"Le chemin du poète le conduit toujours aux sources" Lucian Blaga
« Lucian Blaga (1895-1961) a parlé lui-même en termes inoubliables du monde où il est né. [
] la première période de sa vie, l'enfance dans l'atmosphère magique du village ancien, l'époque de « Bildung » d'un fils de pope de Transylvanie et d'une mère paysanne [
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] la vraie tonalité du poète est pourtant ailleurs. Elle est dans le drame mystérieux qui se joue entre le ciel et la terre, dans « la grande traversé » à laquelle la nature, les étoiles, les bêtes et les hommes participent, dans leur lente procession vers la mort. Une grande mélancolie cosmique venue de l'accord avec le destin enveloppe l'homme [
]. le désespoir humain prend chez Blaga le chemin du dépouillement frémissant ; le « cri vaincu », qui accompagne toutes choses humaines, se résout dans le silence et l'écoute des profondeurs. [
] L'homme est au monde pour vivre face au mystère, pour tenter de pénétrer les côtés cachés des choses, pour écouter, pressentir, vivre des expériences qui débouchent sur des révélations venues des profondeurs de lui-même.
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Un sentiment intense, personnel, du mystère des origines traverse la poésie de Blaga. [
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La poésie de Blaga est hantée par une étrange et symptomatique absence : celle d'un dieu caché, un dieu imploré qui s'est « enfermé dans son ciel comme dans un cercueil ». [
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] Ses tristesses dévoilent plutôt une obsession d'essence spirituelle, sa mélancolie et son amertume se confondent avec l'aspiration du vieux moine sur le seuil, qui attend sa fin en prêtant l'oreille au vide du tombeau. [
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] Le miracle de sa naissance a voulu que Lucian Blaga soit avant tout poète. Par-delà le langage et ses symboles, sa parole éveille en nous un sentiment venu de loin. Elle est la voix de l'autre mémoire, celle qui se souvient de ce que nous sommes. La voix de l'humain avec ses racines liées à l'univers, avec ses profondeurs, ses capacités créatrices de mythes, son aspiration au silence contemplatif, à l'indicible, à la pureté, à la lumière, à l'accueil éveillé du mystère de la mort :
tourne ton visage vers le mur
et tes larmes vers le couchant
» (Sanda Stolojan)
0:00 - Je ne foule pas la corolle de merveilles du monde
0:59 - Aux lecteurs
1:46 - Biographie
3:13 - Désaveux
4:57 - Nous, les chanteurs lépreux
5:55 - Épilogue
6:14 - Générique
Référence bibliographique :
Lucian Blaga, L'étoile la plus triste, traduit par Sanda Stolojan, Éditions Orphée La Différence, 1992.
Image d'illustration :
https://www.amazon.com/Lucian-Blaga-Selected-Philosophical-Philosophy/dp/1622732936
Bande sonore originale :
Carlos Viola - Godforsaken Place
Site :
https://thegamekitchen.bandcamp.com/track/godforsaken-place
#LucianBlaga #LÉtoileLaPlusTriste #PoésieRoumaine
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Le secret de l'initié
Ultime jour. Homme, voici la vérité :
de tout ce qui fut
rien n'a changé,
identique là-haut tourne le ciel,
identique ici-bas s'étend la terre.
Mais un chant s'est élevé au loin,
ample et mystérieux au loin.
Comme cercueils enfouis qui se défont
et s'en envolent
alouettes innombrables vers le ciel.
Homme, le jour dernier
est comme tout autre jour.
Ploie les genoux,
tords-toi les mains,
ouvre les yeux et étonne-toi.
Homme, je t'en dirais davantage,
mais à quel bon ? -
D'ailleurs des étoiles se lèvent
qui me font signe de me taire
qui me font signe de me taire.
(Traduit du roumain par Jean Poncet)
Tête inclinée
Je m'efforce d’être
et pour un instant encore je suis.
Quelque part dans les champs
le vent mon frère est mort.
L’automne saigne
sur ma route lasse.
Dans les ombres qui s'étirent
je suspends mon destin.
Un vol s’est élancé
vers je ne sais quelle fin.
Comme un cierge qui vacille
un arbre s’est éteint.
Au-dessus du puits j'ai incliné
mes pensées et leurs mots.
Le ciel ouvre
un œil au profond de la terre.
[1929]
Traduit par Jean PONCET
Bonté en automne
Des arbres souffrant de jaunisse se lèvent sur la route.
Maladie parfois la merveille.
Pénétrés par l'esprit,
les visages étirent leur cire,
mais nul ne cherche plus la guérison.
