Je m'étais enfermée dans une bulle, et tout le monde autour de moi m'a empêchée d'en sortir. En voulant me protéger, on m'a aussi enfermée. Quand j'ai sauté au cou de mon père, au palais de justice, au moment où il venait d'être condamné, on m'a très vite séparée de lui. Les avocats, les magistrats, jusqu'aux simples gardes : personne n'a compris, c'était pourtant la première fois que je semblais avoir conscience de ce que j'avais fait, et je le montrais à tout le monde, puisque je lui demandais pardon en public. Ils n'ont pas compris que je lui demandais pardon pour mon mensonge.
Il m'a serrée dans ses bras, c'est sa façon de me pardonner.
Lui, ce n'est pas quelqu'un qui parle. Moi, je ne me sentais pas capable de m'expliquer.
Aujourd'hui encore, même si on est plus proches, si on parle un peu plus l'un et l'autre, quand je ne me sens pas bien, qu'il me voit en train de pleurer, il me serre dans ses bras pour me consoler. Il sait que je fais tout mon possible. Moi, je suis toujours sa petite fille.
Ce que je voulais expliquer à la justice, et que je ne suis pas parvenue à faire entendre, est pourtant simple : n'ayant jamais eu de relations sexuelles avec personne, je pouvais prouver l'innocence de mon père. Mais il fallait que je trouve quelqu'un, un expert, une instance, qui soit mandaté par la justice.
Je sais aujourd'hui comment toute personne condamnée peut demander à ce que sa condamnation soit réexaminée par la justice. Ça se passe à Paris, devant la Cour de cassation. Il faut que survienne un « fait nouveau » ou un « élément inconnu » au moment du procès, et qui soit « de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ». Le fait que je me rétracte, que je retire mon accusation, était un « fait nouveau ». Ensuite, c'est aux magistrats de la Cour de cassation de juger si ce fait est « de nature à faire naître un doute sur la culpabilité » de mon père. S'il y a doute, la condamnation est « cassée » et il y a un nouveau procès devant une cour d'assises.
Les juges d'instruction ont le devoir d'instruire « à charge » – c'est-à-dire de rechercher les éléments de culpabilité – et « à décharge » – c'est, à l'inverse, rechercher tout ce qui peut être en faveur de la personne accusée, jusqu'aux preuves de son innocence.
Il parlait avec pudeur, conscient d'avoir été pris dans un engrenage. Il croyait aveuglément en ses avocats et en la justice. Il était dans la logique des braves gens qui font confiance et attendent en pensant qu'un jour on allait bien s'apercevoir de la méprise.
Quand toutes les portes se sont refermées devant moi, avec ces avocats et ces magistrats qui n'ont pas voulu m'entendre, quand j'ai vu que personne ne voulait m'écouter, je n'ai trouvé qu'une solution : avouer à tous que j'avais menti.
On ne laisse pas en prison les gens innocents.
La force de l'homme c'est sa capacité à pardonner