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Citations sur Crépuscules (7)

Je suis devant le réchaud et la flamme bleue lèche le fond de la casserole et je comprends – contrairement à lui – que c’est peut-être tout simplement à ça que se réduit notre existence : un vieux restant de soupe de boue avec ce que je pense être du chou. Voilà à quoi est réduite toute une vie qui m’avait autrefois semblé si complexe, si pleine de promesses. Alors je me rappelle la vitalité qu’il avait avant et de la force que nous trouvions en réponse à tout le mépris qu’ils nous témoignaient et l’audace, l’audace de ne pas refuser la vie, de ne pas refuser de donner la vie et la lutte, la lutte incessante qui nous rendait de plus en plus forts face à toutes les embûches et la vie qui continuait et leur vie qui prenait, qui explosait parfois dans toute la force de l’enfance et leur rire et nos sourires qui étaient réapparus et maintenant cette soupe, cette bruine, ces nuages… eh bien, eh bien, regardez-moi un peu ça…
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La porte s’ouvre et je vois que c’est le père des jumeaux qui est accompagné par deux individus.
J’observe les nouveaux venus un peu mieux et je reconnais la femme enceinte avec un homme qui est visiblement son mari. Je finis de placer les verres derrière le comptoir et je fais un signe de tête et ils prennent place à une table. Alors je me dis que je devrais aller m’occuper d’eux avant que ma femme se plaigne des ivrognes qui finissent toujours par se trouver dans mon dépensier.
Je prends une bouteille d’assommoir et quelques tasses et je m’approche. Je mets trois verres sur la table et je me rappelle que la femme est enceinte alors j’en enlève un. Je verse l’assommoir et je regarde les hommes saliver pendant que le liquide se hisse jusqu’au rebord.
– T’as un wagon de libre ? me demande le voisin après avoir pris une première gorgée.
Je me retourne et je regarde si ma femme a entendu et elle est debout et me dévisage et lave un verre et elle secoue la tête comme si tout cela était de ma faute.
Je discute un moment avec le voisin et les nouveaux arrivants.
– Peut-être… enfin, je dois savoir c’est pour qui.
– Eux, il fait en désignant le couple d’un signe du menton.
Je les observe et je sens le regard de ma femme sur mon dos. Enfin… ils peuvent quand même pas dormir dehors. Surtout qu’elle attend un enfant.
– Vous venez de loin ? que je leur demande.
Le nouveau venu regarde les tatous sur ses mains et ne lève pas le visage. Alors je comprends qu’il ne va pas me répondre. Je sens toute la dureté de l’homme, je pense presque voir les épreuves sur les lèvres serrées. Je regarde la femme qui le dévisage et je vois qu’elle comprend quelque chose. Qu’elle est plongée dans ce qui ne peut pas être dit. Elle allonge la main et la pose sur celle de l’homme et celui-ci l’agrippe et lève son visage et la regarde. Comme s’il avait dérivé et qu’il s’accroche à elle pour ne pas sombrer. Je soupire et j’observe dehors et je m’attends à voir le soleil se coucher, mais il est peut-être déjà trop tard.
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Alors je joue. Comme je l’ai fait pendant tout mon trajet. Je reproduis les sons de ce que j’ai vu et de ce que j’ai ressenti et je leur donne. Je leur donne sans même utiliser des mots parce que je veux qu’ils comprennent. Je ne veux pas qu’ils puissent faire semblant de ne pas savoir. Que leurs enfants tuent les nôtres. Je leur dis partout. Je leur dis à ceux qui veulent encore écouter. Je leur dis avec les sons, sans les mots, parce qu’il n’y a plus de mots pour dire.
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On savait que père était fatigué, il nous a expliqué que la guerre c'est comme un poison, un poison qui reste dans le corps et qui fait qu'on meurt très lentement.
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Il sait peut-être. Il sait sûrement. Ce ne peut pas être possible qu'il n'ait pas remarqué l'odeur. L'odeur des bombes qui provient de la ferraille. Parce que lui aussi, il a été chassé du vieux pays par les bombes. Et je sais que c'est impossible d'oublier cette odeur. Par ce que c'est tout ce que nous avait laissé le vieux pays, à l'exception des cauchemars et des cicatrices et des souvenirs. L'odeur des bombes, dans nos nez, sur nos vêtements. Je pensais que toute la route que j'avais traversée jusqu'ici faisait que je n'aurais plus à connaître cette odeur. Mais je comprends maintenant que j'ai quitté l'endroit où était enterré mes parents et ma famille pour un cimetière de bombes.
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Parce que maintenant ce n'est plus l'exil et la pauvreté et la fin qui me font souffrir, ce sont tous ces souvenirs. De ce que j'ai été, des espoirs que j'ai entretenus. Tout ce qu'il a ramené avec lui lorsqu'il est arrivé ici.
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Alors je fais ce que je fais toujours dans ces occasions. Je vais à l'extérieur et j'enlève toute la poussière qui s'est accumulée sur le porche. Je les vois alors, marchant côte à côte. Je trouve alors obscène l'espoir qu'ils incarnent. Je trouve leur espoir obscène et je sens les larmes qui gagnent. Alors je sors ma blague à chicochlorophyle et je me prends plusieurs feuilles et je balaie. Je balaies et je pense enfin à rien.
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