André Cariou

La Bretagne resurgit plus étonnement au cœur des œuvres océaniennes. les représentations de la mort et de la vie, s'appuyant sur les rochers noirs du Pouldu, se retrouvent une gravure. le portrait de Haan créature satanique, mi faune mi diable est présente....

L'impression générale au vu des toiles tahitiennes, est l'importance de la couleur plus que celle du dessin.

Il prévoit de rester deux trois ans en Océanie et d’accumuler les études qui lui serviront pour les toiles à son retour.

L'acte spontané du dessin est pour lui concomitant d'une méditation devant le spectacle de la nature. Puis le travail de mémoire et la simplification des lignes et des plans colorés conduisent à des œuvres qui semblent éloignées de la réalité tangible.

Dans la rude Bretagne aux traditions ancestrales, il essaie de retrouver ce qu'il est allé chercher au Panama et à la Martinique: une vie simple et "sauvage" lui permettant d'éprouver des perceptions naturelles et de découvrir les savoirs primordiaux et les mentalités "primitives" encore épargnées par les pesanteurs sociales de la civilisation occidentale. Il cherche aussi à élucider ses propres aspirations à un art différent.

La gamme colorée et les innovations de composition des quelques dessins qui nous sont parvenus et de la douzaine de toiles peintes sur place sont particulièrement audacieuse, montrant un degré plus élevé de liberté et de hardiesse et n'ayant plus rien à voir avec l’impressionnisme: sa vision de la nature s'épure, ses couleurs gagnent en franchise et en saturation, le dessin est assoupli et amplifié, les masses colorées sont affirmées.

Ernest Chaplet a fait ses débuts comme peintre sur porcelaine à la manufacture de Sèvres et a travaillé pour la firme Haviland avant de s'établir à son compte en 1886. il est considéré comme le céramiste le plus inventif de son temps. Son atelier, rue Blomet, est voisin de celui de Gauguin, rue carcel. Chaplet lui propose de faire des vases dont ils partageront les bénéfices.

Gauguin manipulateur ou recycleur d'images, ose ainsi, avec audace, se répéter sans craindre de se voir reprocher un manque d'imagination. Certains dessins formeront une sorte de répertoire dont il ne se séparera jamais.

Ces croquis vont par la suite constituer une sorte de répertoire de formes qu'il utilisera à sa guise.

Il dessine abondamment au crayon gras, avec de brèves hachures pour le modelé, parfois avec des rehauts d'aquarelle ou associé au pastel. ce sont des études d'animaux, de bergers et de jeunes bretonnes, quelques rares paysages. le plus souvent, plusieurs dessins occupent la pages sans souci d'échelle.

Gauguin nous fait ainsi partager un sentiment très personnel: les dessins appartiennent au monde de l'intime, au niveau le plus profond de la création, et ne sont pas destiné à être divulgués.

Quelques mots de Pissaro à son fils permettent d'imaginer les conseils donnés au jeune Gauguin: "Il faut dessiner et dessiner beaucoup...Ce n'est qu'en dessinant beaucoup, de tout, et sans cesse, qu'un beau jour on est surpris de trouver le moyen de rendre une chose avec son caractère propre."

S l'on inverse la méthode d'analyse et si l'on accorde au dessin la priorité dans l’œuvre bretonne, on s'aperçoit de leur importance non seulement dans l’élaboration de cette nouvelle esthétique -le synthétisme- mais aussi dans la confection d'un répertoire d'"images" utilisées ensuite par le peintre suivant différentes techniques, de la peinture à la gravure en passant par la sculpture et la céramique ou les éventails décoratifs, et dont il va se servir tout au long de sa vie, jusqu'à Tahiti et aux Marquises, en développant divers thèmes transversaux.

Maurice Denis, l'ami de Serusier, explicitera la démarche de Gauguin: "il n'y a pas leu de copier, de reproduire la nature telle que nous la voyons, mais de la "représenter", de la transposer en un jeu de couleurs vives, inscrites dans une arabesque simple, expressive, originale, pour le plaisir des yeux: retour à la teinte plate, au coloriage des images d’Épinal, au hiératisme des Egyptiens, des Byzantins, des fresques romanes, à l'art des peuples enfants. "