Au reste, le climat latin ne lui est pas plus favorable que celui des bords de la Seine. Il s'en plaint constamment : l'été l'accable ; l'hiver le transit. C'est qu'aussi ce Normand de carrure imposante n'est pas de complexion forte. Il est contraint d'interrompre son travail quelquefois trois mois de suite. Il éprouve une douleur de tète "qui du front lui répond à la nuque : il ne peut tousser ni faire autre effort sans souffrir grande douleur ". Cette affection ira empirant; dans sa vieillesse, toute congestion, toute attention à son travail le rendra malade. Ses dernières œuvres ont été exigées de son corps dolent par sa dure volonté. Il est resté son maître, mais non sans gémissements.
Est-ce par une suggestion des harangueurs latins que Corneille s'excite à débattre contradictoirement des intérêts? Est-ce plutôt qu'il eut une expérience personnelle du barreau ? Il avait acheté une charge d'avocat à la Table de Marbre de Rouen, et il dut s'apprendre pour cet office, à « être pointilleux », comme il dit. Ses ouvrages témoignent qu'en outre de son don de pathétique, qui est incomparable, il possède parfaitement les procédés des discours. Il est un très méthodique orateur en vers. Au reste les dramatistes du temps sont, en majorité, des avocats. Corneille d'ailleurs conserva longtemps ses fonctions de judicature(de 1629 à 1650) : la même année où il donna Poliyeucte, on l'entendit requérir contre les pilotes de Villequier, qui prétendaient s'imposer à tous les bateaux havrais dans les eaux de la Seine.
Un si constant labeur, avec une clientèle si brillante, eût dû produire une fortune ; mais Poussin demandait pour ses œuvres peu d'argent. En principe, trouvant juste qu'on rémunérât son effort, et non sa réussite, il proportionnait le prix d'un tableau au nombre de figures dont la composition était meublée, chaque figure lui ayant coûté un travail particulier. On peut dire qu'en moyenne une grande composition de Poussin était vendue un millier de francs ; d'après ce que nous en savons, il ne lit point varier les prix, de 1630 à la fin, ne tenant nul compte de sa gloire grandissante, mais seulement de sa peine, qu'il était équitable qu'on lui payât. Aussi, quoi qu'il n'ait jamais fait de dépenses pour lui-même — sauf quelques objets antiques dont son atelier était orné, — il ne laissa pas à ses héritiers de grands biens : environ cinquante mille livres (au témoignage de Félibien).
J'essaye, en ce peu de pages, de faire connaître la personne de Poussin. Quel visiteur du Louvre, s'étant arrête devant le Triomphe de Flore ou le Déluge n'a pas senti que cette personne de l'auteur est ce qu'il faut faire sortir de l'ombre? A première vue, la peinture de Poussin n'est pas un miroir de la nature, mais l'affirmation d'un esprit d'homme, au même titre que les Méditations de Descartes ou les Cantates de Bach.
La question qui se pose, avant même d'avoir regardé une toile de Poussin, et dès qu'on le nomme, est celle de la perpétuité avec laquelle, depuis deux siècles et demi, ce nom est révéré. Je ne vois guère d'exemple, parmi les peintres, d'une gloire qui ait ainsi tenu contre les changements du goût.