Mylène Bossé

À ce premier contact, une chaleur éclate dans le bas de mon ventre. Si son geste m’a surprise au départ, je me reprends rapidement pour approfondir ce baiser qui a réveillé toutes les fibres de mon corps. Je sens qu’il se détend lorsqu’il remarque que je ne le repousse pas. Glissant son autre main contre mon flanc, il me rapproche davantage près de lui. Je sens son torse ferme s’appuyer contre ma poitrine et j’aimerais irrémédiablement être ailleurs que dans ce bar. Mais tôt ou tard, nous devrons rompre ce baiser. Celui que je n’aurais jamais cru possible…

Cette femme n’a aucun filtre. Elle dit tout ce qui lui passe par la tête. Et ça me fait rigoler. Elle est un peu comme moi, d’ailleurs. Je crois que c’est pour cette raison que je m’entends bien avec elle. Dommage que Sasha n’ait pas ce trait de personnalité. Quoique je commence à déteindre sur elle. Je me rends compte que madame Duncan a probablement raison et que je m’inquiète pour rien. Et ça expliquerait pourquoi ils ne répondent pas au téléphone.
— Bon, je dois te laisser, Rachel. Joey arrive avec son petit bout de femme.
— Au fait, vous allez mieux ?
— Oui, j’avais simplement la migraine. Je t’appelle si j’ai des nouvelles.
— Merci, et bonne soirée.
Je repose le combiné sur son socle, beaucoup plus rassurée. Je passe saluer Shawn et Adam. Ce dernier m’offre un sourire éblouissant en m’attirant dans ses bras. Je vais facilement m’habituer à sa présence dans notre équipe. J’aime beaucoup les gens extravertis. Je me sens à ma place avec eux. Je trouve Lexie à la caisse avec un client.

J’ai besoin de quelques minutes pour reprendre mes sens. Et peu à peu, je retrouve un semblant de calme. Je sèche les larmes rebelles qui glissent dans mon cou. Toute cette situation m’a chamboulé l’esprit. J’ai l’étrange impression d’avoir un vide à l’intérieur.

Et lorsqu’il pose ses lèvres sur les miennes, je le laisse m’embrasser. Pourquoi ? Peut-être pour lui donner une ultime chance ? Pour confirmer ce que je ressens ? C’est-à-dire, rien ! Ou pour essayer d’allumer une flamme qui n’existe pas ? Continuant de m’embrasser, il descend dans mon cou et pose ses mains sur mon corps. J’ai beau essayer de m’enflammer, j’en suis incapable. Il n’a aucun effet sur moi. Autant j’aime passer du temps avec lui, autant mon corps refuse de réagir à sa présence. Il n’est qu’un ami pour moi. Et non un amant, même s’il est clair qu’il en voudrait davantage. Mais je ne peux pas lui donner ce qu’il veut. À l’instant où il glisse ses mains sous mon t-shirt, je me dis que ça suffit.

Ce baiser ne m’a pas laissée totalement indifférente, mais presque. Je n’ai eu aucun chatouillement à l’intérieur. J’ai eu la même impression que d’embrasser mon frère. Ou un ami de longue date. Peut-être ai-je besoin de plus de temps ? Il est quand même gentil, drôle et j’aime bien passer du temps avec lui. Mais quelque chose cloche. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Comme si je passais à côté de ce qui semble évident. Ça mérite réflexion,non ? En attendant, j’ai quand même l’intention de profiter du plaisir que me procure sa compagnie.

J’aurais envie de trouver autre chose à dire pour l’ébranler un peu plus, parce que chaque fois que mon index se pose sur lui, l’intensité de son regard me donne des frissons. Bordel ! Qu’est-ce que ça signifie, à la fin ? Je n’en ai aucune idée, mais l’effet que ses yeux ont sur moi a quelque chose pour tenter le diable. Je m’apprête à ajouter encore quelques faits, mais il attrape ma main, alors que je m’apprête à revenir en force.

Son sourire ne se rend cependant pas jusqu’à ses yeux, qui semblent inquiets. Je me dis alors qu’elle cache quelque chose. Quelque chose qu’elle tente de dissimuler par-dessus tout. Et je me promets de creuser un peu, et de faire mon possible pour l’aider. Peu importe les problèmes qu’elle trimballe, elle fait maintenant partie de la famille.

Étant curieuse, j’aime savoir tout sur tout. Ce n’est pas compliqué ! Il ne me sourit pas en retour, mais ses yeux le font à sa place. Je finirai bien par découvrir ce qui se cache sous son armure. En attendant, je la joue subtile. Ou peut-être pas.

