Nous sommes au printemps 1976. Sigrid Nunez, 25 ans, sonne à la porte de Susan Sontag, 43 ans, pour l'aider à répondre à la pile monumentale de courrier reçu du monde entier pendant son hospitalisation. Sigrid découvre un vaste penthouse lumineux, aux murs blancs et nus. Peu de meubles, un chien, et une pièce stratégique, la chambre bureau de Susan, où trône une énorme machine à écrire IBM Selectric. L'une réfléchit et dicte, l'autre tape et capte.
Trente ans plus tard, Sigrid Nunez, devenue à son tour une grande écrivaine, livre son témoignage. Elle raconte l'extraordinaire vitalité de Susan, sa curiosité, son énergie inépuisable. Amie et modèle à la fois, Susan est le mentor dont rêve tout apprenti écrivain. Un portrait fin et inattendu, dans l'intimité de l'une des plus audacieuses intellectuelles américaines du XXe siècle.
Sempre Susan » de Sigrid Nunez
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Ariane Bataille
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"Nous n'avons pas, en art, besoin d'une herméneutique, mais d'un éveil des sens."
[Dans la caverne de Platon]
La photographie est un art élégiaque, un art crépusculaire. Par la seule vertu de la photographie, l'aile du pathétique effleure presque tous les sujets.
[Evangiles photographiques]
Ce qui vide de sens la question de savoir si la photographie est un art ou n'en est pas un, c'est le fait qu'elle annonce (et engendre) de nouvelles ambitions pour les arts. Elle est le prototype de l'orientation caractéristique, à notre époque, de l'art d'avant-garde comme des arts commerciaux : la transformation des arts en méta-arts ou médias.
"La beauté sera convulsive ou ne sera pas", proclamait André Breton. Cet idéal esthétique, l'écrivain le qualifiait de "surréaliste", mais dans une culture radicalement réorganisée par le pouvoir des valeurs mercantiles, demander aux images d'être bouleversantes, tonitruantes, de forcer le regard, relève d'un réalisme élémentaire et d'un solide sens des affaires.
[Objets mélancoliques]
Bien que les photographes prétendent, de façon rituelle, qu'ils laissent aller leur regard au petit bonheur, sans idée préconçue, qu'ils tombent sur leurs sujets par hasard, qu'ils les fixent sans émotion, il y a derrière cette façade une funèbre vision de perte.
On reproche aux images d'être le support d'une souffrance que l'on regarde à distance, comme s'il existait une autre façon de regarder. Mais regarder de près - sans la médiation de l'image - n'est encore que regarder.
[Le monde de l'image]
La photographie est pour nous un instrument à double tranchant destiné à produire des clichés (avec les deux sens de "lieu commun" et de "négatif" que le mot a en français) et à présenter des points de vue nouveaux. Pour les autorités chinoises, il n'y a que des clichés, qu'ils ne considèrent pas comme tels, mais comme des points de vue corrects.
Le regard ultra-mobile de la photographie flatte le spectateur, en créant une fausse impression d'ubiquité, une maîtrise fallacieuse de l'expérience.
"On estime en général que le cancer est déplacé chez un personnage romantique, à la différence de la tuberculose, peut-être parce que la dépression banale a remplacé la mélancolie romantique." (p. 67)
Si l'authenticité d'une photographie a pour seul critère la présence du photographe, obturateur ouvert, au bon moment, alors peu d'images de victoire peuvent prétendre à ce titre.