Anne Perry parle de "La disparue d'Angel Court".
Partie 1
[...]Porté par une grande cause, on peut devenir un héros. On peut cacher ses faiblesses, et l’intimité ne nous met pas à l’épreuve.
Le jugement et l’art de la diplomatie ne sont jamais superflus dans une famille nombreuse. Ce sont ces qualités-là qui font la différence entre le bonheur et la morosité.
On ne répand pas des accusations à tort et à travers avant d’être certain des faits sur lesquels on se fonde. Il est trop aisé de ruiner une réputation, et trop difficile de revenir en arrière une fois que le mal est fait.
Je préfère les gens pris individuellement : dans une foule, je trouve qu’ils calquent leur attitude sur les qualités les moins glorieuses de leur voisin. L’instinct grégaire, j’imagine… L’odeur de la peur, du sang…
Grâce à Dieu, il était devenu possible depuis peu d’anesthésier les patients pendant toute la durée de l’intervention. Ainsi la rapidité avait-elle cessé d’être la nécessité première. Le chirurgien pouvait s’offrir le luxe de réaliser une opération en plusieurs minutes, et non plus en quelques secondes comme c’était le cas autrefois. Il prenait désormais le temps de respecter l’hygiène, d’envisager différentes possibilités, de réfléchir et de bien examiner le champ opératoire, au lieu de ne songer qu’à la douleur du patient et de se hâter de l’abréger.
— Vous retournerez à St. John ?
La question étonna fortement Joseph. Etait-ce ce que Morel pensait de lui ? Qu'il allait se bâtir un nouveau cocon en retournant vers la même vieille échappatoire, exactement comme s'il ne s'était rien passé ?
— Retourner vers quoi ? dit-il un peu sèchement. Vous ne croyez pas qu'après la guerre on ne se bousculera pas pour étudier les langues bibliques ?
— Ces langues ont leur utilité, répondit Morel, d'un air soucieux. Si on avait étudié le passé d'un peu plus près, peut-être aurions-nous su mieux anticiper l'avenir.
— C'est un travail de dilettante. Je ne crois pas que nous aurons beaucoup de temps libre dans les années d'après-guerre. Les choses ne seront plus pareilles.
— Rien ne sera plus pareil, admit Morel avec force. Les femmes font la moitié des métiers des hommes. Leur vie ne dépend plus de celle de leur mari. On ne reviendra plus en arrière, plus maintenant. Regardez votre sœur.
Il parlait de Judith, mais Hannah elle-même avait changé. A travers toute l'Europe, des femmes avaient appris à se débrouiller seules avec courage et exerçaient des métiers impensables pour elles avant la guerre.
— On ne peut pas remonter le temps.
— Grands dieux, non ! fit Morel, soudain agressif. Et c'est valable dans tous les domaines ! J'ai combattu aux côtés d'hommes qui auparavant me servaient à table et ciraient mes chaussures. Plus jamais ça !
— Nous ne reviendrons pas à ça.
Il n’y a pas de mal à être ridicule, il y en a beaucoup à ridiculiser son prochain.
[...] Parfois, même les gens honnêtes cèdent à la tentation quand leurs amis se lancent dans une affaire frauduleuse. La loyauté peut parfois… tromper le jugement, surtout quand on doit sa prospérité à la générosité et à la confiance d’un autre.
Nous sommes égaux devant la loi [...] c’est là l’essence de toute justice. [...] Si nous cessons de l’être, la justice est détruite. Quand nous accusons un homme, nous avons souvent raison, mais pas toujours. La défense existe pour nous protéger tous des moments où nous nous trompons. Il arrive que des erreurs soient commises, des mensonges racontés, des preuves falsifiées ou détournées. La haine et les préjugés, tout comme la peur, les faveurs ou les intérêts personnels peuvent déterminer un témoignage. Chaque dossier doit être mis à l’épreuve. S’il ne résiste pas à la pression, il est imprudent de condamner, et impardonnable de punir.
Si l’honneur obtenait toujours ce qu’il exige, le monde ne serait pas ce qu’il est.