Je fais la connaissance de
Bohumil Hrabal avec
La chevelure sacrifiée, petit roman autobiographique de 150 pages. Mais quel roman, quelle force narrative et poétique contenue en si peu de pages !
Maryska, probablement la mère de l'auteur, nous raconte, à la première personne, des aventures dignes des malheurs de Sophie, dans un petit village de Bohème, dans les années 1920, au moment de la naissance de la Tchécoslovaquie au sortir de l'effondrement de l'empire austro-hongrois. Elle compose un drôle de couple avec son mari Francin, gérant de la brasserie dans laquelle ils vivent, lui, sérieux, méticuleux, pondéré, voire timoré, et elle, vive, fantasque, exaltée, toujours prête à enfourcher son vélo, à faire de l'escalade sur la cheminée de l'usine, à manger et à boire goulûment les saucissons qu'elle confectionne avec le charcutier et de la bière.
Intrépide, elle aspire à une vie intense, et ne connaît pas les dangers. Elle a d'ailleurs failli se noyer à deux reprises quand elle était enfant, en tombant dans la rivière puis dans un puits.
Maryska, c'est avant tout une chevelure d'or, magnifique, indomptable, qu'elle porte comme un étendard, une chevelure dont le poids peut la faire basculer en arrière, dont la longueur peut se prendre dans les rayons de la bicyclette, une chevelure qui pourrait la faire s'envoler mais qu'elle choisira à la fin du roman, comme le titre l'indique, de sacrifier. Au nom de quoi la sacrifiera-t-elle ? de la liberté, de l'indépendance ?
Ce couple mal assorti, mais amoureux, est bientôt rejoint par le frère de Francin, un personnage tonitruant, haut en couleurs, dont les excès en tous genres vont rapidement conduire le président de la brasserie à le forcer à y travailler et s'y installer.
La chevelure sacrifiée, ce sont toutes ces péripéties drolatiques, nimbées de poésie, narrées à un train d'enfer, avec une langue riche et précise à la fois, dotée d'une grande puissance d'évocation.
Les magnifiques premières pages consacrées à l'entretien des lampes ventrues à mèche, les scènes de course folle de chevaux, de confection des charcuteries, de préparation des barriques, de réparation des chaussures par le frère de Francin, laisseront sûrement un souvenir durable.
Point de traces de propos politiques ou de critiques sous-jacentes du régime alors en place en Tchécoslovaquie quand le livre a été écrit. Pourquoi
Bohumil Hrabal a-t-il dû l'éditer sous la forme de samizdat, ce système clandestin de circulation d'écrits interdits dans les pays du bloc de l'Est ? Cette chevelure folle, indisciplinée, à l'image de sa propriétaire, symbole de vitalité et de contestation risquait-elle d'entraîner le courroux des dirigeants de l'époque ?