Picture of Death / Prenez Garde A La Peinture
Auteur que l'on peut considérer comme mineur, E. C. R. Lorac n'en a pas moins su se façonner un petit univers bien particulier, où l'amateur de policiers classiques aime à se replonger comme l'amatrice de romans à l'eau de rose se glisse avec un doux soupir de satisfaction entre les pages d'un Delly ou d'un
Max du Veuzit. On sait ce qui va arriver mais on s'en fout : l'essentiel, c'est de se sentir au chaud et douillettement installé.
Chez Lorac, il y a toujours une ou deux jeunes filles, éventuellement amies, qui ont fait la guerre dans les Forces féminines britanniques. Ou alors un ou deux jeunes représentants du sexe mâle, la poignée virile et le caractère bien trempé, qui ont fait de même, mais chez les messieurs - cela va sans dire . Très souvent aussi, se dresse à l'horizon une antique demeure qui fut somptueuse mais que le temps, et la Guerre, sans oublier l'inflation, ont beaucoup marquée. C'est une propriété séculaire avec soit une famille très unie en apparence mais dont tous les membres se détestent sournoisement (le plus souvent à cause d'un patriarche ou d'une matriarche qui a tout du sadique intégral), soit deux pelés et trois tondus (ou l'inverse), plutôt bohèmes mais qui n'ont aucune idée de comment ils vont bien faire perdurer la maison, qui va très souvent de pair avec une exploitation fermière, maintenant que deux guerres mondiales ont chamboulé le siècle. Dieu merci, inébranlable dans le paysage, il y a aussi la Reine - la toute jeune Reine, à cette époque. And God Save Her, etc, etc ... and
Great-Britain too, of course.
Les méchants - quel serait l'intérêt d'un policier sans méchant ? - s'échinent tellement à jouer les méchants qu'on comprend vite que, hormis un niveau intellectuel un peu bas et des oeillères redoutablement solides dont ils se protègent d'un monde qu'ils ne comprennent plus, il n'y a pas grand chose à leur reprocher. Ou alors, ils sont directs, simples, francs, sympas, vaguement excentriques, beaux garçons ou belles filles ... et ils se tueraient eux-mêmes avec le sourire le plus éblouissant si cela pouvait leur rapporter le moindre bénéfice. Plus narcissiques, on fait rarement.
Il y a aussi les "entre-deux" de service, les troubles, les ambigus, pas forcément méchants-méchants, plutôt le style lavette ou trembleur, placés çà et là pour égarer le lecteur en envisageant par exemple un bon chantage. S'ils ambitionnent de faire chanter un gentil, inutile de vous inquiéter pour eux même s'ils vous énervent un brin. Bien entendu, s'ils s'en prennent à un méchant, alors, là, ils risquent eux-mêmes de mal finir ...
La romance entre un beau jeune homme (ou alors un jeune homme revenu amoché du front) et une belle jeune fille (ou alors, sans être belle, sacrément mignonne et supérieurement fûtée) est toujours de circonstances. Des dialogues sportifs, "à la camarade", avec "shake-hands" vigoureux entre les représentants des deux sexes, se greffent sur l'ensemble. Et tout ça, ça fait d'excellents personnages de policier britannique, étudiés sous toutes les coutures par l'inspecteur McDonald et l'un de ses subalternes.
Dans "Prenez Garde A La Peinture", l'intrigue est simplissime. Deux jeunes fiancés, Don et Shirley, sont invités pour le week-end chez Richard Langton, un ancien camarade de combat de Don. La maison, bien que croûlante de partout, ou presque, en impose encore et elle est immense . A l'intérieur, les vestiges d'une existence de luxe et de gigantesques toiles, parfois de maîtres d'ailleurs. C'est sous l'une de ces toiles que, la nuit suivante (ou le surlendemain), on retrouve le corps écrasé de la digne et fière Miss Langton, maîtresse en titre du manoir, qu'elle avait hérité de sa mère. Seulement, avant de faire s'écrouler un cadre pareil, humidité des ans ou pas, il faut vraiment l'y avoir un peu aidé ...
Mais qui et comment ? Et puis, pourquoi, bien sûr ?
Ca se laisse lire, ou plutôt, dans mon cas, c'était agréable à relire. Si l'on a déjà lu le roman, on a évidemment des flashes et on part sur des fausses pistes et puis, juste à la fin, ou presque, on se dit : "Mais oui, c'était ..."
Mais c'est trop tard. A son tour, le coupable a tiré sa révérence en se suicidant non sans élégance.
Un bon petit roman sympa, mais seulement si vous aimez ce genre d'atmosphère et aussi ces trames qu'on peut prédire à l'avance. Notons toutefois que, avec "Mort le Venin", par exemple, dont nous avons déjà parlé, et "Cette Chère Emma", Lorac a parfois eu quelques trouvailles qui sortaient de l'ordinaire. C'est donc un auteur mineur - mais un solide, un qui se maintient à travers les ans grâce, sans doute, à ce soupçon de perversité absolue qui lui permet parfois de créer un véritable monstre au fond de sa galerie, somme toute traditionnelle, de "gentils" et de "méchants."
Ce sont les vacances - enfin, pensez-le très fort et ce seront les vacances : profitez-en pour découvrir E. C. Lorac. Vous pourriez tomber plus mal. ;o)