En automne on sourit bienveillant sur tous les chemins.
En automne tous les hommes se retrouvent.
Et nous, si méchants autrefois,
sommes aujourd'hui toute bonté, comme si dans la mort nous traversions
des aurores souterraines.
Les portes de la terre se sont ouvertes.
Donnez-vous la main car voici la fin :
les anges ont chanté toute la nuit,
dans les forêts ils ont chanté toute la nuit
que la bonté, c'est la mort.
Traduit par Jean Poncet
Terre
On s’est allongés dans l’herbe : toi et moi.
L’air fondu telle la cire sous les flammes du soleil coulait dans les champs comme une rivière.
Un silence sourd dominait la terre
et une question tomba jusqu’au fond de mon âme.
La terre, n’avait-elle rien à me dire ?
Cette terre trop immense dans son silence meurtrier, rien ?
Afin de mieux l’entendre j’ai posé mon oreille sur l’herbe -- incertain et soumis --
et sous la glèbe j’ai entendu les battements sonores
de ton cœur
la terre répondait
(traduit du roumain par Paul Miclau)
Mémoire
Où es-tu aujourd’hui, je ne le sais pas.
Autrefois des aigles au-dessus de nous traversaient Dieu.
Je glisse dans la mémoire, tout cela est si loin !
Sur la vieille terre où le soleil sort,
tes regards étaient bleus et montaient très haut.
Comme une légende une rumeur de légende s’élevait des arbres.
Le lac sacré était l’œil qui savait tout.
Au fond de moi aujourd’hui encore on parle de toi,
En moi des eaux s’écoulent ma mort.
Je devrais couper l’herbe,
Je devrais couper l’herbe que tu as été
la faux du reniement sur mon épaule
et la dernière tristesse me saisit.
Inscription sur une maison
Toute chose à sa place :
pierre, fleur, cruche,
et le berceau et le souci et l’épine.
C’est cela la loi de tous :
que son seuil devienne son horizon
pour qu’il soit à l’aise chez lui.
(traduit du roumain par Gabriela Mocanasu)
Bocca del Rio
Si je retourne à
Bocca del Rio
en route je traîne mon
amour en brio.
J'ai en mémoire
mirage, verdure,
sans toi le rêve
est une blessure
Soir aux collines,
lune bavarde,
Bocca del Rio
onc ne me garde.
Tu te rappelles
la place et le temps
cloîtrés en murailles,
sureau, vrombissement?
Tu te rappelles
ruches, herbe profonde,
sur les toitures
chantent les colombes
Cette prophétie qui
fait naître l'amour
vécut ce temps-là
souvenir est ce jour.
Poisons, histoires
chaudes méditations,
crépuscules moires,
charmes et passions.
des souvenirs je
bois en liesse
Bocca del Rio
plaie de jeunesse.
(traduit du roumain par Cindrel Lupe)
Les potiers
*
Siècles durant leur place est là, dès le début premier,
grotesques et bêtes, goitreux silencieux.
Des potiers, aptes à mouiller la glaise et la brûler.
Tels des dragons retardés et cléments
figures oblongues comme des cornemuses
mecs archaïques, qui portent si heureux
un rêve frêle durant les jours recluses.
La roue tournoie en grésillant en chaque foyer autour.
Les cœurs portent, toujours, les vieux modèles.
Les potiers œuvrent en sommeillant, et s'assoupissent près du four.
Très rarement ils sont hantés
par quelque fée ou des étincelles.
Dans les vallées des récoltes sublimes
in n'y a pas un bled aux âmes plus lentes
ni autre lieu où l'on saurait y cuire
des cruches aussi belles et si câlines,
avec des croupes de filles indignes et saintes.
*
(traduit du roumain par Cindrel Lupe)
Jésus et Madeleine
Jésus se hâtait vers le village, agitant des pensées désordonnées :
« Dans ses yeux il n’y avait que péché
Et crime
Dans la boule ardente de son poing –
Et pourtant, je ne comprends pas, un rayon dansait
Au fond de son regard,
Qui hurlait cet appel aveuglant :
En moi aussi Dieu a sa maison !... »
Jésus se hâtait vers le village et le soleil vers l’horizon...
Jésus était songeur –
Alors ses yeux se posèrent un instant
Sur l’éclat
Des roselières fangeuses où se cachait le Jourdain...
Une vague de douceur inonda soudain son visage :
« Ô soleil, toi le divin, ta lumière nous aveugle
Même lorsqu’elle est reflet dans la boue... »
(traduit du roumain par Jean Poncet)
C’est par la parole que la poésie naît, mais aussi grâce à une réserve envers la parole.