Éloge (de la pédagogie) du ver de terre - Christophe Gatineau
Oubliant que c'est le pluriel qui fait la singularité, oubliant qu'avant d'être la diversité des espèces, la biodiversité, c'est la diversité des vies, des idées et des différences.
C. Gatineau cite « Qu'est-ce que l'acte de création ? » de Gilles Deleuze, une conférence donnée dans le cadre des Mardi de la Fondation le 17 mars 1987. « Tout le monde sait bien qu’avoir une idée, c'est un événement rare. D'autre part, en avoir une, ce n'est pas quelque chose de général, on n’a pas une idée en général. Une idée, elle est déjà vouée, tout comme celui qui a l'idée, à un domaine. C'est tantôt une idée en peinture, tantôt une idée en roman, tantôt une idée en philosophie, tantôt une idée en science.»
Que seriez-vous sans les autres? Rien, rien ne vous distingue d'une colonie de fourmis à nos yeux. Déjà, cette pilule doit être difficile à avaler. Mais de là à avaler qu'une autre espèce qui vit sous la semelle de vos chaussures, de surcroît solitaire et dont l'intelligence n'est pas liée à l'addition de ses cerveaux, pratique l'agriculture... Et pourtant, depuis 1973, l'Institut pour le film scientifique de Göttingen en Allemagne a apporté la preuve visuelle et irréfutable que nous la pratiquons. Je sais, ça fait un choc. Mais si Charles Darwin avait vu juste avec sa théorie de l'évolution des espèces, le regard qu'il a porté sur nous était tout aussi clair, ce qui remet en selle sa proposition pour une terre animale.
Même dans les manuels d’histoire, même dans ceux qui racontent les plus belles, aucun ne mentionne que la femme ait découvert quoi que ce soit. Sauf Marie Curie et quelques-unes d’autres qui ont récolté les miettes d’un gâteau que les mâles se sont attribués dans son entier. Pourtant les faits disent que les hommes sont étrangers à la découverte de l’agriculture.
(l’agriculture) Même naturelle, elle est par nature un leurre, une activité contre-nature, contre la nature, même quand elle s’appelle permaculture ; l’homme modifiant l’écosystème à son avantage pour favoriser une espèce au détriment des autres. La seule agriculture naturelle est l’absence totale d’agriculture.
(...) des espèces catégorisées en fonction de leur niche écologique. Les épigés vivent à la surface du sol, les endogés exclusivement dans le sol et dans les galeries horizontales, et les anéciques dans des galeries verticales appelées terrier. Et ces derniers peuvent représenter jusqu'à 80 % du poids vif des lombriciens présents dans un sol cultivé, et ils font la navette entre les profondeurs du sol est la surface où ils viennent se nourrir. Ce sont eux les gros fabricants de fertilité, les créateurs du complexe argilo-humique, ceux qui rajeunissent les sols, ceux qui sont probablement les plus en danger.
C. Gatineau cite « L'ultime secret » de Bernard Werber : « les idées sont comme des êtres vivants. Elles naissent, elles croissent, elles prolifèrent, elles sont confrontées à d'autres idées et finissent par mourir. Et si les idées, comme les animaux, avaient leur propre évolution ? Et si les idées se sélectionnaient entre elles pour éliminer les plus faibles et reproduire les plus fort ?
La terre a porté de grands peuples de cultivateurs comme les Amérindiens ou les Chinois. Sans l’ombre d’un doute, ils pratiquaient ce que l’on nomme aujourd’hui l’agriculture écologique, agro éco-logique ou permaculturelle ; combien de plantes ont-ils domestiquées ? Combien se retrouvent aujourd’hui dans nos assiettes ? Toutes ou presque. Presque toutes.
Un travail d’artistes.
Ce qui fixe la vie sur Terre, c'est l'impermanence de ses mouvements et de ses cycles. À croire que le mot « imperma- culture » aurait été plus juste que « perma-culture », puisque c'est le changement qui est permanent, pas la culture. Un écosystème harmonieux n'est rien d'autre qu'un système qui, pour être vivant, doit sans cesse être en mouvement sous peine de cesser.
La diapause et une pause, une forme de vie ralentie, déclenchée par des conditions défavorables (sécheresse, froide, durée ou lever du jour...). « Un des mécanismes biologiques d'adaptation au milieu les plus élaborés » pour Bernard Mauchamp, directeur du Laboratoire de physiologie de l'insecte de l'INRA. Mais si la diapause est déclenchée avant l'apparition de facteurs défavorables, elle n'est pas pour autant levée par la seule disparition de ceux-ci... Et elle « se distingue de la quiescence, une autre forme de vie ralentie déclenchée par des facteurs défavorables au milieu, et qui cesse dès le retour des conditions favorables ». Ainsi, quand un ver de terre se met en pause, il s'enroule pour limiter sa déshydratation et attendre des jours meilleurs. Et, en dehors de la diapause, les deux moments qui l'obligent au repos forcé sont quand la température est élevée et le temps sec ou quand la température est basse et qu'il gèle.