Ce qui est éternel est ce qui ne sert pas. Tout s’use hormis la beauté. La meilleure chose à rencontrer en ce monde est la trace d’art que les hommes laissent de leur passage. l'humanité, tout en portant son bagage, continue à y ajouter ; une part est vouée à la destruction, mais ce qui subsiste est le tribut payé à ce besoin de produire qui, pour les artistes, est une forme de paternité.
S'il n'est le plus grand artiste, il est peut-être le plus grand peintre. Il est même si prodigieusement peintre qu'il peut n'être que cela, et que cela, poussé au degré qu'il atteint, suffira pour que son oeuvre reste parmi les plus hautaines productions d'art. Hors de tout sujet, de tout arrangement de composition ou de lignes, la peinture, de par sa qualité propre, individuelle selon chaque peintre, peut si bien subsister par elle-même, qu'il a pu faire de la beauté avec des monstres : il a peint des bouffons, des fous, des difformes ; sur le même tableau, une crétine hydrocéphale est à côté de la petite infante dont les cheveux sont de la couleur du sable des grèves avant que la vague ne l'ait mouillé ; il a peint des philosophes à faces de ruffians, des buveurs à têtes de gueux.
On devait le mépriser tout en l'estimant. La surprise de ce qu'il réussissait si bien, la faveur du roi indiquant l'admiration, devait être sauvegarde aux critiques niaises, mais devait d'autant plus amener cette considération condescendante et courtoise du grand seigneur qui souvent ne comprend pas, pour l'homme de métier dont le travail plaît et surprend. L'urbanité du temps voulait cette façon d'être ; l'humanité a peu varié depuis. Ce n'est que seul, au tréfond de lui-même, dans le magnifique isolement de sa supériorité qu'il devait avoir conscience de l'artiste qu'il était, très loin et très au-dessus des préséances ou des intrigues, faisant partie de la cour sans être le courtisan parasite qui ne donne rien en échange des faveurs du prince.
L'art de la peinture est, entre tous les autres, celui qui peut être le plus insupportable s'il ne s'exprime que par un métier bien appris et bien fait. En dehors de la sûreté ou de l'adresse, il faut encore cette saveur qui rend l'oeuvre d'art émue, vibrante, plus que bien faite ; il faut aussi un rien de maladresse qui fait l'oeuvre individuelle et touchante.
Il a peint les fous des rois comme il a peint leurs chiens, comme il les a peints eux-mêmes, avec la même vérité, sans plus d'émotion en peignant le roi que le bouffon ou le chien. Avant tout il est peintre ; tout lui est modèle: infante et ses ménines, princesse ou fileuse. Le sort qui lui est favorable veut qu'il n'ait sous ses yeux que des spécimens affinés de la race. Il en ressent l'élégance et sait la rendre, car de lui-même il va vers des forgerons ou des mendiants que la postérité baptisera philosophes ; mais il est si beau peintre qu'il les voudra de la même matière que le roi ou son ministre : sous son pinceau, des difformes vont devenir les frères des beaux soldats de Bréda.