Même si nous avons un écart d’âge de plus de dix ans, je sens que nous allons bien nous entendre. Je devrais lui proposer une sortie un de ces jours. Outre Sasha, je ne vois pas beaucoup de monde en dehors du bar. Et elle sera bientôt très occupée avec le bébé. Je passe derrière le bar pour attraper une bouteille d’eau. J’ai l’habitude de courir partout pour m’assurer que tout le monde ne manque de rien. Ce soir, je me sens un peu inutile.
— Rachel, il n’y a plus de rhum épicé. Nous en avons d’autre quelque part ?
— Bien sûr, dans l’entrepôt. À droite, sur la première étagère. Attends, j’y vais !
— Non, laisse. Je dois me débrouiller comme si tu n’étais pas là.
Haussant les épaules, je décide d’aller voir ce que Joe pense de nos nouveaux employés. Je m’adosse sur le mur à ses côtés. Je bois quelques rasades bien fraîches. Il regarde dans ma direction avec un sourire en coin, mais ne dit rien. Je le regarde à mon tour. Il est rasé de près. Sa mâchoire carrée et sa stature laissent entrevoir son côté intimidant pour quelqu’un qui ne le connaît pas.

Le film arrive à sa fin lorsque je repense au baiser de Max. Automatiquement, je pose mes doigts contre mes lèvres. De tous les mecs que j’ai embrassés, il est l’un de ceux qui embrassent vraiment bien. Il est aussi l’un de ceux qui réclament, au lieu de danser en couple. Enfin, c’est l’impression qu’il m’a laissée. Toutefois, je suis de celles qui ne se laissent pas submerger par leur première impression.

Il devient plutôt exigeant. Vorace. Je suis un peu surprise par l’intensité de ce baiser. Qu’essaie-t-il de prouver au juste ? On se connaît à peine. Et il semble vouloir me dévorer, ici, dans le stationnement du bar. En plein jour. Je le repousse doucement pour calmer ses ardeurs, mettant fin aux embrassades. Max recule, me laissant entrevoir l’éclat de désir dans ses yeux. Mon expression un peu perdue doit dire le contraire, parce qu’en une fraction de seconde, l’éclat disparaît.

J’ai l’impression de marcher sur des œufs et ce sentiment est très déplaisant. À peine trois secondes plus tard, un sourire étire ses lèvres. Et je comprends qu’il m’a bien eue. Le soulagement qui se peint sur mon visage suffit à le faire rigoler encore plus. Instantanément, je me joins à lui.

Il est plutôt séduisant aujourd’hui, avec son pantalon beige et sa chemise noire. C’est très formel. J’ai l’impression de ne pas être au bon endroit avec mon jeans et mon chemisier. J’enlève rapidement mon bonnet et je passe la main sur ma tête pour m’assurer que mes cheveux sont toujours présentables.

Être réellement amoureuse. L’argent ne m’intéresse pas. Josh et moi avons reçu un bon coussin financier à la mort de nos parents. Le bar rapporte assez pour qu’on profite bien de la vie. Tout ce que je souhaite, c’est d’apprendre à connaître Max. Est-il seulement de passage ? Ou est-ce qu’il pense s’établir dans la région ? J’espère sincèrement être fixée très bientôt.

Ses yeux brillent d’un éclat particulier. Et je sais que Lexie sera ma nouvelle collègue. Elle a su toucher nos valeurs. Je savais qu’elle était la candidate parfaite. Je me retiens de crier « Eureka ». Intérieurement, je danse comme une folle !

Je ne vous cacherai pas que je suis quelqu’un d’ultra social. Je n’ai pas besoin d’argent, puisque je viens d’une famille fortunée, mais je n’aime pas dépendre d’eux. Je veux faire les choses à ma manière. C’est important pour moi. Et lorsque j’ai vu l’annonce d’emploi, je me suis dit que c’était ma chance de travailler en public et de mettre les connaissances acquises lors de mes emplois antérieurs en pratique. J’ai l’intention de faire des études supérieures. Un peu plus tard. Mais entre-temps, j’ai besoin d’un travail pour voler de mes propres ailes.

Je suis complètement sous le charme. Je me relève pour leur résumer rapidement les points intéressants des trois femmes avant qu’elles n’arrivent, omettant volontairement de leur dire mon opinion pour ne pas altérer leur jugement. Je sais qu’ils feront le bon choix. C’est pourquoi je resterai en retrait, en simple observatrice. Je les laisse donc mener la danse.

J’ajoute un peu de mascara, puisque c’est l’une des seules choses que j’accepte de porter, avec un petit brillant à lèvres. Parfait ! Un rapide coup d’œil à l’horloge m’indique que je suis dans les temps. Je prends quelques minutes pour réviser les fiches de celles qui ont capté mon attention.

Pour rien au monde je ne changerais d’endroit. C’est comme si la maison avait été construite pour moi. C’est mon havre de paix. Je me balance lentement en dégustant ma boisson et en regardant le paysage devant moi.

Quand je vous ai dit de baiser comme il se doit, c’était un conseil pour chez vous ! À l’abri des regards. Je n’avais pas à être témoin de votre débauche. Seigneur ! Mes yeux souffrent d’avoir vu autant de plaisir à l’état brut…