Pierre, c'est moi. Et je dois le dire en préambule : je ne suis pas un type très brillant. Dans ma vie, j'ai perdu beaucoup de temps. Perdre mon temps a été, et de beaucoup, mon activité principale. Cela m'attriste.
Je suis un blaireau fatigué, voila tout ! Quelqu'un d'assez mou qui s'endort facilement. Un blaireau qui, tout de même, a aimé certaines choses et les aime encore.
Quelqu'un qui a beaucoup regardé le visage des autres dans l'attente de la beauté, voire de l'illumination, mais qui, trop souvent, y a retrouvé ses propre laideurs.
J'ai 54 ans. J'ai connu moins de femmes qu'un animateur du Club Med. J'ai gagné moins d'argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-soeur. J'habite toujours à 500 mètres de chez ma mère.Et, bien sûr, je n'ai vécu aucune aventure de l'extrême.
Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible.
J'aurais bien tort de me plaindre, car, au fond, je m'en fous complètement
Des gens intelligents, il y en a treize à la douzaine. Mais des gens bienveillants, c'est rare.
121 curriculum vitae pour un tombeau
Dans la musique occidentale, un «tombeau» est un genre musical, surtout en usage dans la période baroque mais aussi au XXe siècle. Le tombeau était composé, précise à juste titre Wikipédia, «en hommage à un musicien, maître ou ami, aussi bien de son vivant qu’après sa mort, contrairement à ce que le nom de ce genre musical pourrait laisser penser. Il s’agit généralement d’une pièce monumentale, de rythme lent et de caractère méditatif non dénué parfois de fantaisie et d’audace harmonique ou rythmique». Voilà exactement ce que je voulais faire en peinture: un tombeau des hommes et des femmes de notre temps.
Elle a voulu retourner en Corrèze, parce que là, elle serait soignée par des femmes de la campagne. En fait, elle ne savait pas très bien en quoi consistait ma Corrèze aujourd'hui, mais elle pensait que ça ressemblerait quand même un peu à la Corrèze de son enfance où elle avait été heureuse. (p. 23)
L’andante du concerto n°22 se poursuivait. Toute l’amertume des bois s’y exprimait avec une infinie noblesse. En temps ordinaire, telle une machine à laver, je m’active, j’ai des choses à faire. Mais, au fond, je ne connais pas plus ma vie que la machine à laver ne connaît son linge. Parfois, pourtant, j’oublie le linge, je ne suis plus un lave-linge, mais un dieu vivant. Au moment où j’écoutais cet andante, c’était exactement le cas. Et c’est dans cet état d’excitation que m’est venue une envie décisive : l’envie de peindre des concentrés de vie, l’envie de peindre des toiles qui permettent, en un seul regard, de comprendre des vies tout entières.
Une peinture sympa, en somme. Évidemment, pas très élaborée sur le plan des registrations, des matières, des sujets, ni de rien, mais sympa... Ils ont inventé la peinture sympa. (p.162)
Je tenais absolument à avoir un frigo bien rangé. Il faut dire que mes pensées étaient souvent chaotiques. Le monde extérieur, également, me paraissait très disparate. Je ne pouvais pas faire grand-chose pour l'univers et sans doute pas davantage pour moi-même. Cependant, je veillais à ce qu'il y eût de l'ordre dans mon frigo ainsi que dans le reste de mon appartement. Ordre et beauté sont, au fond, des notions assez proches.
J’ai 54 ans. J’ai connu moins de femmes qu’un animateur du Club Med. J’ai gagné moins d’argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-sœur. J’habite toujours à 500 mètres de chez ma mère. Et bien sûr, je n’ai vécu aucune aventure de l’extrême. Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible.
121 – Pierre
Il lui reste ce plaisir
De rouler sur l’autoroute
Avec la musique d’Alfred Schnittke. »