La vouivre
Bête cruelle au corps annelé, portant au front un emblème,
Du plus profond des bois glissant vers la fontaine
Les pâtres t'ont vue, qui mènent au printemps
Leurs moutons dans les alpages.
Pétrifiant sur les rocs des ondoiements glacés,
Source descendue de la ravine,
Ta petite tête virginale darde des regards féroces.
Seul sous ta mâchoire tremble une goutte de lune.
Te coulant hors des millénaires de la légende,
Chair de rêve, ornée d'écailles d'or,
Moitié femme et moitié dragon,
Tu viens de ce qui fut et qui n'existe pas encore.
Gardienne des parois des roches foudroyées,
Sans haine, sans pitié
Posant des questions obliques et bizarres,
Pour élever des monceaux de crânes dans le gouffre…
Les yeux pleurent humainement, mais brille comme ceux des fauves.
L'ombre émerge de la mort en une vie nouvelle.
Pour entraîner perfidement le voyageur à sa perte,
Toute rouge fleurit ta langue bifide.
[Șerpoaica, p. 162-163, en français par C. Borănescu-Lahovary]
Autre chanson
Mon âme sur les eaux, nénuphar pur
Pensée soudaine, vague assoupie,
La vie en vain veut m’engloutir.
Tout est fini.
Mon amour, eau lente couleur de jade
Entre les vases à vue d’œil,
mon âme, ses blanches feuilles perd en panade
ses blanches feuilles …
Tombent des vêpres, tard morfondues, tristement,
aubes pâlotes. Soleil meurtri
envoie au nuit, subtilement
sommeil flétri.
Etoiles, menues chandelles en cire,
l’envie passée du manqué renouvelant,
tes destinées elles vont les occire
le jeu évident.
L’âme brisée – sombre comme un lotus dans le gué,
Au plus profond, cherchant le torrent ;
Tout est si loin, tout est si près …
tout Finalement.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
Voix d’automne
L’automne a changé les feuilles en cœurs dorés …
Aucune parole, aucune voix. Silence ajourné.
Un oiseau se fait tout petit, dans le ciel qui sera blanc d’ondées.
Mon cœur, apaise ton tourmenté souci.
La terre a du repos pour toute fatigue.
Le ciel qui les nuées endigue,
partage l’oubli.
Paix dans le champ où la semence se doute,
paix dans l’âme harassée,
paix sur les feuilles qui se sont détachées
et dans l’étoile qui attend sa chute.
*
traduit du roumain par Cindrel Lupe
Chant de nuit au bord de la mer
Toutes les cloches sonnent qui sont au fond de la mer,
Toutes les lumières deviennent nuits dans le lointain,
L’obscurité met des ailes blanches aux vagues amères.
À l’écart, l’attente sent proche le cœur,
La pensée en fleur berce l’amour sous les paupières,
L’âme et les flots chantent au-dessus des mots.
Plus tard, la vieille éternité m’assaille et me submerge…
Couleur d’argent, l’infini s’installe,
Seul l’instant qui fuit demeure un rêve vivant.
Exhortant l’être, qui du limité se sépare,
Lui coupant le retour, pour qu’il aille plus loin,
Monte la douceur d’un temps de mourir.
(traduit du roumain par Claude Sernet, cf. l’original « Cîntec de noapte la mare », p. 204)
Și luceafărul răsare,
Turma a pornit spre sat…
Lin luceafărul răsare,
Albăstrit de depărtare.
Liniște. A înnoptat.