Trouver son pas, pour avancer et inventer un futur, contre vents instables et marées végétales : une formidable vague nomade à l'inventivité langagière enthousiasmante.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/05/20/note-de-lecture-
la-trame-bombyx-mori-collectif/
Pas de note de lecture proprement dite pour «
La Trame », premier roman des quatre Angevins du Bombyx Mori Collectif, publié à La Volte en mars 2023, puisque ce texte magnifique fait l'objet d'un petit article de ma part dans le Monde des Livres du vendredi 19 mai 2023 (daté du samedi 20 mai – décalage de parution du fait du jeudi de l'Ascension), à lire ici. Comme je le pratique désormais en pareil cas, ce billet de blog fait donc plutôt figure de recueil de citations et de remarques diverses, plus ou moins en forme de notes de bas de page par rapport à l'article lui-même.
🦊 Pour rebondir sur deux épisodes récents de Planète B, l'émission science-fiction et politique de Blast à laquelle nous participons chaque mois, le n°3 (« Reste-t-il de l'espoir : que nous dit la science-fiction ? ») et le n°4 (« Contre le désespoir et la résignation : l'utopie dans la science-fiction »), consacrés aux utopies et plus particulièrement à la notion d'
utopie radicale telle que développée par
Alice Carabédian dans son tonique essai éponyme, «
La Trame » me semble constituer un fort bel exemple de cette forme d'utopie en mouvement (ici presque au sens strict du terme), nichée le cas échéant au coeur de la dystopie annoncée ou instituée de facto, inventant de nouvelles pratiques et imaginant des émancipations inattendues dans des interstices qui ne sont pas ceux qui auraient pu être jadis planifiés. La vitalité des néologismes, la joie des créations verbales, la vivacité de la rythmique que l'on ressent ici à l'oeuvre, tout témoigne dans nos chairs de lectrice ou de lecteur qu'il y a bien ici une eutopie (ce n'est sans doute pas par hasard que le roman paraît dans la collection presque éponyme de la Volte, aux côtés de textes tels que, par exemple, le «
Collisions par temps calme » de
Stéphane Beauverger, le «
Résolution » de
Li-Cam ou le « Maraude(s) » de Dilem & Bri), un moment de bonheur paradoxal à inventer et réinventer, sans cesse – même sur un terrain a priori aussi mouvant et peu propice.
🔧 Les expériences contemporaines d'écriture collective sont relativement peu fréquentes, et souvent peu ou pas documentées, comme si, souvent, un mélange de pudeur et d'impuissance à décrire un processus chaque fois spécifique ne favorisait guère les épanchements techniques en entretien, de la part des personnes concernées. Si l'on trouve de ci de là quelques éléments épars à propos des formes de creuset en usage chez James S.A. Corey (Daniel Abraham et Ty Franck, pour « The Expanse », dont on vous parlera d'ailleurs prochainement sur ce blog), chez les
Wu Ming (Roberto Bui, Giovanni Cattabriga, Federico Guglielmi et, antérieurement, Luca di Meo et Riccardo Pedrini, pour, par exemple, « Q –
L'Oeil de Carafa », «
Altai », «
Manituana » ou «
Proletkult »), voire chez
Léo Henry,
Jacques Mucchielli et
Stéphane Perger (à propos de la formidable création au long cours de l'univers de Yirminadingrad, à partir de « Yama Loka Terminus ») ou chez les Aggloméré.e.s de « Subtil béton », on est donc particulièrement heureux de voir un nouveau travail collectif apparaître ainsi sur notre scène favorite, celle de la littérature de fiction spéculative.
🥦 «
La Trame » s'inscrit, en épopée malicieuse, dans une redéfinition littéraire du rapport au vivant, créant dans le paysage de nouvelles lignes de fuite et de clivage, bien loin de la vieille distinction entre nature et culture. Itinérances, nomadismes, diplomaties complexes se nourrissent ici en sous-main, sans usage de surligneur, des travaux de
Philippe Descola, d'
Isabelle Stengers, de
Bruno Latour, de
Frédérique Aït-Touati ou de
Baptiste Morizot, pour ne citer que quelques-uns des penseurs patients d'un relationnel différent, d'une géographie humaine renouvelée et d'un pas de côté décisif à moyen et long terme. Un tableau fort et contrasté, en marche profonde (et non superficielle et parcellaire – au profit des déjà bien installés, toujours – comme certains mouvements politiques en panne d'inspiration) et obstinée («
La Horde du Contrevent » d'
Alain Damasio, complice, n'est sans doute pas si loin, même si elle procède d'un jeu analogique bien différent) vers un ailleurs à créer et recréer en permanence : voici ce que nous offre, en à peine plus de 100 pages de son petit format, ce roman particulièrement enthousiasmant.
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