Aujourd’hui rien ne la tente, de plus il fait beau, le vent qui a soufflé ses derniers jours est tombé. Elle choisit de lézarder au soleil. Elle traverse la cour déserte en direction du muret qui s’adosse à la colline des Quatre Moulins. D’un geste souple elle se hisse sur le muret appuie son dos au mur du bâtiment de la cantine. Elle pose son sac à côté d’elle mais ne l’ouvre pas, elle replie les jambes, les recouvre de sa jupe, noue ses mains autour de ses genoux et ferme les yeux. Elle sait que Salazar la regarde de la fenêtre de son bureau mais il ne peut rien dire. En dehors des récréations le règlement ne prévoit pas que les professeurs soient ailleurs qu’en cours.
Supposez qu’un nouveau surgé — elle emploie l’abrégé de surveillant général volontairement pour rester dans leur vocabulaire — arrive. C’est une femme — pour toi, Aline, ce sera un homme —, jeune, jolie, de belles formes, des tenues à la mode. Sujet de la dissertation : quel doit être mon comportement ? Intro : je suis étudiant en première, une surgé bombasse vient d’arriver. Thèse : je la drague, au mépris du règlement. Antithèse : je respecte sa fonction et oublie son physique. Synthèse : je peux lui faire des compliments à l’extérieur mais rester correct dans le lycée.
À un moment Claire aperçoit Nans qui danse un peu plus loin. Son grand corps souple souligné par la coupe ajustée à la mode dégage quelque chose de félin. Un frisson lui remonte des reins, qu’elle met sur le compte de son dégout pour la police. Deux morceaux plus tard, elle sent une main sur son bras, elle se retourne et se trouve face au sourire désarmant de Nans. Tandis qu’un rock s’annonce, il l’invite. Il sait danser, elle l’a remarqué, il est beau et son sourire… Alors dans l’euphorie de la soirée, elle oublie le flic pour ne voir que l’homme.
Mademoiselle Ravel est une célibataire de quarante — deux ans en état perpétuellement dépressif. Bourrée de calmants, elle traîne sa silhouette décharnée de classe en classe sans obtenir la moindre obéissance. De ce fait, chaque année ou presque, elle craque à la fin du premier trimestre et est remplacée jusqu’aux grandes vacances, pour le plus grand bonheur des terminales car les remplaçantes sont quasi toujours des jeunes filles sorties d’école qui s’essaient à leur premier poste.
Autre sujet de discorde entre générations : la tenue vestimentaire. Les filles ne peuvent pas porter le pantalon dans les établissements scolaires. Claire travaille depuis le mois de janvier au lycée Beaussier, à La Seyne. Elle remplace une professeure d’instruction civique, en maladie, auprès des élèves de la sixième à la troisième. Elle a posé la question au proviseur à tout hasard, en vain, il est, là aussi, interdit de venir en pantalon.
Qu’est-ce qu’elle est belle ! Elle a l’air si déterminée le matin quand elle discute avec son père. Elle doit avoir du caractère. Tant mieux se dit Nans, je n’aime pas les mollassonnes qui sont toujours d’accord avec leur petit ami. Que peut-elle bien faire comme métier ? Il a eu plusieurs fois envie de les suivre dans la rue d’Alger pour savoir où ils allaient ensuite. Il n’avait jamais osé le faire.
Claire savoure la chaleur des rayons sur son visage, ses bras. Une douce torpeur l’envahit. Son esprit vagabonde dans la campagne des moments heureux de sa courte vie. Soudain un sourire apparait dans les images floues du film de sa mémoire. Ce sourire la trouble, cela fait plusieurs fois qu’il vient la surprendre depuis peu. Mais elle ne l’identifie pas.
La plupart soutiennent les étudiants mais les violences ont été telles que certains, sans le dire trop, condamnent ces agissements extrémistes. Claire est survoltée. Le peu de sympathie qu’elle pouvait commencer à ressentir pour la police s’est envolé comme exposé au mistral. Les cours de la fin de matinée sont perturbés et écourtés.
Il ne lui a fait aucune réflexion déplacée, encore moins un geste. Il a juste été poli et un peu flatteur. Alors qu’elle, à chaque fois, s’est contentée de le saluer par politesse mais sur un ton à faire givrer une piscine dans le désert. Son incompréhension est totale. Mais malgré cela, il meurt d’envie de la revoir.
Elle doit avouer que, pour un policier, il a du charme. Un sourire rêveur se peint sur son visage. Mais quelle idée de faire ce métier de sauvages qui ne pense qu’à réprimer, punir, sévir, emprisonner, tabasser. Non, décidément, les flics lui font horreur. Mais le sourire chaleureux de Nans plane au-dessus du Faron.