Den Amerikanska Flickan
Traduction (du suédois) : Anna Gibson
ISBN : 9782253125716
Vais-je oser ? Oui, il le faut. Ce roman de la Finlandaise suédophone
Monika Fagerholm est un authentique chef-d'oeuvre : complexité des thèmes traités dont, largement en tête, la réinterprétation d'un fait divers et la création des légendes, complexité des personnages (celui de Doris Flikenberg restera pour moi le plus attachant, le plus profond) et, si possible, complexité exacerbée des liens qui unissent tout cela pour faire tenir debout cette histoire étrange, inquiétante, poétique et aussi fabuleuse, aussi insaisissable qu'un serpent de mer apparaissant par ici sous tel aspect et, par là, sous tel autre, avant de sombrer pour quelque temps, à l'instar de
la Fille américaine dans le marais de Bule, abandonnant le lecteur perplexe, impatient et sans cesse désorienté par ce qu'il découvre, puis découvre encore, à l'idée qu'il lui faut au moins lire une deuxième fois ce livre pour en saisir toutes les subtilités. Précisons au passage que "
La Fille Américaine" possède une "suite", "
La Scène A Paillettes", dont nous parlerons ensuite et qui, bien que de facture plus classique - mais à peine - fait rebondir et parachève le récit. (En tous cas, telle est notre opinion mais nous ne doutons pas que, aux yeux de certains, cette "Scène A Paillettes" ait paru inutile, voire superfétatoire.)
Une jeune Américaine, Eddie de Wire, dix-neuf ans tout ronds, débarque un jour dans un village côtier de Finlande. Elle a le temps d'entamer une liaison avec Björn, qui a à peu près son âge. Et puis elle disparaît. Dans le marais de Bule. Aspirée sans doute par les courants et sans qu'on sache avec exactitude ce qui s'est passé. Björn est retrouvé pendu dans l'une des remises familiales. Cette nature colérique a-t-elle tué
la Fille américaine en apprenant que celle-ci le trompait avec un autre ? Ou quelqu'un d'autre s'est-il chargé de la funèbre besogne pour une tout autre raison ? A moins que ce ne soit un accident, tout bête.
Mais avant tout, qui était
la Fille américaine ? C'est-à-dire : était-elle vraiment ce que tout le monde disait qu'elle était ? ...
Quelques années plus tard, Doris Flikenberg, une enfant-martyre recueillie par la mère de Björn (dite aussi "la mère des Cousins), se met en tête, avec son amie Sandra Wärn, laquelle vit avec son père "dans la maison de la partie boueuse de la forêt", de résoudre l'énigme de
la Fille américaine. Cette Fille américaine dont elle retrouvera d'aillleurs le corps peu de temps avant de comprendre - de s'imaginer ? - une foule de choses qui la pousseront, pauvre Doris Flikenberg, si droite, si optimiste, si vaillante, si entière, à se tirer une balle dans la tête, tout en haut du rocher de Lore, du côté du marais de Bule. Doris Flikenberg venait d'avoir seize ans.
La Fille américaine et son souvenir rampant, hantant les pensées de tous ceux qui l'ont connue dans ce petit village que l'auteur n'appelle jamais que le Coin, et l'incompréhensible suicide de Doris Flikenberg constituent l'armature de ce roman, écrit en un style qui fait beaucoup songer à
Faulkner tant par la construction des phrases elle-même que par la façon dont
Fagerholm promène son lecteur dans le temps. Et il y a la puissance. Car "
La Fille américaine" est un récit d'une force hallucinante mais insidieuse, dont on ne prend conscience que lorsqu'il est trop tard, lorsque l'univers de la Finlandaise nous a absorbés, nous, lecteurs, et déjà transformés. C'est un labyrinthe, un jeu (ou pas ? ), ou alors plusieurs jeux (ou pas ? ) intriqués les uns dans les autres, avec des règles qui ne sont pas définies (finalement, ce n'est pas important) jusqu'à ce que, justement, elles se définissent elles-mêmes (pan ! Doris est morte ) et des personnages qui ne sont que des pions sur un vaste échiquier où l'on aimerait bien croiser le Destin mais justement, le Destin existe-t-il ? Ou joue-t-il (ou pas ? ) à cache-cache avec les héros du livre et, par là-même, avec nous, ses lecteurs ? ...
Raconter ou résumer, avec justesse et concision, "
La Fille Américaine", est chose rigoureusement impossible. La meilleure définition qu'on pourrait - à la limite - donner de ce livre, est celle d'un kaléidoscope littéraire. Ou, mieux encore, d'un labyrinthe de miroirs où l'on finit par ne plus se reconnaître du tout - et en plus, on est tenté de croire qu'on s'est égaré dans ces multiples méandres dont on ne comprend la nécessité que longtemps après les avoir empruntés, suant, peinant, totalement fascinés, hypnotisés, tout-à-fait "ailleurs", dans cette extraordinaire Autre dimension que nous révèlent certains ouvrages élus, magiques ("Alice au Pays des Merveilles", "Le Maître & Marguerite","
Absalon ! Absalon !", "L'Ange Exilé" et je ne vous donne que quelques uns des titres qui m'ont marquée à ce point, titres parmi lesquels j'ai le bonheur d'inclure désormais "
La Fille Américaine").
Evidemment, certains d'entre nous ne ressentiront aucune fascination et décrocheront dès les premières pages. "
La Fille Américaine" nécessite en effet un réel effort d'attention de la part du lecteur. Non pas tant pour sa base "policière" - qui ne sert en fait que de prétexte - que pour la façon dont se développe le récit et dont s'imbriquent les différents thèmes. Il ne faut laisser passer aucun détail : tout est important pour la compréhension des personnages et de leurs motivations. Comme dans un thriller, en somme, à ceci près que "
La Fille Américaine" n'est en rien un thriller et que la mort de son héroïne-titre n'est en fait, répétons-le, qu'un prétexte pour l'auteur : prétexte pour dépeindre des enfants, puis des adolescents plus ou moins laissés à leurs seuls fantasmes et rêves par des adultes dont très peu - la "mère des Cousins" est la seule à qui je décernerai ce titre - acceptent d'endosser leurs responsabilités non seulement par rapport à leur propre vie mais aussi par rapport à celle de leurs rejetons. de façon quasi générale - tous moins une - les adultes qui évoluent dans "
La Fille Américaine" sont des mous, des faibles, des rêveurs, des alcooliques - des incapables. Et le pire, c'est que la maison pour malades mentaux attend la seule adulte qui, parmi eux, aura au moins essayé de se conduire comme telle. D'accord, elle en sortira pour aller se reposer et reprendre sa vie de jeune fille chez son père mais la conclusion est quand même bien amère, non ? ...
Et attention donc : il y a une "suite", "
La Scène A Paillettes", dont nous parlerons bientôt. En attendant, essayez de lire "
La Fille Américaine." Pour moi, ce sera, je vous le dis, mon coup de coeur de l'année 2014. ;o)