La longue litanie de la rentrée littéraire commence et, parmi la liste des nombreux romans à surgir sur les étals, voici un singulier objet aux éditions du Sous-Sol. Ceux qui par
Mariana Enriquez nous est arrivé ont cette fois choisi de publier un auteur français d'imaginaire sous pseudonyme :
Ars O'. de ce dernier, on sait peu de choses excepté qu'il est scientifique de formation et qu'il a déjà publié plusieurs romans et BDs dans le milieu de l'imaginaire.
Bain de boue ne renie pas ces affinités puisqu'il s'agit d'un roman de science-fiction aussi surprenant que radical.
Préparez vos bottes et entrons dans la bouillasse !
Ars O' nous jette d'entrée de jeu dans la bouillasse, littéralement.
On y rejoint deux personnages : Lana et Rigal, des Pelleteux, qui tentent de survivre tant bien que mal dans cet endroit submergé par la boue, une boue qui semble avoir tout envahi ou presque, une fange à perte de vue.
Mais au milieu de la bauge, comme on l'appelle, se trouve le Refuge.
Un endroit sinistre dirigé par le Jardinier, le seul à avoir accès à un potager, et le seul capable de prévoir les coulées. du moins, c'est ce qu'il affirme.
Dans cette proto-société post-apocalyptique, deux castes : les Pelleteux d'un côté et les Puterels de l'autre. Les premiers déblayent la boue encore et encore, les seconds obéissent aux désirs (y compris sexuels) du Jardinier et tabassent ceux qui désobéissent. Autant dire que la durée de vie moyenne dans la bauge n'est pas bien folichonne.
Un jour, Lana et Rigal décident de s'enfuir pour suivre les anciennes ruines et (re)trouver l'ailleurs dont ils viennent. Car un ailleurs existe, c'est certain, mais le problème, c'est de le trouver sans crever sous une coulée ou égaré dans la bauge. En s'embarquant dans ce dangereux périple, ils emmènent avec eux l'un des Puterels et une Môme…et sont bientôt rejoint par la Vieille Truie, qui est là depuis tellement longtemps qu'elle ne sait quasiment plus parler et qu'elle semble être parfaitement à l'aise dans la boue. Tout ce petit monde cherche la lumière au bout du tunnel mais, pour cela, il va surtout falloir apprendre à se faire confiance…
Bain de boue est une expérience, assumée et jusqu'au boutiste, dans un monde post-apocalyptique qui n'a plus grande chose d'humain.
Un monde marronâtre, qui sent la mort et le désespoir.
Ars O' s'inscrit dans une veine Volodine-Pinedo quelque part entre
Plop et Les Aigles Puent.
Avec son vocabulaire et ses formulations volontairement répétitifs, ses leitmotivs autour de la survie et son univers complètement désespéré, le roman attirera en premier lieu ceux qui aiment la littérature au noir, celle qui s'enfonce jusqu'au coude dans l'abjection humaine pour y repêcher une mince lueur d'espoir à la fin. Pour les autres, le voyage risque d'être rude.
Le style d'
Ars O' est rugueux, sec, il ne s'embarrasse pas de fioritures inutiles et de dépouille même à l'extrême lorsque la Vieille Truie prend la parole. Si l'univers décrit est fascinant de noirceur, avec cette bauge de cauchemar dont l'origine n'est jamais explicitée, le roman a les défauts de ses qualités. En effet, pour insister sur le caractère incongru et mystérieux de ce sous-monde post-apocalyptique, l'auteur en dit très peu sur le contexte et se limite à un survival sous la forme d'une expédition de la dernière chance. Rapidement, le texte devient répétitif, autant dans la forme que dans le fond et le dépouillement intentionnel du phrasé des protagonistes ainsi que du déroulé de leur aventure engendre peu à peu une certaine lassitude. Tout n'est que boue, coulée, boue, boue et encore boue. le cadre devient monotone, presque ennuyeux. Il arrive la même chose aux personnages, que ce soit Rigal, Lana ou encore le Puterel orange, tellement engoncé dans le style froid et la répétition de leur fuite qu'il ne laissent que peu (voire pas) d'accroche émotionnelle au lecteur. Il faudra attendre la toute fin pour voir se dégager quelques éclats. Tout se passe comme si
Ars O' avait produit un variation appliquée et assumée d'un texte de
Rafael Pinedo mais en poussant tellement le curseur stylistique qu'il était tombé dans son propre piège, celui du récit froid et expérimental qu'on regarde en appréciant l'exercice mais sans en goûter l'objectif.
Et c'est dommage au fond car c'est avant tout l'apprentissage des liens humains à reconstruire qui semble occuper l'auteur. Comment apprendre à faire confiance, à aimer et à sauver des gens qu'on nous a appris à détester ou à se méfier ?
Bain de boue, c'est une reconstruction de l'humanité mais qui oublie la chaleur humaine dans son déroulé et dans son style. Trop uniforme par son cadre pour dégager une vraie empathie de la part du lecteur, le récit s'embourbe et on peine à avancer comme nos héros en fuite. C'est typiquement le genre de texte qui aurait mérité d'en rester à la novella voire à la nouvelle mais certainement pas à s'étirer comme de la guimauve en un roman de 250 pages qui rallonge la sauce sans pour autant relever le plat final.
Roman radical qui vous entraîne vers le fond,
Bain de boue est une expérience qui peut combler un lectorat en quête de récits noirs et râpeux. Malheureusement, difficile de conseiller celui-ci tant sa froideur et son cadre en font un objet difficilement accessible pour ne pas dire pesamment ennuyeux. Pelleteux ou Puterel, choisissez votre camp.
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