Depuis ce matin, Zaza n'a plus de coeur.
A l'instant même où son amoureux l'a quittée, son coeur s'est décroché.
Rapidement la boutique déborde de petits mots qui embellissent la vie. Ils se répandent sur le trottoir, inondent les ruelles, pénètrent dans les maisons et entrent par les vitres ouvertes des autos. Ils s'invitent, pêle-mêle dans les conversations.
Je suis le plus grand des gourmands, et d'un seul coup j'ai englouti la mère-grand.
Elle est le plus beau de mes trophées, j'en pleure rien que d'y penser.
Depuis, quand je me réveille chaque mercredi, je saute dans mon calfouette favori!
Dans la boutique de Monsieur Bernard, Aux P'tites Choses, il y a plein d'armoires à tiroirs. Des grandes, des petites, et même des riquiqui. Elles sont toutes remplies de mots.
Dès que Monsieur Bernard voit des mots s'échapper d'une conversation, c'est plus fort que lui... Hop ! Il les attrape avec son grand filet et les range soigneusement dans ses tiroirs.
La boutique a ses habitués. Mario, timide mais bagarreur, s'approvisionne chaque jours en gros mots.
Igor, récemment débarqué, cherche des syllabes pas trop compliquées à apprivoiser.
Il y a aussi ceux qui donnent leurs mots précieux et ceux qui se débarrassent des plus douloureux. Depuis quelques temps, de plus en plus de clients échangent des vilaines paroles contre des mots doux qu'ils ont du mal à prononcer.
Monsieur Bernard s'inquiète. A ce rythme-là, tous les jolis mots vont disparaître de ses tiroirs. Ils sont déjà si difficiles à attraper.
Quand, par chance, le vieil homme en saisit un dans une conversation, celui-ci est si petit qu'il se faufile, le plus souvent, entre les mailles de son filet. Pff, il disparaît vite fait dans le vacarme tonitruant de la rue et le blabla des commerçants.
Pendant que certaines armoires se vident, d'autres débordent de mots terribles.
À minuit, je me suis sauvée,
j'ai même perdu un soulier.
Ce que le conte ne dit pas,
je le raconte juste à toi...
Le prince m'a trop fait danser,
l'élastique de ma culotte s'est cassé!