, des armes de toutes sortes. Mon épaule était prête à tout instant à ajuster une crosse.
J'avais couru à cœur joie sur le gazon vert, senti la morsure du soleil hâler d'un bronze doré mon épiderme ; dans l'illumination de l'été, j'avais vu, douze mètres au-dessous de moi, les ombres des hommes fermement découpées et collant à leurs pieds. J'avais sauté dans l'espace du haut de la tour argentée, conscient, dans mon élan, que mon ombre projetée l'instant d'après parmi ces gens se trouverait isolée sur le sol en flaque noirâtre, détachée de mon corps. À cet instant, sans le moindre doute, j'étais libéré de mon ombre, de la conscience de moi-même.
Ma journée avait été remplie ras bord d'exercices corporels et d'action. Excitation physique, force, sueur, muscle ; le gazon vert de l'été s'étendait alentour, la brise remuait la poussière sur le sentier que je suivais, les rayons du soleil s'inclinaient lentement à l'oblique, tandis qu'en collant et sandales de gymnastique, je marchais tout naturellement au milieu d'eux.
Voilà la vie que j'avais désirée. En cette heure, je goûtais cette joie primitive, solitaire, de l'instructeur d'éducation physique retournant entre le vieux bâtiment d'école et les massifs d'arbustes, après s'être perdu dans la beauté des exercices physiques par un soir d'été. J'y percevais un repos absolu de l'intellect, une béatification de la chair. L'été, la blancheur des nuages, le vide azuré du ciel après la dernière instruction de la journée, un grain de mélancolie venant ponctuer l'éclat du soleil qui filtrait entre les arbres, tout cela faisait naître un sentiment d'ivresse. J'existais...
Comme ils étaient complexes les cheminements nécessaires pour atteindre cette existence ! Celle-ci embrassait un grand nombre de concepts qui, pour moi, étaient presque des fétiches et qui se trouvaient directement associés à mon corps et à mes sens, entièrement à part de l'entremise des mots. L'armée, la culture physique, l'été, les nuages, le couchant, le vert des herbes de l'été, le collant blanc, la sueur, les muscles et tout juste une vague haleine de mort... Rien n'y manquait; chaque pièce de la mosaïque était en place. Je n'avais absolument aucun besoin de quiconque, et de ce fait aucun besoin de mots. Le monde où j'étais se composait d'éléments conceptuels aussi purs que des anges ; tout élément étranger provisoirement balayé, je débordais de la joie infinie d'être un avec le monde, joie proche de celle qu'engendre une eau froide sur la peau échauffée au soleil de l'été.
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Une charpente puissante et tragique, une musculature sculpturale étaient indispensables à une mort noblement romantique. Toute confrontation entre une chair faible et flasque et la mort me semblait inadéquate jusqu'à l'absurde. A dix-huit ans, impatient d'un trépas prochain, je m'y sentais inapte. Me manquaient, en bref, les muscles qui convenaient à une mort tragique. Et ma fierté romantique se trouvait profondément blessée du fait que c'était cette incapacité qui m'avait permis de survivre à la guerre.
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Âgé déjà de quinze ans, j'avais écrit une poésie :

"Lorsque du jour la vigoureuse flamme
Réjouit encore l'humanité,
Pour toi, loin du soleil, prends refuge, ô mon âme,
Au fond de mon antre abrité."

Oh ! comme je l'aimais mon antre, ma chambre ombreuse, l'aire de mon bureau aux livres entassés ! Combien je me plaisais à l'introspection, enseveli dans mes pensées ; quel ravissement d'épier de frêles insectes bruire dans les fourrés de mon cœur !
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Les contraires, lorsqu'on les pousse aux extrêmes, en viennent à se ressembler ; et les choses les plus éloignées l'une de l'autre se rapprochent lorsqu'on accroît la distance qui les sépare.
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Vidéo de Yukio Mishima
Yukio Mishima (1925-1970), le labyrinthe des masques (Toute une vie / France Culture). Diffusion sur France Culture le 20 février 2021. Un documentaire d'Alain Lewkowicz, réalisé par Marie-Laure Ciboulet. Prise de son, Philippe Mersher ; mixage, Éric Boisset. Archives INA, Sandra Escamez. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. 25 novembre 1970 : Yukio Mishima, écrivain iconoclaste japonais âgé de 45 ans, met en scène sa propre mort ; alors qu’il s’apprête à quitter le monde, il livre à son éditeur "La mer de la fertilité", véritable testament littéraire et spirituel de cet auteur tourmenté, fasciné par la mort rituelle. Cet homme nostalgique, avec son goût du vertige et de l'absolu, son amour des corps vierges et des âmes chevaleresques, sa quête effrénée des horizons perdus laisse une œuvre considérable qui raconte sans aucun doute la recherche d’une pureté illusoire et la laideur du monde. Lectures de textes (tous écrits par Mishima) : Barbara Carlotti - Textes lus (extraits) : "Patriotisme. Rites d’amour et de mort" (film de et avec Yukio Mishima, 1965. À partir de "Yūkoku", nouvelle parue en 1961) - "Confessions d’un masque" - "Le Lézard noir" - "La Mer de la fertilité". Archives INA : Ivan Morris et Tadao Takemoto - Flash info annonçant la mort de Mishima le 25 novembre 1970. Extraits de films : "Mishima" de Paul Schrader (1985) - "Le Lézard noir" de Kinji Kukasaku (1968) - Extrait du discours de Mishima juste avant son seppuku, le 25 novembre 1970.
Intervenants :
Pierre-François Souyri, professeur honoraire à l’université de Genève spécialiste de l’histoire du Japon Fausto Fasulo, rédacteur en chef des magazines "Mad Movies" et "ATOM" Tadao Takemoto, écrivain, spécialiste et traducteur de Malraux au Japon et vieil ami de Mishima Dominique Palmé, traductrice de Mishima chez Gallimard, spécialiste de littérature japonaise et de littérature comparée Julien Peltier, spécialiste des samouraïs, auteur de plusieurs articles parus sur Internet et dans la presse spécialisée, en particulier les magazines "Guerres & Histoire (Sciences & Vie)" et "Actualité de l'Histoire". Il anime également des conférences consacrées aux grands conflits de l'histoire du Japon Thomas Garcin, Maître de conférences à l’Université Paris 7 - Diderot, spécialiste de Mishima et de littérature japonaise Stéphane du Mesnildot, critique de cinéma, et spécialiste du cinéma japonais
Source : France Culture
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