Dites 33 et vous aurez l'âge choisi par
Adeline Baldacchino pour publier ses 33 poèmes composés dans le noir parus en août 2015 aux éditions Rhubarbe. Un recueil à intercaler entre la mort et soi « pour vivre encore mieux ».
L'exergue nous rappelle
Jean Cassou et ses 33 poèmes composés au secret alors qu'il était prisonnier à Toulouse pour faits de résistance. Cassou avait choisi le sonnet, une forme contrainte mémorisable qu'il put retranscrire et publier en 1944 sous le pseudonyme de
Jean Noir. Est-ce pour baliser son espace avec plus de sûreté, de réconfort et de résistance qu'
Adeline Baldacchino a emprunté à son tour une forme fixe : 6 strophes de 7 vers, soit 42 lignes ? Une chance peut-être que la poète s'est donné pour briser les barreaux du désir. 42 vers : nombre rectangulaire, insolite et mystérieux, dit la numérologie, au fort pouvoir symbolique. Un nombre représentant un temps de souffrance et d'épreuve selon la Bible. Dans cette poésie, en effet, on aime les signes qui confortent, qui tracent d'eux-mêmes un chemin dans le noir vers « un feu nouveau » dans l'oubli « de ce qui ne fait plus mal », un chemin qui fait retrouver « la pure jouissance d'exister ».
Souvenir ou présage
Temps de l'épreuve et temps du renouveau, le recueil oscille entre plusieurs forces contraires : lumière et ombre, joie et tristesse, fureur et douceur, froid et flamme, sérénité et colère, atonie et ivresse, mémoire et désir, amour et mort… Ces 33 poèmes sont à lire comme une renaissance après l'épreuve du néant, une forme de Genèse à l'image de l'oeuvre de Robert Helman choisie pour la couverture – très évocatrice du désir −, 33 poèmes pour réinventer le temps, le faire durer en se portant au-devant de la vie où qu'elle soit « comme si les mots devaient sauver / un peu de la flamme encore ».
Solitude, angoisse, ennui, hésitations, lassitude, attente, douleur, vertige, absence se partagent la nuit insomniaque avec, pour la guéer jusqu'à l'aube, la puissance du poème, cette « mécanique du désir/ à recommencer le monde ». La poésie ici se veut présence au corps et à l'âme, énergie vitale, elle rêve de voyages lointains à « engranger les images », de grands espaces à parcourir dans la joie de la dépossession, de visages neufs à aimer, de pensées libres à découvrir, de légendes à réinventer. Plus près elle fait revivre les souffles de la mer, ses odeurs « vivaces », ses vagues à transmuter la mort, ses soleils à réparer les ailes brisées.
Une poésie phénix
Adeline Baldacchino nous livre ici une poésie très sensuelle, ardente, luxuriante, jouissive, lucide dans sa volonté de s'accorder au désir qui reprend force et courage en elle malgré ce qui pèse. Une poésie de feu tournée vers la lumière pour que s'agrandisse « l'ombre portée des mots que l'on n'a pas dits / quand il était temps », même si la douleur refait surface, et avec elle dans « les écuries vides de l'âme », la tentation du néant. Ce recueil est une parole de reconstruction bouleversante, de survie pourrait-on dire dans le feu salvateur du poème, une parole volontaire qui choisit le parti de la vie − il faut bien « jouer à danser demain dans les ruines » et écrire « pour » − et c'est en cela qu'elle nous remue au plus profond, qu'elle nous emporte entre fougue et douceur dans un voyage au bout de nous-mêmes, plus loin que nous-mêmes.
Nous refermons le recueil, outre la grande beauté de ces 33 poèmes, nous reste en viatique la voix envoûtante de
Léonard Cohen qui répète dans la nuit : « there is a crack in everything that's how the light gets in ». Recommencez, disent les oiseaux au lever du jour.
1- Extraits d'Anthem de
Léonard Cohen, album The Future, 1992.