"Vicky accueillit d’un regard maternel l’entrée de sa famille préférée, de ses petits amours qui lui causaient tant de tracas. Chacun était source d’un bonheur immense et de soucis dignes d’un chargement de nourrissons. Le foyer n’était pas juste un lieu d’accueil pour une flopée d’infirmes confiés à des adultes à la fois idéalistes et désœuvrés qui n’avait pas trouvé mieux à faire. Même si c’était un peu vrai. Même des peaux dures comme Anne Montagne ne résistaient pas à la puissance de vie dégagée par les personnes. Le foyer était la famille. La mission des assistants : garantir qu’elle perdure. Aimer sans se lier de folie. "
"Francine était une candidate régulière aux actions spectaculaires. Sans raison apparente elle pouvait virer au bleu, innover dans l’art de la syncope soudaine, vomir et uriner en même temps. Ce genre de crise était la plupart du temps suivi d’une fâcheuse ruade épileptique, déclaré sport national dans les rangs du foyer. Du coup c’est elle qui portait le casque. Marthe était ravie, pour ne pas dire qu’elle se foutait vigoureusement de sa gueule quand Francine portait le truc tout rond sur sa petite tête toute ronde avec de grands yeux ronds et malgré elle, un beau sourire tout rond aussi. "
"René rêvassait par-devant lui. Il déambulait dans sa longue robe de chambre bleue toute neuve. Ses mouvements étaient rentrés. Son corps ne lui permettait pas de mouvements d’amplitude, les gestes étaient toujours brefs et secs. Les épaules un peu tombantes, les poignets arrondis, les doigts proches de l’extension sans jamais l’atteindre, les pieds un peu rentrés aussi, René était comme enfermé dans une bouteille. Ce soir, il rêvait en empilant les assiettes. Il était fatigué."
"Type obtus, cheveux blonds rassemblés en queue de cheval, Stéphane était de la race des faux hippies en sandales. Carnivore à la voix haut-perchée, idéaliste tyrannique amoureux de la présidente de l’association des jeunes catholiques et éducateur spécialisé de métier. Stéphane, soumis comme personne à une stupide hiérarchie dont il était seul capable de comprendre les arcanes, était un type exaspérant. "
"Diairmaid, en quasi anglais, était comme à son habitude trop poli pour être honnête et assaillait constamment Magda de ses propositions d’aide à la cuisine. Le malheureux, qui avait probablement cultivé d’exquises compétences dans le domaine de la finance et des statistiques, était au fourneau l’incarnation d’une véritable apocalypse culinaire. Son rapport tragique à la nourriture était total, rien ne lui résistait. Il semblait que sa vie entière, sur son ile verdoyante recouverte de building de bureau, il avait été nourri sous perfusion. Même la consultation du mode d’emploi d’un grille-pain ordinaire lui aurait été interdite. L’histoire ne dira pas s’il était un cas isolé en Irlande, mais certainement le fait qu’il puisse apprécier les nourritures les plus immondes en faisait un homme sans goût."
Quelle vie tranquille elle aurait pu avoir, entourée de gens normaux ! Mais les gens normaux, cela n’existait pas et elle n’avait pas besoin de l’avis éclairé de Judith pour le savoir. p 249
Il ne restait qu’elle sur la terre, à souffler sur les braises d’un espoir perdu, d’une famille brisée, de caractères criards, de vies déglinguées. p 251
"Il avait peur. Monsieur Lequart avait peur. Le cancer était ce truc qui défigure les gens, qui les empêche de garder leur sérieux, qui les oblige à pleurer alors que ce ne sont pas des chochottes. Ce truc allait le forcer à arrêter de travailler et à franchement le faire passer pour un con s’il venait à l’idée du cancer de lui faire mal et de l’obliger à pleurer. "
"Il avait peur. Monsieur Lequart avait peur. Le cancer était ce truc qui défigure les gens, qui les empêche de garder leur sérieux, qui les oblige à pleurer alors que ce ne sont pas des chochottes. Ce truc allait le forcer à arrêter de travailler et à franchement le faire passer pour un con s’il venait à l’idée du cancer de lui faire mal et de l’obliger à pleurer. "
"Immobile dans le châssis de la porte, son regard de maman lui disait son amour et lui taisait toute la complexité d’être mère. Si seulement ton père n’était pas là, disait ses yeux. Elle les ferma.
— Papa ne veut pas que tu aies la clé de la maison. Faudra sonner, c’est lui qui ouvrira et qui fermera derrière toi quand tu sors. C’est comme ça pour l’instant."