Je suis perdue dans la mémoire. C'est un lieu dont il n'existe aucune carte, dont on n'a pas établi la longitude ni la latitude pour m'aider à revenir sur mes pas jusqu'à mon point de départ. Chaque fois semble la première.
De bonne volonté, mon père commençait à répondre, mais après quelques mots il s'arrêtait. Il pleurait. Assise en silence à côté de lui, je ne voulais pas le forcer à continuer. Il ne me restait plus qu'à trouver moi-même les différentes pièces de son passé, poussée par le désir d'en savoir plus. J'entends encore ses exclamations staccato où se mêlaient anglais et yiddish, mais je ne peux pas lui demander : Qui désormais m'assurera que, pour moi, il n'hésiterait pas à barrer le passage d'un camion ? Il ne me reste plus que les mots et la forme des traits repassés à l'encre pour retracer son mouvement, sa colère, son amour.