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Critique de raton-liseur


Dans la littérature maritime, il semblerait qu'il existe un sous-genre, celui de la littérature du prolétariat maritime. Les principaux représentants en sont probablement [Le Vaisseau des morts] de B. Traven (que je n'ai pas encore lu, bien qu'il soit sur mes étagères) et [Le Bateau usine] de Kobayashi Takiji (que j'ai lu il y a déjà un petit paquet d'années). Alors lorsque j'ai vu ce livre sur une table thématique (enfin, techniquement c'était plutôt un mur) de la nouvelle librairie qui vient d'ouvrir pas très loin de chez moi, je n'ai pas pu résister, et me voilà à embarquer avec les marins de L'Emeraude, un vieux rafiot de la marine de commerce suédoise, pour un voyage dans l'Atlantique, en direction du Nord, en ce mois de novembre 1938.
Josef Kjellgren, dont le lectorat français ne peut lire que ce roman et sa suite ainsi qu'un recueil de poèmes, est un auteur autodidacte, et je crois que cela se sent dans son écriture. On a l'impression, parfois, que ce livre a été écrit lorsqu'il avait un peu de répit, lors d'un quart ou d'une escale. En effet, il y a de temps à autres des coupures dans le style, comme si le livre avait été écrit en plusieurs fois, et n'avait pas bénéficié d'une dernière lecture qui aurait harmonisé cela. Mais je n'ai pas trouvé cela gênant, au contraire presque, j'ai plus eu l'impression de lire un travail encore rugueux, avec des aspérités, mais plein de sincérité et de simplicité aussi.
Les hommes de L'Emeraude, donc… Avec leurs noms, leurs surnoms et leurs postes, c'est parfois un peu difficile de s'y retrouver et le rôle d'équipage que le traducteur ou l'éditeur a jugé bon de mettre au début du livre est bien utile pour s'y retrouver. Il y a le capitaine, incarnation de l'autorité et de la compétence, il y a le second, taciturne et conscient de son devoir, le commis et ses petites combines, les marins de pont avec leurs personnalités et leur esprit de corps, les gars des machines avec leur fierté et leur désir de reconnaissance. Ce livre est présenté comme un roman, mais c'est plus une galerie de portraits, plus ou moins détaillés, plus ou moins reliés les uns aux autres.
Et de ce livre à la structure un peu impressionniste se dégage l'image d'une marine marchande en plein changement : les plus anciens des marins se souviennent encore de la marine à voile, les plus jeunes ont fait la guerre, d'autres l'ont passée sur les navires d'une nation neutre à la merci d'un sous-marin. Et la seconde guerre mondiale n'est pas loin, la propagation des théories socialistes et communistes dans les milieux ouvriers commence à atteindre quelques recoins.
C'est tout cela que Josef Kjellgren a mis dans ce livre, des marins fiers. Fiers de leur histoire, fiers aussi de jouer leur partie dans le concert du monde. C'est l'histoire, le monde qui bouge, et des hommes qui veulent en faire partie, des hommes qui connaissent leur place, mais qui savent aussi remettre en question les us de leur monde. Un livre tout en rugosité et en subtilité à la fois, si cela est possible. Un livre qui s'apprécie à petite dose et qui demande qu'on lui laisse le temps de diffuser son atmosphère et de laisser ses non-dits se révéler peu à peu.
Ce livre, c'est trois semaines de la vie à bord de l'Emeraude, trois semaines pleines d'événements petits et grands, et qui finissent de façon un peu abrupte, mais j'ai apprécié être la passagère de ce navire vieillissant, de pouvoir être comme une présence invisible dans le carré des officiers, sur le pont, dans la salle des machines et dans celle des cartes, parmi les marins prenant un peu de bon temps… Un livre étonnamment doux, pour ceux qui aiment le genre, peut-être pas celui des livres du prolétariat maritime, mais plutôt celui des livres de mer qui aiment leurs personnages et les respectent.
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