comme certains savent présenter les choses de façon claire – même
celles d’importance beaucoup moindre eux réussissent en vérité
à nous les rendre intelligibles et très très chères
de telle sorte qu’en leur présence le tout (comme on a coutume de dire) touche
à l’auréole de la sérénité – ce sont la fierté et le miroir du monde
et d’autres qui confondent la fleur de cactus avec la piqûre des jours pluvieux d’autres
qui nous croisent parfois dans la rue sans reconnaître leurs amis
et qui marmonnent bonjour bonjour bonsoir quand ils entrent
dans un débit de tabac pour s’acheter des ampoules électriques mon dieu
etc. mon dieu etc. eux sont notre honte et notre terreur
préface
et depuis que j’ai inventé la poésie dans une chambre clandestine depuis la toute profondeur des terres stériles – le courage et le pouvoir (humain) se sont dissous comme buée
outre ce fait – que je suis né et que je vis et que je mourrai probablement dans la crainte et dans le tremblement (chose au demeurant que j’aurais voulu dire aussi voilà deux ou trois ans) je n’ai hélas pour l’heure plus rien à dire
je reprends à mon compte par conséquent la vieille langue : commençant précisément au moment présent je la tords je la caresse je la bats jusqu’à plus soif, mais les syntagmes insolites dans lesquels (à ce qu’on dit) dormirait mon âme comme dans une tanière perdue ceux-là ne me tentent plus les doigts graciles qui creuseront canaux à travers bois et y retourneront encore et encore petit à petit ils entreront en pourriture ? les doigts graciles ne me tourmentent plus
dans les yeux de celui qui regarde et regarde sans nous voir
dans le voyage comme un fouet d’airain comme la longue trompe d’un buccin
dans la déposition comme un battement d’aile comme une fumée au-dessus de la maison
dans le goût dans le toucher de cet acte insondable prends pitié
prends pitié de moi ô ! nuit
dans la nuit sereine et dans la fosse pâle pleine de détritus
dans tout ce qui marche en avant ô ! nuit
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises des poèmes, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. Pierre Drogi.
« nici o mângâiere și flori albastre și nici o vorbă. mâna va crede că visează — las-o. limba doarme de nouă ani între maluri — las-o. flori albastre da înspăimântătoare flori albastre și mai ales nici o vorbă : cuțit lângă cuțit »
— Poème dans la langue originale
« pas une caresse et fleurs bleues et pas une parole. la main va croire qu’elle rêve — laisse-la. la langue dort depuis neuf ans entre ses rives — laisse-la. des fleurs bleues oui d’épouvantables fleurs bleues et surtout plus une parole : couteau contre couteau »
— Poème dans la traduction de M. Drogi
« pas une caresse fleurs bleues et pas un mot. la main croira rêver. la langue dort depuis neuf ans entre les eaux. fleurs bleues oui effrayantes fleurs bleues et surtout pas un mot : couteau contre couteau »
— Poème dans la traduction de M. Alain Paruit (« Poèmes de Virgil Mazilescu » dans « Liberté », vol. 16, nº 4, p. 16-17)
« Il doit y avoir foule dans la rue, une foule monstre. Le vendeur de porcelaines se dispute avec le seul acheteur — à ne pas oublier, je vous en prie — le seul acheteur de la boutique, ce qui est d’ailleurs assez peu probable, étant donné qu’une dispute entre quatre yeux n’a de charme pour personne. Il ne se dispute peut-être pas, mais désire seulement de tout son cœur le convaincre d’une vérité vraie. Ce serait la raison pour laquelle il fait des gestes étranges et brusques, en tendant le bras comme une épée, en portant sa jambe à son front pour saluer. Et dehors, il y a du soleil, et je me faufile sur la pointe des pieds. Dans les frondaisons, des oiseaux chantent, et les enfants qui s’arrêtent pour les écouter essayent d’en distinguer le plumage jaune ou orange aux taches noires, grosses comme des sous — ou purement et simplement bleu, entièrement bleu — au milieu des feuilles vertes ! Oh, je suis sûr que vous avez compris »